Penser en PPT
« Quand nous aurons compris cette slide, nous aurons gagné la guerre », ironise le général américain McCrystal, à propos de la présentation très confuse expliquant la stratégie américaine en Afghanistan. Cette anecdote, racontée dans The New Yorker et rapportée par Franck Frommer dans son ouvrage « La Pensée PowerPoint », illustre la thèse principale de l’auteur : le fameux logiciel de Microsoft, qui s’est imposé comme le leader en matière de présentation visuelle, « nous rend stupides ». Comment ? Entre autres à cause du format sous forme de titres customizable et de bullet point, synonymes pour Franck Frommer d’un appauvrissement de la pensée et d’un nivellement par le bas.
À tel point qu’il est devenu critique pour les consultants en stratégie de réfléchir à d’autres outils pour présenter devant des clients. « S’il ne s’inscrit pas dans une charte graphique précise, PowerPoint peut perdre très vite en impact, affirme Sylvie Jaulin, directrice en charge du développement professionnel chez Kea & Partners. La tentation est forte de laisser les consultants réaliser eux-mêmes leurs PPT, alors que leur valeur ajoutée ne se trouve pas là. Nous avons donc commencé à réfléchir aux solutions pour remplacer PowerPoint. »
Le constat est sévère, mais il est partagé par de plus en plus de professionnels. « Certains clients sont lassés des slides », confirme Sylvie Jaulin. Les présentations PPT annihilent l’échange et la discussion et simplifient la pensée. Selon Franck Frommer, la « powerpointisation » des esprits prouve que le logiciel a dépassé le statut de simple outil et façonne la méthodologie de travail. Y compris celle des consultants, grands adeptes des présentations visuelles, puisqu’ils doivent illustrer de manière rapide, concise et explicite le fruit de leur travail à chacun de leur client. Sans compter que « tout le monde, y compris les clients, utilise PowerPoint », regrette Sylvie Jaulin. D’où l’importance de se distinguer.
Où est la relève ?
De quelles alternatives dispose-t-on alors pour présenter un rapport, une étude ou une proposition devant des clients ? La stratégie la plus simple reste encore la méthode old school : un tableau, un marqueur et vous. Plutôt que de plonger vos interlocuteurs dans le noir et une douce torpeur, une présentation à l’ancienne peut se révéler salvatrice et provoquer plus facilement réaction et échange d’idée. « Fais, et tu retiens », disait, en substance, Confucius. S’il participe plus activement, le client a plus de chance de se souvenir des éléments clefs de la présentation du consultant qu’il a sollicité.
Une solution qui connaît toutefois des limites. Or, les concurrents de PowerPoint se bousculent au portillon. Le principal vient d’Apple : le fameux Keynote, qui ne désigne plus uniquement le logiciel, mais la méthode de présentation propre à Steve Jobs. Grand show à l’américaine, la Keynote est devenue aujourd’hui un exercice populaire et attrayant. Alors que de plus en plus de cabinets s’équipent en Mac, le logiciel gagne logiquement en renommée. D’un point de vue purement visuel, Keynote offre davantage d’options et de nuances que PPT. La prise en main facile et intuitive, qui constitue la marque de fabrique d’Apple, lui permet de gagner les faveurs d’un nombre grandissant d’utilisateurs. Mais s’ils divergent sur la forme, PowerPoint et Keynote conservent un mode de fonctionnement relativement équivalent.
La Keynote de Steve Jobs lors de la présentation du premier iPhone :
Celui qui semble tirer son épingle du jeu auprès des cabinets s’appelle Prezi, utilisé de plus en plus par les consultants en stratégie. Au lieu de fonctionner sous forme de slide qui se succèdent les unes aux autres, Prezi propose un espace qui se veut infini, au sein duquel l’intervenant peut agencer ses idées et les points clefs de sa présentation et naviguer presque librement d’un point à l’autre. Gratuit et en ligne, il joue sur le tableau de la fluidité et du dynamisme qui manque à PPT. L’entreprise revendique plus d’un million d’utilisateurs mensuels et plus de 250 millions de présentations créées en 2012. Globalement, les clients des cabinets de consultants en stratégie semblent apprécier ce nouveau format.
Étude de cas sous prezi pour Tiffany & Company :
Mais le logiciel n’est pas, lui non plus, exempt de critiques. Les présentations sont plus longues à concevoir, car l’utilisateur doit se familiariser avec l’environnement de travail. Tous les contenus apparaissent sur un seul plan, ce qui oblige à ruser et à user du zoom, parfois à l’excès. « Prezi est plus complexe à utiliser et il faut en posséder une excellente maîtrise pour produire une présentation qui aura un véritable impact », soutient Sylvie Jaulin. Les présentations trop mouvantes finissent par détourner l’attention et perturber l’écoute.
Si PowerPoint fait donc l’objet de nombreuses critiques, la succession n’est pas encore assurée. Les alternatives existent, mais elles tombent dans les mêmes écueils que le logiciel de Microsoft. Pour Christopher Witt, auteur américain de « Real leaders don’t do PowerPoint », l’essentiel est donc de remettre PPT et les autres à leur juste place : au rang de boite à outils qui ne remplace pas la présentation dans son ensemble, mais qui participe à illustrer et à clarifier le propos de l’auteur. Plutôt que d’abandonner PowerPoint ou l’un de ses concurrents, la solution pourrait donc se trouver dans une autre façon de concevoir ses présentations.
Par Lisa Melia pour Consultor, portail du conseil en stratégie-28/11/2012
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