Dans le conseil, la marche des fiertés a fait du chemin
Les initiatives et les progrès en faveur de politiques d’inclusion des personnes LGBTQI+ actives dans le conseil en stratégie se multiplient.
Alors que les Marches des fiertés 2022 (anciennement appelées Gay Pride) se terminent, organisées entre avril et juillet aux quatre coins de la planète par les communautés LGBT – avec la participation de certains cabinets (Oliver Wyman, McKinsey…) –, Consultor a voulu faire le point sur l’inclusion des collaborateurs LGBT dans le secteur du conseil en stratégie (relire notre article de 2016 ici). On parle d’ailleurs désormais des LGBTQI+ : lesbiennes, gays, bisexuels, trans, queers, intersexes et personnes aux autres identités sexuelles ou de genre.
Il y a une constante. Seuls les plus gros cabinets de conseil en stratégie se penchent véritablement sur cette question. Oliver Wyman (premier cabinet au monde qui a accompagné la transition d’une personne trans à New York), Bain, le BCG (depuis 20 ans), McKinsey (depuis 1995), ou Roland Berger ont mis en place, et avec des moyens dédiés, une véritable politique d’inclusion des collaborateurs LGBTQI+. Pour les plus petits cabinets, en revanche, il n’y a pas d’initiatives structurées. On gère comme on peut, au fil de l’eau, et donc, on ne communique pas sur ce sujet qui reste sensible.
La question de l’inclusion des personnes LGBTQI+ n’est pourtant pas anecdotique. Car ces collaborateurs souffrent en général encore aujourd’hui de leur identité sexuelle ou de genre au sein des entreprises. Selon les dernières études du Boston Consulting Group, en 2020, seuls 43 % des personnes LGBTQI+ étaient out au travail, soit onze points de moins qu’en 2018. En 2021, en France, seuls 8 % d’entre eux perçoivent le coming out en entreprise comme un avantage (24 % à l’échelle internationale, loin derrière l’Australie, 50 %, ou les États-Unis, 43 %). Et, toujours sur le territoire national, 54 % d’entre eux déclarent avoir été victimes de discriminations sur leur lieu de travail (plaisanteries déplacées, manque de prise au sérieux, mise à l’écart…).
Du mieux depuis cinq ans
Il n’existe pas de chiffres spécifiques sur la réalité de leur inclusion dans le secteur du conseil en stratégie. Seul indice, d’après le sondage interne de McKinsey : l’environnement de travail est perçu comme accueillant pour les personnes LGBTQI+ par plus des trois quarts des équipes.
Arnaud Saiag, consultant durant cinq ans chez Oliver Wyman (auparavant sept ans chez Capgemini), a directement expérimenté. « Étant concerné moi-même, je n’en avais jamais parlé au bureau, sauf à un manager en qui j’avais totalement confiance. Dès les entretiens d’embauche chez Oliver Wyman, l’engagement GLOW [Gay, Lesbian, Bisexual, Trans and Allies at Oliver Wyman - ndlr] est présenté à l’ensemble des candidats avec toutes les initiatives qui sont faites. J’en ai été très positivement étonné. Et bien que je m’étais toujours dit que je ne ressentais pas le besoin de parler de ma vie privée dans le monde professionnel, voir que c’est possible de le faire de manière aussi simple chez Oliver Wyman m’a donné confiance et m’a poussé à m’ouvrir naturellement et spontanément. Cela a été une sorte de libération », raconte l’ancien principal en services financiers de ce cabinet, parti depuis quelques semaines pour une fintech.
La prise de conscience est bien réelle dans certains cabinets, comme en témoigne en tout cas aussi l’associé d’Oliver Wyman Germain Terreaux, depuis plus de dix ans allié des collaborateurs LGBTQI+ (comme sont nommées les personnes non LGBTQI+ qui les soutiennent). « Ma vie est facile. Je suis hétéro, marié, trois enfants. Mais on ne peut pas faire comme si le sujet n’existait pas. “Don’t ask, don’t tell”. On crée un “environnement de placard”. Moi le premier, en 2012, à l’origine de mon engagement, j’ai fait une maladresse naïve auprès d’un consultant concerné. Après une longue journée de travail, je lui ai dit “Tu as certainement ta copine qui t’attend ?” et lui m’a répondu, “Quelqu’un m’attend, mais c’est mon mec”. J’avais été involontairement agressif et sa réponse m’a définitivement ouvert les yeux. Les mentalités ont beaucoup bougé, avec l’arrivée des générations Y et Z », reconnait-il.
2019 : le tournant de la charte
Oliver Wyman, Roland Berger et EY sont signataires de la charte d’engagement LGBT+ de l’association l’Autre Cercle, qui les engage à instaurer et veiller à un environnement de travail inclusif. L’association met chaque année en lumière les dirigeants les plus actifs sur le sujet.
En 2021, Damien Renaudeau, associé d’Oliver Wyman parti récemment pour le bureau de Toronto (ici) a été mis à l’honneur par l’Autre Cercle lors de la cérémonie Rôles Modèles LGBT+ Dirigeant·e·s. En 2020, Cheikh-Anta Diallo, senior consultant chez Roland Berger et Aurore Carlo (ex-Arthur Andersen), directrice conseil chez Publicis Sapient, faisaient partie des personnes distinguées pour leur engagement de leaders en faveur de l’inclusion des personnes LGBTQI+ (relire ici). Et en 2019, lors de la première édition, Germain Terreaux, associé d’Oliver Wyman, et Chloé Caparros, project leader au BCG, avaient été distingués pour leur engagement de dirigeant et de leader, respectivement (là).
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Se déclarer gay au travail n’est pas toujours bien vu ou est difficile à vivre. En France, les cabinets de conseil se saisissent du problème depuis quelques années.
« Lorsqu’on travaille avec de grandes sociétés du CAC40 et leurs directions générales, mieux vaut fréquenter les mêmes personnes, partager leurs opinions politiques et avoir la bonne orientation sexuelle », indiquait un partner au cours d’une discussion sans rapport avec le sujet LGBT (lesbiennes, gay, bi, trans).
Les cabinets se positionnent
Alors pour rendre la vie professionnelle – et personnelle – plus simple pour les collaborateurs et futurs collaborateurs LGBTQI+, ces grands cabinets adoptent une stratégie proactive. Roland Berger reconnait avoir accéléré sa politique d’inclusion depuis deux ans, avec la nomination au bureau parisien de Claire Pernet en tant que Chief Diversity Officer, l’organisation d’une Pride Week ou la création de Working Out, premier programme de mentoring à destination des étudiants et jeunes diplômés LGBTQI+ en France.
« C’est une initiative cofondée et présidée à l’initiative de Basile Anthonioz, case team leader. Il a pu ainsi bénéficier d’un congé sabbatique dédié au printemps 2022 pour en accélérer le développement », précise Claire Pernet.
Le cabinet McKinsey a lui décidé de lancer une grande enquête, LGBT+ Voices, réalisée auprès de 2 000 salariés à travers le monde. « Afin de définir nos actions prioritaires, nous sommes partis des besoins des personnes LGBTQ+. Nous avons ainsi identifié quatre défis spécifiques : le coming out, la discrimination, les micro-agressions, l’isolement. En retranscrivant la voix de ces salariés, qui pour la plupart cachent leur orientation sexuelle, nous avons voulu donner aux dirigeants les moyens de mener des actions qui répondront aux besoins de tous les salariés », confirme Pierre-François Bacquet, directeur associé de McKinsey.
L’importance des réseaux-vitrines
L’inclusion, aux yeux des cabinets, passe aussi par des réseaux, collaborateurs LGBTQI+ et alliés : Pride@BCG créé par Thomas Delano, promu associé en début d’année (relire ici), Just Be et Just Be Friends (pour les alliés) chez Roland Berger, GLAM (Grow, Lead, Advance and Mobilize) pour McKinsey.
Pour s’adapter aux évolutions très rapides de ces notions d’identités, le cabinet Oliver Wyman a même décidé de changer le nom de son réseau : le GLOW disparait au profit de prOWd (prononcer « proud »), en référence à la Marche des fiertés. « Le nom GLOW était devenu trop restrictif. Il y a beaucoup plus de sujets, de combats, même les couleurs ont évolué. Cela nous permet de lancer une nouvelle dynamique, avec, par exemple, une enquête que nous menons auprès des dirigeants sur l’inclusion, notre participation à la Pride, des petits événements que nous lançons le vendredi », explicite le partner Germain Terreaux, fier d’avoir lancé le réseau en France il y a dix ans, deux ans seulement après les États-Unis, et avant même la loi sur le mariage pour tous en France (en 2013).
Un affichage très assumé
Superfétatoires ou pas, des drapeaux arc-en-ciel sont même déployés dans les bureaux d’Oliver Wyman. Une volonté de montrer l’engagement plus que volontariste du cabinet aux côtés des collaborateurs LGBTQI+, et de créer un safe-space propice à leur bien-être. « Ils savent qu’ils peuvent échanger et partager, et à tous les niveaux de la hiérarchie. Et ce, jusqu’au CEO monde, très impliqué, qui dit se nourrir de l’inclusion pour son propre management. Lorsque nous transférons un consultant, nous veillons à ce qu’il n’y ait pas de contraintes en fonction de pays plus fermés sur la question, comme la Russie, le Moyen-Orient. Par ailleurs, nous avons une politique RH sur le sujet, notamment l’aide à certaines démarches administratives », confirme le partner d’Oliver Wyman Germain Terreaux. Le cabinet a ainsi réalisé une vidéo de témoignages diffusée en interne, « It gets better », en prenant une position ouvertement ferme sur la persécution des LGBTQI+ en Europe de l’Est.
Quid des comportements homophobes ?
Pas de « name and shame », pas de sanctions visibles. « Nous encourageons les collaborateurs à nous les signaler de façon anonyme, car nous voulons traiter les signaux faibles. Il ne faut plus que cela arrive et depuis dix ans il est vrai qu’on n’entend plus de remarques homophobes. Alors, notre objectif est plutôt de créer un environnement positif », signifie Germain Terreaux.
Pas de comportements homophobes remontés chez Roland Berger non plus. « Mais pour prévenir ces comportements et éliminer des paroles parfois limites (stéréotypes, préjugés), nous avons mis en place un plan d’action grâce à de nouveaux canaux de remontée d’informations et de communication via les mentors, notre référent harcèlement au CSE, notre équipe RH, et notre Young Leader Comex notamment, et à l’organisation de séances de formation et de sensibilisation avec, par exemple, l’intervention de la compagnie Co-Théâtre [spécialisée sur le travail théâtral comme levier de bien-être et de performance en entreprise – ndlr] », témoigne Claire Pernet de Roland Berger.
Chez McKinsey, c’est une formation contre les biais inconscients qui est proposée à tous les nouveaux entrants. « Elle vise à faire prendre conscience de ses propres biais et à donner les clés pour s’en détacher lors de ses interactions aux autres. Ce travail de formation et de sensibilisation s’appuie en outre sur un principe d’ambassadorat. Par l’intermédiaire des membres ou alliés du réseau GLAM – tous les collègues qui le souhaitent peuvent s’engager pour devenir des GLAM Allies –, les messages d’inclusion sont partagés au sein des équipes », complète Pierre-François Bacquet de McKinsey.
Pas de discrimination positive
Une inclusion encouragée, mais pas forcée. Les cabinets, à l’instar d’Oliver Wyman, de McKinsey ou de Roland Berger, affirment cependant ne pas mener de discrimination positive lors des phases de recrutement. « Nous ne faisons pas de recrutements favorisés, mais dédiés, en communiquant sur le prOWd à tous les candidats et lors de toutes nos interventions dans les écoles », souligne Germain Terreaux d’Oliver Wyman. « Nous intervenons dans différents événements sur le sujet, par exemple lors du forum de recrutement LGBT Talents où notre associé du bureau de Paris, Matthieu Simon, également sponsor de l’inclusion LGBTQ+, a participé à une conférence dédiée en novembre 2021 », amende Claire Pernet de Roland Berger. Ni sur les recrutements, ni sur les promotions non plus chez McKinsey. « Nos critères de sélection et d’évolution sont exigeants, et les processus de recrutement et d’évaluation sont les mêmes pour tous. Nous agissons en amont du processus de recrutement, afin de partager notre engagement aux profils LGBTQ+ de haut niveau que nous recrutons », assure son directeur associé Pierre-François Bacquet.
De l’intérêt de l’inclusion des LGBTQI+
De telles politiques inclusives sont évidemment humainement des plus louables. Mais les cabinets qui les ont mises en place y voient d’autres intérêts, bien sûr en termes d’image positive, mais aussi de critères de choix pour une part des futurs collaborateurs.
C’est le cas de Hakim Saadani, diplômé de CentraleSupélec en 2017, qui a rejoint Oliver Wyman en tant que consultant en février 2021. « Notre signature de la charte de L’Autre Cercle et nos efforts pour garantir le bien-être de nos collaborateurs LGBT+ l’ont immédiatement séduit », certifie l’associé Germain Terreaux.
Le cabinet Roland Berger a la forte conviction qu’une diversité apporte également une forte valeur ajoutée « dans la réflexion collective et la qualité de notre travail auprès de nos clients, mais aussi en termes d’efficacité de collaborateurs plus sereins ».
Le concernant, les efforts d’inclusion du cabinet ont sans doute été ternis par la polémique qui a touché le managing partner du bureau français, Olivier de Panafieu, mis à pied pour avoir accueilli à son domicile une soirée en faveur d’Éric Zemmour en amont de la dernière élection présidentielle (relire notre article). Un Éric Zemmour dont les positions homophobes sont connues.
Ceci dit, les retombées positives de politiques inclusives extensives sont évidentes pour tous les cabinets. « Nous sommes convaincus que le bien-être des employés a un impact sur le business, car cela permet à ces collaborateurs de se concentrer sur leur travail sans être agités ou anxieux vis-à-vis de leur identité. Ce qui est bon pour les salariés est bon pour l’entreprise », soutient Germain Terreaux d’Oliver Wyman.
Cela peut générer également plus de performance sur un plan interpersonnel, selon l’ex-principal d’Oliver Wyman, Arnaud Saiag. « Avoir des discussions plus ouvertes avec les consultants que j’ai pu encadrer, c’est créer un climat de confiance, une meilleure entente entre individus et une cohésion d’équipe renforcée, qui ont évidemment des effets positifs sur la performance de l’équipe », souligne-t-il.
Tout cela n’est-il que du pinkwashing ? Les politiques inclusives étant, d’autant plus, souvent poussées par la com des cabinets indépendamment des réalités des consultants au jour le jour. La réponse vient des premiers concernés. « Je n’ai jamais ressenti cela, les actions sont sincères et assumées. Moi qui étais auparavant assez réservé, arriver dans ce cabinet et m’ouvrir, je me suis réellement révélé. Cela m’a aussi permis de réaliser qu’on peut en parler et que cela libère. D’ailleurs, j’en ai déjà parlé dans ma nouvelle boite, bien sûr beaucoup moins organisée sur le sujet, et cela s’est fait très simplement. Je vais contribuer à la mise en place d’une politique plus structurée », se réjouit l’ex-principal d’Oliver Wyman, Arnaud Saiag. Quelles que soient les raisons qui poussent les cabinets à se positionner, cela permet une évolution des mentalités.
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