Orange Bank : un DG droit au but
Paul de Leusse, directeur général adjoint en charge des services financiers mobiles d’Orange et directeur général d'Orange Bank, a gardé des liens forts avec le monde du conseil où il a officié pendant près de douze ans (Oliver Wyman, Bain) avant de rejoindre le monde de la banque et du Crédit Agricole en 2009. Une expérience qui l’a marqué et l’amène régulièrement à côtoyer ses anciens collègues et à s’en entourer aussi au quotidien.
Des années conseil dont il garde quelques principes cardinaux, comme l'answer first chez Bain : ne pas s'encombrer des détails et aller à l'essentiel.
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Presque quinquagénaire (49 ans), marié, trois enfants, Paul de Leusse a grandi à Levallois-Perret auprès d’un père cadre à la Compagnie de Suez et d’une mère assesseur pour enfants au tribunal de Nanterre.
Sa famille compte aussi de nombreux diplomates, dont un oncle ambassadeur auprès des Nations Unies du côté maternel et deux oncles ambassadeurs qui ont notamment ratifié les accords d’Evian en 1962 du côté paternel. Les études – Polytechnique et Ponts et Chaussées – le mettent en orbite et la voie semble toute tracée vers l’industrie. Mais on le verra, les choses tournent autrement.
« Je suis plus scientifique qu’ingénieur et plus matheux que physicien. Je n’étais pas du genre à monter et démonter une voiture, contrairement à ma femme qui est polytechnicienne et saurait le faire ! » confie en plaisantant l’ancien élève de l’X. Mais la formation s’avère précieuse pour apprendre à quantifier et transformer des problèmes flous en sujets clairs synthétisés sous forme d’équations. « Dans le conseil, c’est très utile de savoir pratiquer ce genre d’exercice. Le travail du consultant, c’est souvent d’analyser et de construire une structure de façon claire à partir de problématiques parfois confuses », observe-t-il.
Le fil conducteur de la finance dès les premiers pas chez Mercer
Après Polytechnique, dont il sort diplômé en 1995, il entre aux Ponts et Chaussées, où contrairement à sa précédente école, il ne perçoit pas de rémunération. « Même si j’étais encore étudiant, il fallait bien que je gagne ma vie. Mercer (qui allait devenir Oliver Wyman, ndlr) proposait des stages, j’en ai décroché un chez eux. Je m’y suis bien plu et j’ai continué à travailler pour eux à mi-temps tout en poursuivant ma formation aux Ponts. » L’expérience se passe bien et Mercer lui propose de le garder après la fin de son cycle d’études. Il entre donc en 1997 au sein de la practice des services financiers en tant que consultant jusqu'à partner. Chez Mercer, il travaillera essentiellement pour des clients issus de la banque (Crédit Agricole) et de l’assurance (Covéa).
En avril 2006, il intègre donc Bain après avoir quitté Mercer au moment du rachat d'Oliver Wyman. À l’époque, il réalise ce mouvement avec Nicolas Lioliakis, jusqu'à récemment président de Kearney pour la France (relire notre article). « Les fusions de cabinets de conseil, c’est toujours compliqué, car ce sont des entreprises dont les principaux actifs sont les personnes. À l’époque, l’opération avait généré un peu de flou donc j’avais préféré partir chez Bain. La personnalité très marquante d’Olivier Marchal (relire son interview accordée à Consultor) qui dirigeait le bureau de Paris à l’époque, n’était pas étrangère à ce choix aussi. »
Pendant les années Bain, il réalise beaucoup de missions sur les nouveaux entrants dans le monde bancaire qui venaient soit du crédit à la consommation soit de la banque de détail. Les missions visent souvent à déterminer comment créer une banque dans un environnement non bancaire. Ces années sont stimulantes intellectuellement pour le consultant. « On apprend tout le temps dans le monde du conseil. Vous n’êtes jamais dans votre zone de confort. J’ai bien aimé cela comme la relation client aussi. On est vite en face de clients que l’on doit convaincre. On apprend qu’une solution, aussi bonne soit-elle, ne peut pas fonctionner si le client n’est pas persuadé lui aussi de sa valeur », estime Paul de Leusse qui garde un bon souvenir de l’ambiance entre consultants et associés.
2009 : grand saut dans la vraie vie !
Il quitte le monde du conseil, car « au bout d’un moment, vous avez envie de mettre en œuvre ce que vous préconisez ». Il quitte le costume de consultant pour rejoindre le Crédit Agricole en avril 2009. « Les entreprises valorisent rarement les expertises des consultants et bien souvent les seules qui les embauchent sont celles qui ont été leurs clientes », explique Paul de Leusse aujourd’hui.
À l’époque, c’est le directeur général délégué de la banque verte Jacques Lenormand qui l’embauche comme directeur de la stratégie du groupe bancaire. Il enchaîne les postes et expériences au sein du groupe. Il prend en charge la direction financière de Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (CACIB) pour en devenir en août 2013 le directeur général délégué. En 2016, il devient directeur général de CA Indosuez Wealth, filiale à 100 % de CACIB. Son patron d’alors, Jean-Yves Hocher, à la tête maintenant du board de CA Indosuez Wealth, le marque plus particulièrement sur un plan managérial en jouant un rôle de mentor. Au moment de la publication des Panama Papers en 2016, l’entreprise se sépare de 15 % de ses clients et d’une bonne partie des collaborateurs par conséquent. « On a dû prendre des décisions très dures et son enseignement m’a été très utile à l’époque », se souvient-il.
Il rejoint Orange en mai 2018, car il est à la recherche d’un nouveau challenge plus créatif : « Dans le monde bancaire, on gère beaucoup et on ne fait pas nécessairement beaucoup de développement de projet. Et j’ai été séduit par le charisme et la personnalité atypique du PDG Stéphane Richard. J’avais envie de travailler avec lui », dit-il.
Le conseil : un vivier de recrutement pour Orange Bank
Le voilà catapulté aux manettes d’Orange Bank (aujourd'hui 800 personnes en France, 100 en Espagne et 100 en Côte d’Ivoire), la marque qui se voulait le « Free de la banque », l’établissement financier de l’opérateur mobile lancé en novembre 2017. Des fonctions dans lesquelles son approche analytique et sa capacité à traiter les problèmes de façon rationnelle et factuelle sont des compétences clés, apprises au contact des acteurs du monde du conseil et des clients. Elles l’ont beaucoup aidé lors de sa prise de poste quand il a fallu changer de façon assez radicale la stratégie, en basculant d’un modèle initialement gratuit vers un modèle payant (cartes bancaires premium, assurances…) et en jouant plus les synergies avec Orange, son distributeur.
« En deux à trois mois, j’ai élaboré une stratégie. Cette capacité à convaincre apprise dans le conseil m’a été très utile, note-t-il. Si on se laisse envahir par les détails sans se concentrer sur l’essentiel, on se perd et c’est justement ce type d’erreur que le conseil m’a appris à ne pas faire. Chez Bain, on avait théorisé cela en privilégiant la réponse d’abord, “answer first” (relire notre article). Et j’ai aussi appris à fédérer, car on n’a jamais raison tout seul. Décider tout seul, c’est très dangereux en entreprise », analyse-t-il rétrospectivement.
Quatre ans plus tard, certains résultats sont là, d'autres doivent encore se matérialiser : l’entreprise a bénéficié de quelques recapitalisations successives, compte désormais 1,5 million de clients situés majoritairement en France, mais aussi en Espagne, dont la moitié a une assurance mobile et l’autre moitié un compte ou un crédit. En Afrique, la toute jeune banque, lancée en 2020, compte déjà 600 000 clients. Elle est parvenue à réduire ses pertes très largement constituées par des investissements (IT, acquisition clientèle). En 2021, elles devraient être, en France, d’environ 110 contre 170 millions d’euros il y a trois ans. « La banque est un métier de stock, cela prend du temps, mais nous avons amélioré la qualité du produit avec un net promoter score (NPS) dans les deux ou trois meilleurs du marché. Au lancement de la banque, 90 % des clients prenaient des offres gratuites ; or c’est tout l’inverse maintenant avec une majorité de la clientèle qui souscrit une offre payante. Notre produit net bancaire (PNB) a augmenté de 50 % en deux ans. Celui-ci devrait atteindre les 130 millions d’euros cette année », pointe Paul de Leusse.
Des résultats auxquels il n'est pas parvenu seul, montrant à la direction d’Orange Bank un penchant pour les profils d’anciens du conseil. Véronique McCarroll, directrice générale déléguée en charge des finances et contrôles d’Orange Bank est une ancienne d'Oliver Wyman et de McKinsey (relire notre article). Quant à Stéphane Vallois, le DG délégué d’Orange Bank, il a été consultant chez Bain (relire notre article). Emmanuel Yoo, le CIO de la société, est un ex-partner de la practice financial institution de Kearney. Benjamin Gonthier, directeur des opérations et crédits chez Orange Bank, a travaillé chez Eurogroup consulting avant d’intégrer la société en juillet 2018. Bertrand Facq a été partner chez Bain pendant quatorze ans avant d’être recruté comme consultant senior sur le développement des services financiers mobiles pour Orange en Europe centrale et de l’Est en octobre 2015 puis d’être promu en septembre 2019 patron de la stratégie de la banque mobile de l’opérateur téléphonique. Narciso Perales, le responsable d’Orange Bank Espagne, est un ancien de McKinsey.
« J’aime bien m’entourer d’anciens consultants ayant réussi une expérience opérationnelle. Ils sont orientés résultats et ont fait la preuve qu’ils savaient mettre les mains dans le cambouis sans rester à la surface des choses », explique Paul de Leusse. Le patron d’Orange Bank a d’ailleurs gardé de nombreux contacts étroits dans le monde du conseil qu’il voit ou appelle régulièrement « pour se sortir un peu de l’opérationnel » : Elie Farah, le patron des services financiers d’Oliver Wyman (relire notre article) ; Laurent-Pierre Baculard, partner télécoms et transformation digitale de Bain & Co pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (relire notre article) ; Fabrice Asvazadourian, banking Europe lead chez Accenture (relire notre article), Sébastien Lacroix, le responsable de la practice services financiers de McKinsey à Paris, ou Nicolas Darbo, un ancien du Crédit Foncier et client de Paul de Leusse lorsqu’il était consultant, devenu consultant expert en services financiers et partner chez Accuracy.
Un PNB augmenté de 50 % en deux ans
Une équipe avec laquelle les projets de développement se multiplient. Comme sur le crédit conso avec le partenariat technologique conclu avec Younited qui va aider Orange Bank à évaluer le risque financier client. Le monde est petit : le DG Geoffroy Guigou a été stagiaire chez Mercer il y a quinze ans. Avec l’acquisition d’Anytime, néobanque pour les professionnels (indépendants, entreprises, associations), d’autres synergies sont à l’étude, notamment avec Orange Business Services (OBS) sur la clientèle des entreprises PME/PMI aujourd’hui et pourquoi pas grands comptes demain. Bon point pour Anytime, la société a su garantir son business plan et ses objectifs en dépit de la pandémie. Son intégration devrait se faire progressivement en commençant par le volet IT. Et Orange Bank regarde aussi du côté de l’assurance affinitaire liée à la vie numérique (commandes sur Internet, objets technologiques de la maison, etc.) avec un appel d’offres en cours pour un lancement début 2022.
L’Afrique est aussi un sujet de satisfaction pour Paul de Leusse. Orange Bank Africa a été lancée il y a onze mois et a fêté son millionième crédit. Tout se fait uniquement sur mobile et SMS et le montant est en moyenne de 30 à 40 euros avec beaucoup de clients opérant dans un secteur informel, par exemple des entrepreneurs individuels faisant des achats de stocks pour faire de la revente au détail dans la rue. Les crédits sont remboursés en trois à quatre semaines selon un cycle très rapide.
Le lancement de solutions d’épargne est aussi à l’étude pour l’Afrique, où l’opérateur vise de nouvelles implantations pour sa banque mobile au Sénégal, Mali, Burkina Faso et au Cameroun et donc de nouveaux recrutements dans les prochains mois.
Emmanuelle Serrano pour Consultor.fr
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