Les Big Four dégainent leur plateforme de freelances
Data scientists, architectes cloud, UX designers, DevOps, scrum masters... autant de compétences qui pourront désormais être embarquées de mission en mission, dans le conseil en stratégie aussi.
Avec ces nouvelles plateformes, les Big Four emboîtent le pas aux plateformes externes préexistantes. Non sans un défi d'homogénéité avec les équipes internes et d'acculturation au life style des indépendants.
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Il y avait les consultants internes, il y aura désormais les plateformes internes de consultants freelances.
En septembre dernier, Deloitte lançait Open Talent, une plateforme web qui se veut un réseau de communautés de consultants freelances, pour répondre aux multiples besoins des missions qui nécessitent toujours plus de valeur ajoutée. Avant Deloitte, au moins deux autres cabinets se sont lancés dans cette course aux consultants freelances en mettant en place leur propre plateforme : PwC Talent Exchange et KPMG’s Freelance Portal. Des cabinets sollicités qui n’ont pas souhaité partager leur expérience…
Ces plateformes internes aux cabinets ne sont pas encore « dans le vent » en France, une démarche qui est beaucoup plus développée dans les pays anglo-saxons.
Jusqu’à 20 % des projets en Australie pour Deloitte
Pourquoi certains cabinets de consulting ressentent-ils le besoin de créer ces structures ad hoc alors qu’il existe aujourd’hui, sur le marché, des plateformes performantes externes de consultants freelances à leur disposition ? D’après Mathieu Colas, senior partner Monitor Deloitte, digital transformation & analytics, « tête de pont » du projet Open Talent de Deloitte, cette nouvelle plateforme n’est pas un choix de développement, mais un outil réactif pour répondre à des besoins ponctuels.
À l’instar de ce que Deloitte a mis en place en Australie. « Nous n’en sommes évidemment pas à l’échelle du business australien qui réalise entre 15 à 20 % des projets via un réseau de 8 000 freelances et un équivalent de 1 000 temps pleins. En France, ce n’est ni un objectif ni une fin en soi, mais une solution innovante avec une capacité à s’adapter rapidement à une demande. »
Open Talent, loin de vouloir faire de la concurrence à ses consultants salariés, a ainsi l’ambition d’animer des experts hyperspécialisés : data scientists, architectes cloud, UX/UI designers, DevOps (développement et opération), scrum masters (ou coachs agiles)… « Jusqu’à présent, nous ne faisions pas forcément appel à des freelances, nous travaillions avec nos structures internes, dit Mathieu Colas. Depuis dix ans, cependant, pour le conseil en stratégie en particulier, il existe des plateformes comme GLG pour accéder à des expertises très confidentielles pour du très court terme. Il apparait depuis quelques temps un nouveau besoin dans ce secteur de la stratégie. De plus en plus, nous devons réaliser du conseil en stratégies innovantes, sur la data et l’IA, avec des profils de consultants très spécifiques. Ce sont des pools de compétences très complémentaires avec nos équipes. Les clients sont séduits par cette nouvelle proposition de valeur qui associe exhaustivité, flexibilité et innovation, trois critères que les sociétés de services actuelles peinent à combiner. »
Un train d’avance
Comment peuvent se positionner ces plateformes de consultants freelances internes aux cabinets face à des plateformes externes qui sont sur la place depuis plusieurs années ? Comatch et One Man Support sont parmi les premières e-plateformes à avoir été créées sur le territoire français.
L’arrivée des plateformes développées par les grands cabinets est-elle vue d’un mauvais œil ? Dans l’immédiat, non, pour Clément Eymard, le directeur France de Comatch, qui précise avoir été approché pour accompagner le développement de ces nouvelles plateformes made in Big Four. Il considère que Comatch a une longueur d’avance en tant qu’un des premiers entrants.
« Nous avons acquis un véritable savoir-faire tant sur l’animation d’une communauté de consultants que sur la technologie permettant de les gérer et de les porter contractuellement », dit-il.
Même son de cloche pour One Man Support, autre plateforme, française, pour qui ces nouvelles plateformes internes Big Four ne se télescopent que marginalement avec celles qui préexistaient.
C’est ce que défend aussi Arnaud Sourisseau, fondateur de One Man Support et ancien de Bain & Company : « Comme nous travaillons peu en sous-traitance pour les cabinets, je ne vois pas d’impact business à ce stade. Les plateformes des cabinets sont plutôt destinées à renforcer leurs équipes internes. Par ailleurs, ces profils d’indépendants, qui ont quitté les cabinets pour avoir davantage de liberté d’organisation, ne cherchent pas forcément à travailler à nouveau avec ces grosses structures. Ils souhaitent pouvoir choisir leurs missions, les conditions dans lesquelles ils les font, et ne plus avoir certaines contraintes imposées par un cabinet traditionnel. »
Terra incognita
Pour les cabinets traditionnels pour lesquels l’acculturation aux us et coutumes du consulting freelances par plateformes ne sera pas que simple.
C’est même un nouveau monde à appréhender. Il faut s’adapter à de nouvelles façons de travailler. Un indépendant peut refuser une mission, ne pas être disponible à l’instant T, faire « faux bond », aller à la concurrence… Ce qui fait dire à Martin Videlaine, ancien de Roland Berger qui a lancé sa plateforme NC Partners On Demand, il y a trois ans maintenant, que ces plateformes ne représenteront pas une véritable concurrence pour les plateformes indépendantes : « Tous les grands cabinets vont se doter de telles plateformes d’ici quelques années, mais elles se confronteront à leurs limites internes et ne dépasseront pas les plateformes externes en termes de parts de marché. Leur animation est un métier en soi et elles ne peuvent qu’être limitées au marché interne des missions ».
« Il est vrai que cela nécessite une prise de risques pour nous. Nous ne pouvons évidemment pas aborder ces consultants freelances comme des consultants “maison”. Il faut laisser la relation s’installer dans le temps, accepter d’investir pour doter quelqu’un de nouvelles compétences via des formations, et qu’il aille les proposer ailleurs. Mais nous recherchons cet apport en potentialités innovantes, tant en ce qui concerne les hommes et les femmes, que le modèle opérationnel, qui se veut proche du fonctionnement des start-up », admet Mathieu Colas de Deloitte Open Talent.
Le positionnement de cette nouvelle plateforme se veut aussi quelque peu différent par rapport à ce qui existe en externe. Une forme de complémentarité pour les freelances qui peuvent être présents sur plusieurs plateformes en même temps – aucune exclusivité n’est requise ! –, Deloitte leur apportant potentiellement des missions supplémentaires pour les clients du cabinet. D’après Mathieu Colas, la plateforme est aussi un outil pédagogique à destination des clients. « Le freelancing est “the future of work”. Nous avons à mettre en place une marque freelance, apprendre de nouveaux codes et process de travail. Nous devons aussi encourager nos clients à travailler avec cette catégorie de collaborateurs, en apportant une diversification sans limites de profils extraordinairement pointus, tout en garantissant une expertise sectorielle toujours très élevée face aux évolutions de la concurrence. »
La part du freelancing reste encore minime dans le secteur du conseil en stratégie. Le potentiel de pénétration reste donc énorme. Et les mentalités sont en train de changer.
Par Barbara Merle pour Consultor
Sortie de l’ESCP en 2015, ancienne consultante chez Oliver Wyman, vous êtes depuis consultante indépendante…
Oui, je suis partie en mai 2017 pour mettre en œuvre mon expérience entrepreneuriale. J’ai créé Polisson, un kit pour apprendre aux enfants à cuisiner. Je mets en œuvre en ce moment un autre projet d’entreprise dans le développement Web. Comatch m’a contactée et je trouvais le format bien adapté pour les entrepreneurs, avec des missions très flexibles.
Quels sont les avantages du freelancing pour un consultant ?
Être consultante freelance me permet à la fois de rester dans mon métier qu’est le conseil et de financer mes projets. Je peux consacrer environ 50 % de mon temps à mes projets d’entrepreneuriat. Trois ou quatre jours de mission permettent de dégager des revenus intéressants. L’avantage est que l’on peut choisir ses missions : si elles ne nous plaisent pas, qu’elles sont trop éloignées de chez nous ou trop longues, si on manque de temps, d’envie, ou si c’est avec un cabinet avec lequel nous n’avons pas envie de travailler…
Comment voyez-vous l'arrivée des plateformes internes aux grands cabinets de conseil ?
Je ne connaissais pas jusqu'à présent leur existence. Si elles fonctionnent sur le même mode que les plateformes externes, si l’on nous propose des missions « clés en main » où nous n’avons rien à développer, juste à apporter nos compétences sur la mission, pourquoi pas… J’ai choisi ce statut pour me lancer dans l’entrepreneuriat, être autonome et indépendante, je ne me vois pas retourner dans une structure rigide qui serait celle d’un gros cabinet. Ma difficulté, c’est que je suis assez juniorisée sur les missions en freelance. J’ai effectué beaucoup de due diligence, mais souvent il faut faire ses preuves avant de se voir confier des responsabilités managériales, et donc il est plus difficile de progresser. Propos recueillis par BM
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