Déconfinement entre mi-juin et fin juillet : la chronique d’un bad buzz au BCG
Une note du Boston Consulting Group – datée du 26 mars et destinée à l'usage interne d'un client – circule sur les réseaux sociaux depuis le début avril et a été reprise par la presse augmentant d’autant la caisse de résonance de son contenu : le cabinet y avance des dates de déconfinement dans vingt pays, dont la France.
- Québec : McKinsey sous la menace d’une nouvelle enquête parlementaire
- Info Consultor : Orphoz, la filiale de McKinsey qui paie l'IS
- « Vous insinuez qu’il y aurait des marchés pas clairs. Prouvez-le ! »
- Covid : le ministère de la Santé rappelle McKinsey
- Vaccin covid : l'activisme de Bill Gates passe par la case McKinsey
- Exclusif – Tests, vaccins : dans les coulisses de la polémique McKinsey
- Vaccins : McKinsey n'empêche pas le retard à l'allumage
- Haro sur les vrais faux stratèges : le coup de gueule du président de CVA chez Forbes
Dans l’Hexagone, le BCG anticipe que la sortie de confinement interviendrait entre mi-juin et fin juillet. Sauf qu’Emmanuel Macron a annoncé lundi 13 avril que le déconfinement débuterait le 11 mai.
Même confinés chez eux, le téléphone des partners du Boston Consulting Group a beaucoup sonné ces derniers jours. Nombre de clients appellent, inquiets.
En cause, deux slides datées du 26 mars qui tournent massivement sur les réseaux sociaux. Le cabinet s’y livre à un exercice de projection du nombre quotidien de personnes infectées par le coronavirus et l’évolution probable du nombre de personnes infectées dans vingt pays.
Ce que dit la note du BCG
Le cabinet en infère une date probable de déconfinement à partir des durées observées à Wuhan et dans la province du Hubei, « les seuls confinements de large échelle à avoir été levés ». Les projections sont retentissantes. D’autant plus quand des opinions publiques exaspérées par un enfermement aussi inédit que difficile cherchent désespérément à se mettre sous la dent le moindre indice d’une date de sortie du tunnel du confinement.
Au plus tôt, projette le cabinet, l’Espagne, la Suède, la Norvège sortiraient de confinement la première semaine de juin. Puis suivraient une semaine plus tard les États-Unis, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et… la France.
Et dans le pire des cas – en fonction du nombre de lits disponibles à l’hôpital, de l’évolution des cas d’infections respiratoires, de la capacité des gouvernements à gérer la crise –, le BCG ne prévoit aucun déconfinement avant la troisième semaine de juin en Suède et, au plus tard, la deuxième semaine de septembre en Inde. En France, le cabinet anticipe une sortie de déconfinement au plus tard la quatrième semaine de juillet.
Entre deux et quatre mois de confinement en plus en France
Soit un considérable allongement de la durée de confinement alors envisagée par les autorités françaises. Le 26 mars, la date de la note, elles n’avaient même pas encore annoncé une première prolongation de quinze jours du confinement instauré le 17 mars.
Le Boston Consulting Group écrit donc noir sur blanc que la durée de confinement sera en France entre deux mois et demi (dans le cas de la deuxième semaine de juin) et quatre mois plus longue que celle officiellement annoncée par les autorités françaises.
Boom médiatique garanti, d’autant plus que la marque du BCG vaut blanc-seing sur la crédibilité des faits avancés. D’abord dans des cercles restreints d’internautes : dès le 3, la slide du BCG concernant la France apparaît sur les réseaux sociaux, sur Twitter notamment ici.
Écho médiatique
Un des premiers journalistes à l’avoir partagée en France (là), François Rauzy, explique à Consultor l’avoir lui-même reçue par un ami via un message privé sur Facebook qui, déjà, renvoyait vers la note dans son intégralité (désactivée depuis).
Puis dans un cercle médiatique beaucoup plus large. Le 7 avril au matin, La Lettre A parle du pessimisme du BCG quant au déconfinement. L'Express, Marianne, Sputnik lui emboîtent le pas le même jour, suscitant des centaines de partages.
Au point d’obliger le cabinet à publier un communiqué non daté (a priori mis en ligne le 11 avril) dans lequel il indique qu’« un document de travail daté de plus d’une semaine, illustrant un scénario de la manière avec laquelle virus covid-19 pourrait évoluer, a circulé sans contexte ni autorisation du BCG ».
Opération désamorçage
Le cabinet y rappelle toutes les précautions d’usage qui figuraient déjà dans le document initial : l’épidémie de covid-19 évolue très rapidement, les durées de confinement sont sujettes à de nouvelles mesures prises par les gouvernements, ces projections n’ont pas vocation à constituer le point de vue officiel du cabinet ni à se substituer à des recommandations sanitaires ou sécuritaires officielles.
« Ce document n’a pas été envoyé à nos clients et ne constitue pas la position officielle du cabinet. Il s’agissait de scénarios établis pour le compte d’un client qui ont été “outés” », confirme à Consultor Pascal Cotte, senior partner du BCG à Paris.
Sur l’origine de la fuite, no comment du cabinet. « Quand on fait des travaux qui n’ont pas vocation à être publiés, mais qui le sont, on a pour politique de ne pas communiquer et de continuer à protéger la confidentialité des échanges avec nos clients », explique encore l’associé.
En attendant, le cabinet s’est évertué à colmater la fuite. Opération désamorçage donc, dans plusieurs médias. À l’instar de 20 Minutes dans un article du 8 avril dans lequel une source au sein du BCG explique également que les éléments présentés dans cette note n’ont qu’une valeur « d’hypothèses de travail (et non de prévisions) qui permettent aux entreprises de construire des stratégies d’adaptation dans des contextes de fortes incertitudes ». « Faut-il croire l’étude du BCG ? » s’interrogent de concert Le Point et RTL.
Peu de chances que le rétropédalage ait autant d’écho que la note initiale, d’autant moins qu’entre-temps l’étude dans son intégralité a été répliquée à plusieurs reprises (ici et là notamment).
Emmanuel Macron annonce le début du déconfinement le 11 mai
Car lundi 13 avril, Emmanuel Macron annonce que le début du déconfinement pourrait intervenir à compter du 11 mai. Ce qui a valu au BCG quelques moqueries en ligne. « Fin du confinement le 11 mai. Un commentaire ou des bons de réduction de la part du BCG ? », a réagi Stéphane Distinguin, le patron de Fabernovel, suscitant des likes aussi de partners dans des cabinets concurrents. Joint par Consultor, il ne souhaitait pas faire de commentaire supplémentaire, indiquant seulement avoir été surpris de cette publication de la part du BCG.
« Quand des consultants, très respectables, se mettent à prédire ce qui va se passer d’ici un trimestre ou deux, je commence à me faire du souci pour notre profession. S’ils peuvent prédire l’avenir, tout particulièrement dans ces temps très incertains, ils feraient mieux d’investir sur les marchés », a également tancé Paul-André Rabate.
Pour le managing partner de Corporate Value Associate, cette note du BCG – quand bien même sa publication n’est pas volontaire – illustre une culture grandissante du « publish or perish ». « J’en reçois dix fois plus de la part de McKinsey. Les associés de cabinets passent leur temps à faire des études. Faire des scénarios pour le compte de clients, très bien. Mais dire que tel scénario est plus probable qu’un autre, c’est criminel. C’est d’autant plus criminel dans le contexte actuel où habituer l’opinion à l’idée d’une date de déconfinement peut potentiellement tuer des gens. On ne parle pas de la perte d’un milliard d’euros », indique-t-il à Consultor.
Si le soufflé retombait doucement cette semaine, le feu n’était pas complètement éteint. Lundi, peu avant l’allocution d’Emmanuel Macron, Tourmag, le journal des professionnels du tourisme, prédisait que l’allongement au 11 mai du confinement que s’apprêtait à annoncer le Président de la République serait peut-être à nouveau étendu. Argument massu à l'appui : le rapport « fuité » du BCG.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (4)
citer
signaler
citer
signaler
citer
signaler
citer
signaler
France
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.
- 15/10/24
Début octobre, deux nouveaux partners ont disparu de la liste des associés de la Firme : Guillaume de Ranieri, poids lourd du cabinet où il évoluait depuis 24 ans, et Xavier Cimino, positionné sur une activité stratégique.
- 07/10/24
Doté d’un parcours dédié presque exclusivement au conseil (BCG, Kearney, Accenture - entre autres), Mathieu Jamot rejoint le bureau parisien de Roland Berger.
- 03/10/24
Depuis avril 2024, les arrivées se succèdent : après Jean-Charles Ferreri (senior partner) et Sébastien d’Arco (partner), Thierry Quesnel vient en effet renforcer les forces vives, « pure strat » et expérimentées, d’eleven.
- 02/10/24
Minoritaires sont les cabinets de conseil en stratégie à avoir fait le choix de s’implanter au cœur des régions françaises. McKinsey, depuis les années 2000, Kéa depuis bientôt 10 ans, Simon-Kucher, Eight Advisory, et le dernier en date, Advention… Leur premier choix, Lyon. En quoi une vitrine provinciale est-elle un atout ? La réponse avec les associés Sébastien Verrot et Luc Anfray de Simon-Kucher, respectivement à Lyon et Bordeaux, Raphaël Mignard d’Eight Advisory Lyon, Guillaume Bouvier de Kéa Lyon, et Alban Neveux CEO d’Advention, cabinet qui ouvre son premier bureau régional à Lyon.
- 23/09/24
Retour sur la dynamique de croissance externe de Kéa via l’intégration capitalistique de Veltys – et le regard du PDG et senior partner de Kéa, Arnaud Gangloff.
- 23/09/24
Astrid Panosyan-Bouvet, une ancienne de Kearney, et Guillaume Kasbarian, un ex de Monitor et de PMP Strategy, entrent dans le copieux gouvernement de Michel Barnier, fort de 39 ministres et secrétaires d’État. Bien loin des 22 membres du premier gouvernement Philippe ; ils étaient 35 sous le gouvernement Attal.