Consultants et professeurs
HEC, ESCP, ESSEC, X, Centrale, Ponts… autant de cursus qui se retrouvent souvent sur les CV des consultants des cabinets de conseil en stratégie. Les cabinets, toutefois, ne se contentent pas de puiser dans les grandes écoles pour leurs recrutements, ils s’impliquent aussi dans la formation de ceux qui viendront ensuite grossir leurs rangs.
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« Il y a des ponts entre l’enseignement et le conseil en stratégie à un certain degré de séniorité, affirme Ambroise Huret, partner chez Eleven Strategy. En premier lieu, la pédagogie. La transmission se trouve au coeur du métier de conseil : transmettre de la connaissance aussi bien en interne que chez les clients et former en permanence les nouveaux consultants. »
Un point commun qui conduit une grande partie des cabinets à s’impliquer dans les écoles les plus prestigieuses. Le phénomène n’a d’ailleurs rien de spécifique à la France : aux Etats-Unis, McKinsey constitue un objet d’étude pour les étudiants d’Harvard mais les consultants participent aussi à la construction de cours et de MBA. Il en va de même pour la plupart des cabinets et des universités de l’Ivy League. Et pour le reste de l’Europe. Les consultants ont trouvé leur place auprès des universités et des grandes écoles, positionnés comme experts dans leurs domaines, ils apportent une complémentarité appréciée et recherchée par le corps enseignant.
« Les professeurs couvrent rarement tous les domaines d’expertises, confirme Thierry Boudès, professeur de stratégie à l’ESCP. Les consultants apportent une connaissance acquise par l’expérience. Les enseignants ont souvent une pratique passée et des recherches, mais ils restent avant tout des professeurs. Au final, ce sont deux temporalités qui diffèrent mais aussi qui se complètent. » Que se passe-t-il à un moment donné dans un cabinet ? Dans un secteur particulier ? Auprès de certains clients ? Les professeurs apportent une analyse de long terme, les consultants proposent une réponse immédiate, limitée dans le temps et dans l’espace. Ces derniers ne possèdent pas la vision globale des enseignants, mais ils représentent un cabinet, voire une practice et surtout une réalité, celle du monde du travail au quotidien.
Tous les cabinets, cependant, n’abordent pas la question de la même manière. Chez Eleven, ce fut le résultat d’un parcours individuel. Ambroise Huret enseigne la stratégie de développement et de croissance aux MBA. Lui-même issu d’HEC, spécialisé en stratégie, il a été sollicité il y a quelques années par un ancien professeur après la création d’une société de conseil en stratégie spécialisée sur le big data aux côtés de deux associés. Au BCG, les « Fellows » utilisent parfois leur temps de recherche pour enseigner, à l’image de Luc de Brabandere qui propose un cour à Centrale Paris sur la stratégie et les grands philosophes. D’autres cabinets l’intègrent dans leur stratégie de communication et de recrutement : intervenir dans les écoles devient un vecteur pour façonner l’image du cabinet auprès de (potentiels) futurs employés.
Plus-value
Qu’apportent les consultants ? Enseigner ne s’improvise pas et même si le conseil suppose des qualités de pédagogue pour guider les nouveaux consultants, structurer un cours demande énormément de travail. « Ils sont en contact permanent avec la réalité du travail de consultant, détaille Thierry Boudès. Par exemple, aujourd’hui, beaucoup d’entreprises essaient d’accroître leur présence sur les médias digitaux. Les cabinets de conseil qui interviennent sur ces problématiques sont confrontés directement à la question stratégique que se pose l’entreprise sur ce sujet à l’instant T. Le monde académique aura un regard plus global, sur des périodes plus longues, avec des projets de recherche qui généralement prennent plus du temps. »
Les discours ne risquent-ils pas de se contredire ? « Tant mieux ! », lance Thierry Boudès. Ce professeur, diplômé de l’ESSEC et titulaire d’un PhD, estime que les étudiants ont tout à gagner quand ils reçoivent des discours très différents, voire presque discordants. Tant que les intervenants se respectent, ne tombent pas dans les lieux communs (« ils n’ont pas de recul », se plaignent parfois les enseignants à l’égard des consultants, « ils sont trop théoriques », assènent en retour les consultants) et que le dialogue reste ouvert avec les étudiants, le résultat sera positif, voire mieux : productif.
« Après tout, dans la vie professionnelle et personnelle, il n’y a jamais une seule solution, un seul diagnostic, souligne Thierry Boudès. Proposer des discours différents me semble donc très sain. D’ailleurs, je ne prescris jamais le type de discours des consultants qui interviennent. Je vérifie seulement que nous parlons bien du même objet et que leur intervention s’inscrit dans la continuité du cursus. »
Échanges
« J’essaie d’apporter deux choses aux étudiants : d’un côté, des convictions qui sont nées dans le cadre de missions au service des clients, de l’autre, des retours d'expérience qui viennent du développement de structures de conseil aux côtés de mes associés », soutient Ambroise Huret. Dans tous les cas, un savoir puisé dans le vécu du cabinet et du consultant. Pour nombre d’étudiants, ce qu’ils apprennent sur les bancs de l’école ne suffit pas pour s’attaquer à la vie professionnelle. Associer les cabinets de conseil aux formations est l’une des réponses apportées par les écoles pour changer la donne.
Lorsqu’ils interviennent dans des cours, les consultants donnent corps au métier et au monde du conseil. Les étudiants, d’ailleurs, ne sont pas dupes affirme Thierry Boudès : ils utilisent le discours des consultants pour mettre celui des professeurs à l’épreuve et réciproquement. « Par exemple, ils vont demander aux consultants si ce que disent les enseignants a une résonance dans la pratique. Plus qu’un décalage des discours, c’est une tension constructive qui leur permet de former leur propre regard, ce qui est l’enjeu dans la plupart des cursus. »
L’échange se fait d’ailleurs dans les deux sens. Les futurs jeunes diplômés d’une vingtaine d’années constituent un vivier de candidats potentiels. Les MBA offrent de véritables opportunités de rencontres enrichissantes avec des professionnels qui ont atteint un tel niveau de carrière qu’ils sont en mesure de contextualiser l’enseignement qu’ils reçoivent et de les traduire rapidement dans un projet concret. « Le MBA d’HEC est un environnement international particulièrement enrichissant du fait de la diversité de nationalités représentées parmi les étudiants, apprécie Ambroise Huret. Quand dans la même salle se trouvent un japonais, un chilien, un allemand, un anglais… on assiste à des contrastes qui permettent de toucher du doigt certaines différences culturelles. »
Les MBAs se caractérisent aussi par la diversité de leurs expériences professionnelles. Dans ses amphis, Ambroise Huret a côtoyé aussi bien un étudiant russe qui sortait de la légion étrangère qu’un entrepreneur américain qui revenait de plusieurs années de tour du monde. « Il a formulé pendant les cours un projet d’entreprise qu’il a crée dès la fin du cursus et qui a fait beaucoup parlé de lui dans l’univers du big data, se souvient Ambroise Huret. Un étudiant qui fait aboutir un business case et qui rencontre le succès, ce fut une belle expérience. »
Incubateur de talents
Les cabinets ne manquent pas de bonnes raisons pour participer à l’éducation de ceux qui deviendront peut-être de futurs collaborateurs. D’abord, il s’agit d’une sorte de cercle vertueux. La plupart des consultants étant issus de grandes écoles de commerce et d’ingénieurs, rien de moins logique que de façonner les futurs employés. Ensuite, c’est une question d’image. Donner des cours dans les grandes écoles s’inscrit parfois dans une politique plus globale de communication qui vise à positionner le cabinet et ses consultants comme des « sachants », c’est-à-dire des experts dans leur domaine, dont le savoir est non seulement reconnu mais aussi recherché.
Sur un marché aussi compétitif que le marché parisien, il s’agit d’un élément parmi d’autres pour témoigner de la qualité du cabinet, atteste Ambroise Huret : « Les clients s’intéressent d’abord aux valeurs intrinsèques du cabinet et des équipes d’Eleven Strategy. C’est forcément positif que des associés occupent des fonctions d’enseignants, mais il ne s’agit que de l’une des nombreuses variables parmi lesquelles les clients arbitrent. »
Enfin, il s’agit d’un moyen pour repérer des talents. En intervenant auprès d’étudiants qui aspirent à entrer dans le monde du conseil, les cabinets se font connaître, font connaître la spécificité de leur activité, la manière dont ils travaillent, et peuvent identifier les profils qui correspondraient à la culture de leur entreprise. Un processus qui favorise les mariages heureux, contrairement aux jeunes qui entrent dans un cabinet qu’ils ne connaissent que de réputation, pour se rendre compte peu de temps après qu’il ne leur convient pas.
« Ce n’est pas étonnant qu’un certain nombre de partners de cabinets en stratégie soit impliqué dans l’enseignement parce que quand on fait le choix à long terme du conseil, on fait aussi le choix de la transmission continue de la connaissance », conclut Ambroise Huret. Autrement dit, les deux mondes ont de commun l’impératif de se renouveler : l’enseignant comme le consultant doivent se réinventer pour proposer de nouvelles idées et de nouvelles solutions, aussi bien aux étudiants qu’aux clients.
Lisa Melia pour Consultor, portail du conseil en stratégie
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