Les consultants, premiers gagnants de l’euro numérique
Soucieuse de contrer la concurrence des cryptomonnaies, la Banque centrale européenne envisage de lancer un euro numérique. Elle place de nombreux espoirs sur cette monnaie dématérialisée : améliorer l’inclusion financière, mieux lutter contre le blanchiment ou la fraude fiscale, ou encore réduire les intermédiaires financiers. L’institution a mandaté cinq cabinets de conseil, dont Roland Berger et Oliver Wyman, pour plancher sur ce projet.
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Depuis déjà 2 ans, la BCE souhaite lancer son euro numérique. Pour l’institution européenne, le but est d’abord de renforcer la monnaie officielle, ébranlée par l’émergence de monnaies virtuelles privées comme le bitcoin.
La BCE veut aussi adapter l’euro à la dématérialisation croissante des paiements, et en faciliter le contrôle : un euro numérique devrait être plus traçable. En quoi consisterait-il donc ? À la différence de l’argent transitant déjà en ligne, ou par carte bancaire, l’euro numérique doit être détenu directement auprès de la Banque centrale, et non auprès d’une banque de détail classique. Une différence majeure, qui doit faciliter les paiements.
Mais au-delà de ces intentions, l’euro numérique demeure entouré d’un flou important. La BCE n’a pas encore déterminé sur quelle technologie sera basée sa monnaie dématérialisée – l’euro numérique ne sera donc pas forcément basé sur la blockchain, par exemple. La Banque centrale ne commencera à recueillir des propositions d’acteurs financiers pour la conception de l’euro digital numérique qu’en janvier 2023, dans le cadre de ses recherches préliminaires aux appels d’offres.
Les zones d’ombres de l’euro numérique
Conséquence de ce flou : les interrogations quant aux risques de l’euro numérique se multiplient. Quid de la confidentialité des données personnelles si la BCE contrôle directement cette monnaie numérique dans le cadre de transactions numérisées ? Comment ces données seront-elles sécurisées ? Et si la Banque centrale concurrence ainsi les banques, comment le secteur bancaire sera-t-il affecté ?
Pour préciser son projet et défricher l’inconnu de l’euro numérique, la BCE a sollicité cinq cabinets de conseil. Les contrats sont conséquents : leur montant total maximal s’élève à 20 millions d’euros.
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Un petit mois après la prise de fonction, le 1er novembre, de Christine Largade en tant que présidente de la Banque centrale européenne (BCE), l'institution monétaire européenne vient d'officialiser plusieurs contrats de missions de conseil.
Les gagnants en sont Oliver Wyman et Roland Berger, ainsi qu’Accenture, Bearing Point, Deloitte qui ont remporté fin novembre un appel d’offres. Selon l’avis d’attribution, leur cliente européenne attend désormais d’eux qu’ils l’« aident à résoudre des questions complexes, qui sont nouvelles non seulement pour la BCE, mais aussi plus largement dans le contexte de monnaies numériques de banques centrales (central banking digital currencies, CBDCs) ».
Plus concrètement, Oliver Wyman, Roland Berger et consorts devront l’assister dans la phase de recherches autour de l’euro numérique, et potentiellement dans sa mise en œuvre ensuite, pour une durée de 4 ans avec une extension maximale de 2 ans possible – les cabinets ayant été choisis d’abord pour la qualité de leur proposition (60 % du critère de sélection), ensuite pour le prix proposé (40 %).
Chez Roland Berger et Oliver Wyman, ce sont les associés allemands du cabinet qui auront la charge du projet. Ils travailleront donc avec l’allemand Ulrich Bindseil, DG de la division « Market Infrastructures & Payments », qui supervise le projet, ainsi qu’avec la « Program Manager of the digital euro project », entièrement dédiée au projet, qui a été nommée en novembre 2021 sous son autorité (la Néerlandaise Evelien Witlox).
Un sujet très politique
Les cabinets mettent ainsi les pieds dans un projet à la fois très politique et stratégique. Certaines des décisions de la Banque, principale décisionnaire sur le sujet pour l’instant, ont déjà provoqué des critiques virulentes. Fin juillet, plusieurs députés européens se sont par exemple opposés avec véhémence à l’intervention d’Amazon dans le développement d’un euro numérique, lors d’une réunion de la commission des affaires économiques et monétaires (ECON).
La multinationale américaine a en effet été sélectionnée parmi d’autres entreprises par la Banque centrale, dans le cadre d’un appel d’offres pour tester les modalités de paiement via un euro numérique. Ce qui a notamment déclenché des protestations de Stéphanie Yon-Courtin, députée membre de la coalition macroniste Renew Europe, et inquiète pour la souveraineté monétaire : « Vous aviez déclaré qu’un euro digital aiderait à éviter la domination du marché. Trois mois plus tard, on nous annonce qu’Amazon a été sélectionné parmi 54 autres entreprises. » L’intervention, désormais, de cabinets de conseil n’est donc pas non plus une décision anodine.
Manque de compétences à la BCE
D’autant qu’en juin, la Cour des comptes de l’Union européenne (ECA) s’attaquait au recours à des cabinets de conseil sous l’angle budgétaire. Le gardien des finances de l’UE pointait du doigt, dans un rapport, les sommes dépensées par la Commission européenne en consultance et les lacunes dans l’évaluation de la valeur ajoutée apportée par ces cabinets (dont des cabinets de conseil en stratégie). Or, bien qu’indépendante de la Commission, son institution-sœur la BCE est aussi soumise aux examens de l’ECA.
Du côté de la Banque cependant, nul doute quant à la pertinence des cabinets. Selon la maîtresse de la politique monétaire européenne, solliciter des consultants lui permet en effet de combler des compétences qu’elle n’a pas en interne. Contactée par Consultor, l’institution a détaillé : « Certains profils spécifiques ne sont pas toujours disponibles en interne, et de plus, le besoin pour certains profils n’est que temporaire. Il est donc plus difficile d’attirer des profils seniors. »
Un créneau ciblé par les cabinets
Les cinq cabinets sélectionnés se sont tous positionnés sur le sujet des monnaies digitales en lien avec les banques centrales depuis plusieurs années. Accenture a travaillé en 2019 avec la BCE et le Système européen de banques centrales pour démontrer la faisabilité de transactions anonymes en monnaie numérique.
Deloitte a publié deux études sur les opportunités des monnaies numériques de banques centrales (Central Bank Digital Currencies, CBDC) en 2020 puis en 2022. En mars 2022, Oliver Wyman titrait quant à lui un article « CBDCs : de la vision à la conception », justement en partenariat avec Amazon, via sa branche AWS. Dès 2017, Roland Berger communiquait un rapport intitulé « L’essor de la cryptofinance dans les banques centrales ». Quant à BearingPoint, en 2019, elle réalisait une mission pour la Banque centrale lituanienne, afin de mettre en œuvre une plateforme de récolte et d’analyse de données pour le suivi de transactions.
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