Greenwich : la comète consulting des années 2000
Une histoire de spécialisation, de croissance et de… chance ! C’est en ces termes que les fondateurs et anciens salariés de Greenwich Consulting (Gwc) se souviennent de la création de la boutique de conseil en stratégie passée de 5 à 100 personnes en 3 ans et devenue une référence dans les télécommunications. Une comète aussi rapide qu’éphémère. Stoppé net par la crise financière de 2008 et des tentatives de diversification peu porteuses, le cabinet est racheté par EY en septembre 2013. Voilà 10 ans, quasi jour pour jour.
- Avec le retour de la guerre des prix, quelles priorités stratégiques pour les opérateurs télécoms en France ?
- Quand McKinsey mettait son tampon sur le pari Orange Bank
- Le géant Telefónica s’appuie une nouvelle fois sur McKinsey
- Nouveau patron pour EY-Parthenon France
- Un nouvel associé TMT chez EY-Parthenon
- À dada sur la météorite gaming
- Ces stratèges qui œuvrent au Netflix à la française
- Bouygues, Free, SFR, Orange : « On est passé de 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires à trois, à 30 milliards à quatre »
2001. Après des années florissantes, l’explosion de la bulle Internet entraîne les télécoms avec elle. Les fabricants de téléphones, Motorola, Ericsson, Siemens, Lucent, Philips, Nokia, multiplient les annonces de suppressions d’emplois. De même, les opérateurs, Orange, T-Mobil, Verizon, reportent leur introduction en bourse.
C’est à cette époque qu’un groupe de partners d’EY, aussi copains à la ville tous issus de Bossard, de Gemini ou d’EY, lorsque la SSII européenne a été rachetée par le géant de l’audit, forment l’idée d’un cabinet de conseil spécialisé.
Certains ont un background académique dans le domaine, comme David Naim ou Hubert Reynier. Puis, avec Pierre Beaufils et Cédric Foray, ils font le plus clair de leurs missions dans les télécommunications où ils notent la frustration récurrente des clients.
Ce dont se souvient David Naim, un des cofondateurs, qui sera CEO du cabinet : « Les télécommunications, c’est avant tout et fondamentalement un truc technique, ce que beaucoup de clients ne trouvaient pas nécessairement chez les consultants qu’ils appelaient. »
C’est un facteur clé du lancement et du boom de Greenwich. Des cabinets de conseil en stratégie spécialisés par secteur, il n’en n’existait que peu ou pas, encore moins sur les telcos en particulier.
Un cabinet 100 % telcos, une grosse innovation pour l’an 2000
« Cela paraît bête à dire aujourd’hui, puisque c’est devenu la norme, mais on s’est dit : “Pourquoi est-ce qu’on ne monterait pas un truc sectoriel ?” », s’amuse a posteriori David Naim (aujourd’hui leader du secteur grande conso chez EY et romancier dans la vie privée).
Plus pragmatiquement, les quatre compères étaient initialement mus par une envie entrepreneuriale commune. Le conseil en stratégie n’a été retenu qu’après avoir exploré toutes sortes d’autres concepts parfois franchement éloignés. « L’idée qui était allée le plus loin était une plateforme de services de facilitation en cas de décès », se remémore Cédric Foray.
Finalement, le choix de la raison et l’ampleur des besoins clients exprimés l’emportent : en septembre 2001, curieux auspices pour un lancement, Greenwich est officiellement lancé.
Rapidement, ce positionnement de spécialistes prend, notamment du fait de l’attractivité qu’exerce la nouvelle marque Greenwich aux yeux des fanas de telcos. « Cela nous a permis de recruter sur un marché où nous n’avions pas de nom », s’enthousiasme encore aujourd’hui Cédric Foray.
Des jeunes et des moins jeunes font confiance au cabinet naissant. Même quand les recrutements se font dans des conditions un peu informelles. L’histoire veut que Solenne Blanc, devenue senior partner, puis partner chez EY après le rachat, et qui est à présent directrice générale de Beaux-Arts & Cie, a passé ses entretiens de recrutement dans un bar.
« On ne recrutait pas sur une marque, sur des locaux, sur un salaire ou sur une grosse moquette », souligne Cédric Foray. Non, le premier argument pour attirer les candidats était la garantie que Greenwich leur offrait de bosser dans leur secteur de cœur. Le critère de la passion fonctionne : une équipe, de 25 personnes la première année, est vite sur pied.
Les clients suivent, et avec eux, la notoriété grandissante de Greenwich. La première offre de réseau mobile virtuel NRJ Mobile ? Greenwich. « On a encore la carte Sim numéro 1 ! », rigole à présent David Naim. Le démarrage de la 3G dans l’Hexagone ? Greenwich. Le lancement du premier iPhone d’Orange en France ? Greenwich. Les débuts de la fibre ou de la télé sur mobile ? Greenwich.
Une référence en amène une autre. La mayonnaise prend. « J’aimerais pouvoir vous dire que nous avions été des génies et que tout avait été pensé à l’avance. Ce n’est pas le cas » modère David Naim.
Entreprise libérée ?
S’ajoute à cette dynamique positive, une politique RH responsabilisante et voulue comme telle dès le démarrage. Il est fait de responsabilisation rapide et de partage de la valeur. « Il nous manquait tout le temps des gens, on payait moins bien que le BCG ou Bain, et nous n’avions pas la même marque : c’était hyper intéressant et grisant ! Nous devions faire vivre d’autres arguments », se rappelle Odile Journy, qui fut à la tête des ressources humaines du cabinet.
La pyramide hiérarchique se veut plus plate qu’ailleurs, avec moins de grades à franchir que dans la concurrence. « Les consultants faisaient tourner eux-mêmes la boutique avec des projets internes transverses et structurants », raconte Odile Journy.
Charge par exemple au consulting staff d’organiser au moins deux séminaires par an – un mot poli pour décrire les gros week-ends qui ont aussi marqué les esprits de celles et ceux qui sont passés par l’entreprise.
« On avait entre 30 et 40 ans, on bossait comme des dingues, on a fait de très grosses fêtes pour célébrer et on a eu bien raison », se réjouit encore aujourd’hui David Naim. Autre preuve de la culture libérale de la boîte, la terrasse des bureaux du cabinet rue de l’Université, avec une vue imprenable sur le quai Branly, était mise à dispo pour qui le souhaitait les week-ends. Un bon plan qui a duré jusqu’à ce que les voisins s’en plaignent !
Responsabilisation encore quand les consultants prennent le pouls de la boîte. « Une partie du travail qu’une direction des ressources humaines n’arrive jamais à faire, des interactions quotidiennes pour s’assurer que tout le monde va bien », pointe Odile Journy.
Au-delà de la culture et des valeurs, un solide plan d’intéressement aide aussi à fidéliser. Il est échafaudé d’emblée et donne lieu à des rémunérations importantes pour l’ensemble du staff de consultants. Tout comme les ventes d’actions auxquelles les consultants même très juniors pouvaient vite accéder. « On vendait des actions même aux plus jeunes, on voulait que les consultants croient au projet », appuie David Naim.
L’élargissement aux médias
Les leviers de fidélisation fonctionnent et les gens globalement restent. Ce dont témoignera aussi Danielle Attias, une autre des figures de Greenwich. Dans sa vie après conseil, elle est devenue directrice déléguée de France Télévisions en charge de Salto, le Netflix à la française qui s’est arrêté en 2023.
De ses années Greenwich, elle dit avoir été séduite par « l’énergie entrepreneuriale de ses fondateurs, la pression et l’enthousiasme ».
Danielle Attias incarne aussi un premier élargissement du périmètre de Greenwich. De telcos à 100 % pour ses 5 premières années d’existence, le cabinet a ensuite ouvert le champ aux médias. « C’est venu assez naturellement, plein de clients dans les télécommunications nous ont emmenés vers les médias, sur des sujets tels que l’ADSL ou la télévision », se souvient David Naim. France Télévisions, M6, Radio France, RTL, Le Parisien, L’Équipe, Sud-Ouest, La Voix du Nord, AFP, Groupe Rossel… là encore les clients se multiplient.
En parallèle, le cabinet s’internationalise vite, mis sous pression en cela par France Télécom qui était parmi les premiers gros clients et souhaitait que le cabinet élargisse sa couverture mondiale. Cela se fit par bureaux successifs en Europe, puis aux États-Unis et en Afrique, un terrain de développement ciblé très tôt par les opérateurs de téléphonie.
« À chaque fois que nous partions en déplacement en Afrique, on rentrait avec un nouveau projet pour un CEO », se souvient Cédric Foray. L’accompagnement du démarrage de la mobile money aux côtés de l’opérateur sud-africain MTN compte parmi ceux-là et a beaucoup crédibilisé le cabinet. Orange, Orascom en Algérie ou Tunisie Telecom ont également été des clients sur le continent africain.
Jusque-là, la success story était parfaite ou quasi.
Diversification tous azimuts, crise de 2008 et LBO
2007, 2008 et 2009 sont des années de gros changements et marquent une inflexion. D’abord parce que le fonds de private equity Siparex entre au capital du cabinet.
Puis, comme pour les médias, Greenwich tente d’ouvrir encore son périmètre et crée plusieurs marques en ce sens en y adjoignant des équipes de partners et de consultants totalement neuves.
En 2007, c’est Wight Consulting pour les services financiers et Lennox Consulting pour la distribution et la grande consommation. En 2008, c’est Kalea Consulting pour le conseil opérationnel et le management des systèmes d’information, le tout sous une marque ombrelle, Twentyone, qui réalise 45 millions d’euros de chiffre d’affaires et vise les 70 millions d’euros pour 2012.
Mais la crise de 2008 passe par là. Elle marque un gros coup d’arrêt. Les greffes extérieures ne prennent pas toujours bien. Pire, les clients historiques des telcos mettent parfois de longs mois à honorer leurs factures et la pression sur la trésorerie du cabinet devient par instant très forte.
Fermetures de bureaux, arrêts de certaines diversifications, recentrages sur la transformation digitale, la période est moins faste.
Le rachat par EY
Lorsque Siparex s’apprête à ressortir, le management du cabinet est plutôt dans l’idée de se chercher un autre fonds ou de s’adosser à un cabinet de taille équivalente.
« Quand nous avons rencontré EY pour la première fois, nous n’étions pas du tout dans ce trip-là », dit David Naim. Mais le courant passe bien, le deal est bon pour les actionnaires de Greenwich, l’affaire est vite conclue.
En septembre 2013, 12 ans après les débuts, Greenwich passe sous pavillon EY avec une promesse pas très jojo à la clé : celle d’une mort rapide. Puisqu’à peu près tous les plus gros clients de Greenwich sont audités par EY à la date du rachat. Ce qui, avec les règles de prévention des conflits d’intérêts propres aux Big Four, revenait à retirer à Greenwich tout business de conseil avec France Télécom, Bouygues et SFR, soit le gros de sa clientèle !
La mort annoncée n’a pas eu lieu, au contraire. Dix ans plus tard, le gros de la troupe est encore chez EY, dans les télécommunications bien sûr, mais pas uniquement. Certains sont partners au sein de la marque d’EY-Parthenon, à l’instar de David Canaple et de Fabien Bouskila. David Naim est patron de l’ensemble des lignes de services d’EY dans les industries de la grande consommation en zone EMEIA. Cédric Foray est le monsieur TMT d’EY pour l’Europe de l’Ouest. Pierre Beaufils, emblématique CEO de Greenwich, encensé pour ses qualités humaines, qui est aujourd’hui patron monde du consulting d’EY. On pourrait multiplier les exemples, tant peu de profils seniors ont quitté la barque au moment de l’absorption. Jean-Marie Letort, à présent patron de la cybersécurité chez Microsoft France, parti d’EY en 2014 pour prendre des fonctions de vice-président en charge de la stratégie sur des sujets de cybersécurité chez Thales, est plutôt l’exception. Danielle Attias comptera aussi parmi les partners à ne pas rester après le rapprochement.
Il n’empêche que Greenwich fait office de petit réseau officieux entre les « ex » du cabinet : « Chez EY, les gens se marrent quand ils nous voient ensemble. Ils disent : “Tiens, voilà la Greenwich mafia” », s’amuse David Naim.
Une certaine camaraderie qui tient jusqu’à ce jour. En 2022, plusieurs chez EY avaient pris le soin d’organiser une soirée de tous les alumnis de Greenwich. Odile Journy s’en souvient comme si c’était hier : « 70 % des gens sont venus. Je n’avais jamais vu ça en 20 ans de RH. Peut-être que certains étaient là pour un job ou pour réseauter, mais pour l’essentiel tout le monde avait l’air sincèrement heureux de se voir. C’était hyper chaleureux. »
Un certain halo qui continue à rayonner aussi sur le plan commercial. Parfois, d’anciens clients appellent pour reprendre contact avec leurs anciens consultants de Greenwich dont ils se souviennent de telle et telle missions. Cédric Foray en est fier : « La marque reste très forte. »
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
citer
signaler
France
- 18/11/24
L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.
- 15/11/24
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
- 15/11/24
Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.
- 13/11/24
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
- 11/11/24
Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.
- 08/11/24
Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.