Exclusif – Tests, vaccins : dans les coulisses de la polémique McKinsey
Pas un mot. Après trois jours de battage où tout d’un coup médias, élus et opinion ont découvert l’implication d’un certain nombre de cabinets de conseil dans la conduite des affaires de la République, il n’en a finalement rien été de l’opération transparence promise par le gouvernement concernant la mission de McKinsey pour accompagner le ministère de la Santé dans la campagne de vaccination contre la covid (relire notre article). Des accompagnements de conseil dont a depuis appris qu'ils avaient aussi été confiés à Accenture (pour le système d'information de suivi de la vaccination), Citwell et JLL (accompagnement de la logistique et de la distribution du vaccin).
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Pourtant dans l’après-midi de jeudi 7 janvier, quelques heures avant la conférence de presse qu’ont donnée jeudi soir le Premier ministre et le ministre de la Santé pour faire le point sur le déploiement des vaccins en France, Le Monde avançait que Jean Castex pourrait détailler les missions exactes du cabinet de conseil privé McKinsey & Company. Il n’en aura rien été. Tout juste Jean Castex aura-t-il évacué « les polémiques stériles ».
La veille, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, avait reconnu qu’il avait « été fait recours au cabinet pour la campagne vaccinale » et « dans notre pays depuis plusieurs années et même plusieurs quinquennats un recours à des cabinets de conseil lorsque sont élaborés, mis en œuvre, des grands projets qui nécessitent un appui, des conseils stratégiques, logistiques ». Sans que le contrat McKinsey en question ne soit clarifié.
Le non-sujet McKinsey
Le cabinet, de son côté, ne se montre pas plus loquace, après que Consultor a multiplié les appels jeudi pour le faire réagir. Thomas London, directeur associé au bureau de Paris, qui dirige les pôles d’activité santé et secteur public, indique seulement que les consultants du cabinet ne parlent pas en direct à la presse et qu’il n’a aucun commentaire à faire.
Idem d’un autre consultant en interne qui explique que la politique du cabinet est de ne pas communiquer avec l’extérieur – ce qui est en décalage avec la transparence promue par l’entreprise qui, devant la multiplication des polémiques la concernant, s’était engagée à en dire plus et plus souvent (relire notre article).
Une mission dans les tuyaux depuis courant novembre
Dans le secteur, la mission McKinsey au ministère de la Santé était dans les tuyaux depuis courant novembre. « Nous avions suggéré au gouvernement un appui de manière très proactive parce que nous avions la certitude que le sujet n’était pas logistique. Mettre les doses aux portes des hôpitaux nous apparaissait un obstacle surmontable. Là où il nous semblait qu’il y avait une difficulté plus urgente était de faire en sorte qu’une fois livrées sur les lieux de vaccination, ces doses soient reçues dans de bonnes conditions par les patients auxquels elles étaient destinées, qu’un effort de pédagogie particulier soit fait sur ce point », dit anonymement l’associé d’un cabinet concurrent qui travaille en lien très étroit avec le gouvernement, que ce soit à Matignon, Bercy ou l’Élysée, sur le sujet de la pandémie.
Cette fois-ci, la proposition de mission de conseil ne prend pas. Et pour cause : McKinsey a alors déjà été retenu, préféré par le ministère de la Santé notamment du fait des nombreuses missions d’accompagnement des campagnes vaccinales déjà réalisées par le cabinet auprès d’autres États.
Pourquoi McKinsey sur ce sujet
Au Royaume-Uni, le gouvernement a abondamment fait appel à nombre de cabinets de conseil pour l’accompagner dans la gestion de la crise de la covid – au premier rang desquels McKinsey (relire les décomptes du Guardian). Aux États-Unis, le cabinet a également été très sollicité : entre mars et juillet, il a signé pour 100 millions de dollars de missions d’accompagnement d’agences fédérales, de gouvernements d’États régionaux ou de villes (relire notre article).
Des antécédents qui sont cohérents avec l’une des attentes principales de la mission de McKinsey au ministère de la Santé : fournir rapidement des comparatifs internationaux (benchmark) au gouvernement entre la stratégie vaccinale envisagée par la France et celle d’autres pays. D’ailleurs, le Premier ministre au cours de sa conférence de presse de jeudi 7 janvier a insisté à plusieurs reprises sur la pertinence des objectifs de vaccination français (un million de personnes vaccinées d’ici fin janvier et des 600 centres de vaccination envisagés sur le territoire), comparés aux chiffres d’autres pays.
McKinsey, un bon comparateur des réponses étatiques de la covid : c’est la première raison de l’achat de la mission. Ce qu’a confirmé à Politico un proche d’Emmanuel Macron jugeant que les groupes de conseil fournissent du benchmarking international et des bonnes pratiques plus facilement et plus vite que les fonctionnaires.
Deuxième raison de cette mission : McKinsey n’en était pas à sa première aux côtés du ministère de la Santé dans le cadre de la covid. Le cabinet avait déjà chapeauté une task force lancée le 1er avril pour coordonner plusieurs directions ministérielles qui, selon les informations alors obtenues par Mediapart, n’arrivaient pas à travailler efficacement entre elles (relire notre article).
La mission sur les tests au printemps
Ce dont se souvient aussi un des participants de cette task force, interrogé par Consultor à la condition de l’anonymat : « Devant l’ampleur du problème, la Direction générale de la santé a éprouvé le besoin de se faire accompagner par de hauts fonctionnaires venus de divers ministères. McKinsey n’était pas à toutes les réunions, mais était chargé de circonscrire le paysage très complexe et complètement nouveau des fournisseurs de tests covid. Il faut se souvenir que l’État s’est retrouvé dans la situation de devoir démultiplier en un rien de temps les fournitures des tests covid dont certains étaient très bons et d’autres très mauvais. Des dizaines de fournisseurs en proposaient des quatre coins du globe, de Russie, de Chine, de Corée du Sud... L’impératif du gouvernement était que ceux qui seraient utilisés par des millions de Français soient irréprochables et d’éviter un scénario espagnol (le gouvernement ibérique avait acquis 640 000 tests défectueux en Chine, ndlr). McKinsey a fourni un inventaire complet des fournisseurs et un système d’évaluation. Sur ce qu’on leur avait demandé, ils ont travaillé efficacement et puissamment. »
Un bilan positif aux dires de ce participant qui a peut-être convaincu le ministère de la Santé de travailler à nouveau avec McKinsey sur les vaccinations. Les deux missions n’ont rien à voir l’une avec l’autre : la première s’est achevée à l’été avec la fin de la première vague alors que la nouvelle mission vaccinations a démarré le 30 novembre comme l’a appris Politico.
Rien à voir donc l’une avec l’autre, même si elles relèvent bel et bien toutes deux du même contrat-cadre. Ce marché de transformation de l’action publique de l’État français entre 2018 et 2022 d’une valeur globale de 100 millions d’euros avait été attribué à vingt cabinets principaux et soixante-trois sous-traitants spécialistes le 22 juin 2018 (relire notre article). Très précisément, ces deux missions dépendent du lot 1 de ce marché, de stratégie et politiques publiques, d’une valeur de 20 millions d’euros. Ce lot avait été attribué au Boston Consulting Group, à Roland Berger et à McKinsey.
Ironie de l’histoire, ce marché est taxé d’opacité alors qu’il constitue plutôt un effort de rationalisation comparé à ce qui préexistait. En effet, depuis le développement du recours à ces cabinets de conseil, qui s’est fortement accéléré avec la Révision générale des politiques publiques du gouvernement de Nicolas Sarkozy en 2007, chaque ministère avait une certaine latitude dans le choix des cabinets et des missions. Depuis 2018, les vingt-cinq personnes de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), logées avenue de Ségur à Paris parmi l’ensemble des services du Premier ministre, sont censées faire office de garde-fou en matière de dépenses de conseil ministérielles et aider au choix des trente à trente-cinq missions de conseil par an pour le top 500 de l’administration : les directeurs généraux au sein des ministères, les directeurs de cabinet…
Deux millions d’euros par mois, des honoraires « lunaires » ?
Y compris les 20 millions d’euros pour trois cabinets sur quatre ans prévus en matière de stratégie de politiques publiques : c’est dans ce cadre-là, donc, que McKinsey est intervenu par deux fois au ministère de la Santé sur les tests et les vaccins covid. Une prestation dont l'hebdomadaire Le Point dit qu'elle est facturée deux millions d’euros par mois. Ce qui au taux moyen journalier de 3 000 euros par consultant ferait 30 consultants McKinsey à temps plein sur la mission ministère de la Santé... « Cela me paraît lunaire », glisse un associé d’un cabinet habitué de ces marchés.
On connaît donc grosso modo les raisons du choix de McKinsey, le cadre juridique dans lequel l’État a fait appel à ce cabinet et la date de démarrage de la mission. Jusqu’à la réunion du 23 décembre dont faisait état Le Canard Enchaîné dans sa livraison du mercredi 6 janvier qui réunissait le ministre de la Santé, des agences régionales de la santé et des hôpitaux en vue du démarrage de la campagne de vaccination le dimanche 27 décembre.
Le cabinet y présente alors le calendrier des six prochains mois de vaccinations par populations cibles (résidents des EHPAD, personnes de plus de 75 ans), des comparatifs internationaux de ce qui est prévu, par exemple en Allemagne, selon certains slides de la présentation obtenus par Mediapart.
Sans que la présence du cabinet au cours de cette réunion en visioconférence ait été évidente pour tous. Un représentant des agences régionales de santé qui participaient à l’appel explique à Consultor ne pas savoir qui est McKinsey et ne pas avoir compris qu’un cabinet extérieur participait à ce point.
Une impression de flou qui rejoint le récit fait par Le Canard Enchaîné. Le journal explique comment tout d’un coup, au cours de cette réunion, le ministre de la Santé passe la parole à un élu juppéiste qui n'est autre qu'un consultant chez McKinsey depuis quelques années, sans expliquer de qui il s’agit.
Un flou qui va également dans le sens de ce que laissait entendre le Premier ministre jeudi : McKinsey, « polémique stérile » au regard des enjeux sanitaires.
« Quel anti-américanisme primaire ! », s’étrangle notre source qui a participé à la task force gouvernementale du printemps.
« Je peux comprendre que cela interroge, réagit de son côté un associé concurrent de McKinsey habitué de ces contrats de conseil en stratégie pour l’État, qui a requis l’anonymat. Mais ce qui me surprend est que nous partions du principe que l’association de l’État et des cabinets de conseil ne fonctionne pas alors que ces collaborations en France comme dans beaucoup de pays peuvent être fructueuses. De ce point de vue, soit notre culture n’est sans doute pas assez mature, soit ces relations manquent de transparence, soit un peu des deux. Dans cette culture-là, avec cette transparence-là, je peux comprendre qu’il y ait une polémique. Les choses pourraient aller différemment dans un environnement plus éduqué : pourquoi ne pas imaginer que l’État exprime des besoins de conseil aux yeux de tous, que des cabinets A, B ou C y répondent, et ce en totale transparence. En tant que citoyen, je serais alors vigilant pour que les résultats soient au rendez-vous et que les deniers publics soient bien utilisés. »
Un vœu de davantage de transparence, qui peut-être sera entendu par ceux qui s’y montrent encore réticents.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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