L’inclusion selon Bain : une « mode » qui fait la différence
La politique Diversité, Équité, Inclusion est devenue l’un des arguments clefs de la marque employeur dans les cabinets de conseil en stratégie. Depuis 4 ans, Bain a accéléré cette politique sur tous les fronts (LGBTQIA+, femmes, personnes handicapées, origines culturelles et sociales…). Comme chef d’orchestre, le partner Manel Oliva-Trastoy, personnellement et professionnellement très engagé.
La DEI, l’intégration juste des minorités dans le monde du travail, connait un engouement tout particulier ces dernières années. C’est ce que constate le partner en charge de ces sujets chez Bain & Company Paris, Manel Oliva-Trastoy. « Il y a comme un effet de mode depuis 3 ou 4 ans sur la DEI. Tout le monde en fait et en parle, il y a comme une course sur le sujet. Si on en parle, on nous reproche notre communication autour. Si on n’en parle pas, c’est que l’on ne fait rien. Chez Bain, nous avons une politique proactive, un engagement sincère et profond. » Pour étayer ces dires, le cabinet ne partage qu’un seul chiffre : 15 % des consultants juniors et des stagiaires ayant rejoint le cabinet en 2023 répondent à au moins un critère de diversité (à l’exception du genre) qu’il soit culturel, social, LGBTQ+.
Une politique locale
Chez Bain depuis 2019, membre actif du comité LGBTQ+, ce partner promu début 2021 (Manel Oliva-Trastoy a auparavant passé plus de 8 ans au BCG) a justement accepté ce rôle à la tête de la DEI parce que Bain met les moyens pour faire bouger les lignes. « Depuis 4 ans, on se structure, on a mis des KPI’s pour mesurer les avancées, nous motivons les membres des différents chapitres (cinq groupes de travail à Paris, ndlr) pour qu’ils osent, qu’ils soient innovants afin que nous soyons vraiment différenciants sur ces sujets. Il est vrai que, pour l’instant, si nous avons mis en place des actions de taille, j’ai l’ambition d’aller beaucoup plus loin et d’en faire un véritable élément de compétitivité par rapport à nos concurrents. »
Ce vaste sujet de la DEI, basé chez Bain & Company sur une politique Monde « volontairement minimaliste », édictée par la gouvernance globale, divisée en huit grands chapitres, est ensuite de la compétence de chaque pays. Une question culturelle, cultuelle, et de spécificités nationales (notamment légales). La politique française est, elle, basée sur cinq d’entre eux : diversité de genre, d’orientation sexuelle, culturelle, inclusion sociale et handicap. Avec, à la clef, une réunion hebdomadaire ou bimensuelle pour chaque groupe. Manel Oliva-Trastoy participe aussi au brainstorming mensuel du Comité DEI européen qui permet d’échanger sur les bonnes initiatives et les bonnes pratiques.
Comment se déploie en interne et en externe la politique DEI française ? « Par des actions concrètes lors des événements de recrutement, la venue d’intervenants, le sponsoring d’initiatives, des campagnes, et nos prises de position par messages internes et externes que nous avons décidés moins mainstream, mais plus audacieuses. Et tant pis si l’on dérange, bien au contraire, cela permet aussi de faire bouger les lignes. Comme lors de la semaine des Fiertés en juin, où l’on diffusait un message par jour, dont l’un portait sur le taux de suicide des jeunes LGBTQ+. »
La « minorité » des femmes, un sujet prégnant
La gouvernance française du cabinet Bain & Company, depuis l’arrivée d’Ada Di Marzo en 2019, première femme à diriger Bain Paris, une des rares femmes à la tête d’un cabinet de conseil en stratégie, a en effet la volonté de changer de braquet en termes de diversité, d’équité, et d’inclusion. « Ma cooptation est le fruit d’un track record et d’une décennie de travail chez Bain à Paris », confirmait la DG France à Consultor à l’occasion de sa nomination. Car oui, oui, la féminisation et l’égalité entre les hommes et les femmes sont l’un des chapitres de la DEI dans les entreprises. Les femmes, représentant 51 % de la population, font toujours partie des minorités ! « Les femmes ne sont évidemment pas une population minoritaire dans notre société, mais dans le conseil, c’est malheureusement toujours le cas, reconnait Manel Oliva-Trastoy. Chez Bain, nous n’avons jamais eu à traiter le sujet de l’équité (mêmes salaires, même possibilité d’évolution des carrières, mêmes tâches). Reste le problème de l’inclusion des femmes dans notre secteur, pas au niveau d’entrée, qui est à environ 50-50, mais après 4 ou 5 ans d’expérience, on a un taux d’attrition plus élevé chez elles. »
Car il est un fait difficile à tordre, celui de la déféminisation des pyramides des grades dans les cabinets de conseil en stratégie. Et Bain ne déroge pas à cette règle, même si ce cabinet fait partie des six cabinets de conseil en stratégie à compter en 2022 au moins un quart de femmes dans son partnership, avec 31 % de femmes partners aujourd’hui. Alors, pour capter, mais surtout garder ces talents au féminin, Bain mise avant tout sur les sujets de parentalité. L’un des leviers majeurs de l’équité pro hommes-femmes pour le partner. En 2021, le cabinet parisien avait en effet doublé la nouvelle réglementation française sur le congé paternité en prolongeant les 28 jours légaux de quatre semaines supplémentaires. Moins visibles, des actions internes dans le but de « casser les codes sexués ». « Nous nous assurons, dans nos formations et nos discours, que les femmes ne tombent pas dans des biais, comme lors des projets qu’elles ne privilégient pas les sujets soft, par exemple la communication, et ne laissent pas de côté les sujets plus analytiques. Nous avons également mis en place tout un pan du côté des rôles-modèles internes et externes en organisant des rencontres avec des femmes emblématiques, de chez nous, parmi nos clients ou des grandes entreprises. » Et puis, Bain a pris la ferme décision de dire stop aux blagues sexistes. Une action symbolique ? Pas du tout, bien au contraire, elle est même coercitive aux yeux de Manel Oliva-Trastoy. « C’est la tolérance zéro. Nous avons procédé à des sanctions concrètes récemment à la suite de remontées persistantes. Nous encourageons les personnes victimes, mais aussi les témoins à réagir tout de suite lorsque cela se produit. Il faut une prise de conscience générale, ne plus rien laisser passer, et cela concerne tout le monde. Ensuite, cela se fait au cas par cas selon le réseau d’incidences et de preuves que nous avons. »
Consultant, un métier qui doit s’ouvrir
Sur la question de l’inclusion culturelle et sociale, le cabinet français se dit proactif. D’abord en termes de recrutements qui doivent se démultiplier afin de diversifier les profils et de sortir d’une élite très, trop, normée, « sans faire de discrimination positive ». Et ce, dans un contexte légal français qui rend complexe la tenue de datas dédiées, puisqu’« on ne peut communiquer que sur les personnes qui déclarent la minorité à laquelle ils appartiennent, et de façon totalement anonyme ». Cette diversification des profils passe par l’ouverture de ses écoles cibles depuis deux ans, passant d’une dizaine de grandes écoles parisiennes (95 % des recrutements) à une vingtaine à Paris et, nouveauté, en région, grandes écoles, mais aussi universités et Science Po. Autre action menée, la disparition des CV lors du premier screaning pour les jeunes diplômés et du premier entretien. « Il faut absolument que nous puissions attirer plus vers ce secteur encore trop considéré aujourd’hui comme peu adapté, peu inclusif pour ces minorités. Moi le premier, en tant qu’homosexuel, j’ai longtemps pensé que ce métier n’était pas fait pour moi, dans un cliché bien ancré que les gays étaient plus adaptés à des métiers créa qu’analytiques. »
Pour attirer des profils plus divers, Bain a aussi été le premier cabinet en 2023 à proposer en France des congés cultuels et culturels : désormais, Bain offre 5 options pour les jours de RTT obligatoires autour de jours symboliques spécifiques que les collaborateurs peuvent choisir librement. « Cela fonctionne. 15 % de nos effectifs ont choisi l’une de ces options. Et je pense que cela va passer à 25 % dès 2024. »
Se former à l’inclusivité
Quant à l’inclusion des personnes en situation de handicap, le sujet reste presque entier, et ce chez Bain (qui n’a pas communiqué sur son taux d’emploi de ces profils), comme pour l’ensemble du secteur du conseil qui emploierait seulement entre 0 et 2 % de personnes en situation de handicap. Pour le partner Manel Oliva-Trastoy, il faut prendre le taureau par les cornes « pour arrêter de payer l’amende » (i.e., la loi française oblige les entreprises de plus de 20 salariés à employer 6 % de personnes handicapées, faute de quoi elles doivent s’acquitter d’une amende), mais pas pour la raison à laquelle on pense en premier lieu. « Ce n’est pas une question de coût, mais parce que nous pensons profondément que la diversité est essentielle, et ce n’est pas du blabla. » Depuis quelques semaines, le cabinet propose un congé « Inclusion handicap » qui peut aller jusqu’à trois jours de congés supplémentaires par an pour les collaborateurs en situation de handicap reconnu, ainsi qu’aux aidants. Ce dispositif inclut également une notion de partage solidaire, « en permettant à nos collaborateurs de faire des dons de jours de repos à un collègue parent d’enfant gravement malade ou en situation de handicap ».
Côté inclusion des personnes LGBTQ+, dont Manel Oliva-Trastoy est aussi la tête de pont au bureau parisien, elle est « un élément de différenciation, source de compétitivité et avantage vis-à-vis de nos concurrents ». Tous les grands cabinets ont fait l’une des priorités de leur politique dédiée. Contrairement à certains de ses illustres concurrents, Bain ne communique pas ou peu sur le sujet. Pas de quotas, pas de discrimination positive à l’embauche, pas de char aux couleurs de Bain lors de la Marche des Fiertés, mais beaucoup de travail en interne pour l’accompagnement et l’intégration des personnes LGBTQI+, des événements de recrutement spécifiques et des actions externes pour créer un mouvement vertueux (Bain est notamment partenaire principal et membre du jury du grand prix de la diversité de l’AFL).
Le cabinet tient aussi à sensibiliser l’ensemble de ses troupes à ce nécessaire esprit open-minded sur le sujet de la diversité. « Nous avons mis en place cette année une formation obligatoire pour l’ensemble de nos collaborateurs, consultants comme fonctions supports, dédiée à la DEI. Nos quarante partners ont assisté chacun à une session de 4 h de réflexion sur les avantages de la diversité, ce qu’elle apporte, et comment ils ont leur rôle à jouer sur le sujet. Pour les consultants et managers, c’était 3h 1/2 de formation. » Des actions innovantes sont prévues pour 2024, mais elles restent top secret pour l’instant.
La DEI, une mode certes, mais une nécessité. Un combat même de tous les jours sur tous les fronts pour les collaborateurs qui la portent (un engagement volontaire en plus du travail quotidien). Manel Oliva-Trastoy, partner ultra-impliqué, qui a dépassé depuis longtemps son cas personnel, le turbo de la politique DEI de Bain, croit dur comme fer en l’intérêt de cette cause. Une belle cause, sociale et économique. « Ce bagage qui fait vivre, voir et penser différemment est une vraie richesse pour l’entreprise. Mon Graal, ce serait de voir, avant mon départ à la retraite, ces sujets ne plus en être ! »
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