Partners après 50 ans : faut-il se faire des cheveux blancs ?
Dix ans que ça dure. Le conflit judiciaire qui oppose un ancien consultant à son employeur, Arthur Andersen, devenu Accenture, vient interroger une pratique intrinsèque au secteur du conseil, le up or out, et son pendant, le licenciement pour insuffisance professionnelle.
En avril, la Cour de cassation a censuré un arrêt de la cour d’appel défavorable à l’ancien cadre. Le dossier est renvoyé devant la Cour d’appel. Et la question demeure : passé la quarantaine, la règle du up or out peut-elle masquer des pratiques discriminatoires en raison de l’âge ?
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« C’est la toute première fois que la chambre sociale de la Cour de cassation écrit le terme up or out », relève Philippe Ravisy, avocat spécialisé en droit du travail, conseil d’une clientèle « de cadres, de consultants et de dirigeants, dont beaucoup d’expatriés ».
Une pratique globalement acceptée
Selon lui, cette pratique ne donne lieu qu’à « très, très peu de contentieux, car elle est fondamentalement acceptée par ceux qui rejoignent les cabinets de conseil en stratégie et qui, à de rares exceptions près, sont dans un système compétitif depuis leurs études ».
Une règle d’autant plus facilement acceptée par les plus jeunes qu’elle est souvent accompagnée d’une clause de stand still, qui permet de temporiser le départ en attendant de décrocher un autre poste. Mais après un certain nombre d’années et de paliers franchis au sein de la profession, la pratique du up or out peut être nettement moins bien acceptée par les consultants et les séparations devenir plus conflictuelles.
« Il y a différentes écoles en fonction des cabinets et des avocats qui les conseillent, certains se placent d’office sur le terrain de la négociation pour tenter de trouver un accord équilibré, d’autres vont systématiquement “à la castagne” en portant l’affaire en justice », observe-t-il.
Quand la discrimination par l’âge s’en mêle
Pour les consultants les plus expérimentés, les chances d’obtenir gain de cause aux prud’hommes sont « infimes », poursuit l’avocat : « Les niveaux de rémunération des consultants sont tels que les conseillers salariés [du conseil de prud’hommes, ndlr] ne les considèrent pas vraiment comme des salariés, et les conseillers employeurs sont souvent plus sensibles à la thèse du cabinet employeur. »
C’est dans ce contexte que peuvent surgir des accusations de discrimination en raison de l’âge contre les cabinets soupçonnés de s’appuyer sur leur politique de up or out pour se débarrasser des consultants les plus âgés.
Même si, en France, une loi du 27 mai 2008 est venue compléter le dispositif de lutte contre les discriminations, la justice n’est encore que très rarement appelée à trancher cette question.
« On est très en retard sur la prise en compte des discriminations de façon générale, y compris sur l’âge, et il y a très peu de décisions qui vont dans ce sens [favorables au demandeur, ndlr] », commente-t-il. L’affaire qui oppose l’ancien consultant à Accenture, et qui a conduit la Cour de cassation à exiger des juges d’appel qu’ils se prononcent sur l’existence d’une discrimination fondée sur l’âge, pourrait changer la donne.
Sans, pour autant, bouleverser l’ordre des choses, estime Philippe Ravisy : « Ce qui va plus rapidement changer la donne, et on commence déjà à en voir les premiers effets, c’est la modification des règles concernant le départ à la retraite. Avant, on pouvait mettre un salarié à la retraite d’office dès qu’il en avait atteint l’âge légal et qu’il disposait de tous ses trimestres. Depuis que cette règle a été supprimée, tout dépend de la volonté du salarié. Il y a donc des personnes qui vont dire “moi, je veux rester jusqu’à 70 ans, et si vous me mettez à la retraite, ce sera discriminatoire”. »
Remise en cause des prérogatives accordées chez Bain
Au-delà des séparations conflictuelles qui peuvent parfois finir devant les tribunaux, cette affaire pose la question plus générale de l’évaluation de la performance et de l’évolution de carrière des consultants les plus âgés, ceux-là mêmes qui ont franchi toutes les étapes du up or out et “performé” plusieurs années au firmament des consultants.
Chez Bain & Company, l’évaluation de la performance et l’évolution des carrières reposent « sur un système égalitaire et méritocratique », explique Doris Galan, 38 ans, associée en charge des RH au sein du bureau de Paris, où « 37 % des associés ont plus de 50 ans. Du plus junior au plus senior, les consultants évoluent en fonction de la contribution qu’ils apportent », laquelle est évaluée selon des critères « bien définis et parfaitement transparents : À un rôle donné correspond une grille d’attentes donnée, et ce, pour toutes les personnes qui occupent ce poste à un instant T, indépendamment de leur âge et de leur parcours antérieur », précise-t-elle.
Une logique méritocratique que le cabinet a décidé « d’assumer jusqu’au bout » en remettant en jeu certaines prérogatives traditionnellement accordées aux associés seniors : la main mise sur les postes de responsables de practice ou de bureau. « Nous avons mis en place de nouveaux process pour que ces postes soient ouverts à tous, et c’est ainsi que des associés plus jeunes ont été nommés à ces fonctions ces dernières années ».
C’est le cas, par exemple, « de Nicolas Willemot, nommé à la tête du bureau de Bruxelles à 38 ans, de Domenico Azzarello, nommé directeur de celui de Paris à 42 ans, ou du responsable européen du private equity, Christophe De Vusser, qui a 46 ans ».
Des missions spéciales “cheveux gris”
En parallèle, la grille des attentes du cabinet à l’égard des associés tend à évoluer à mesure que les années d’expérience s’accumulent. Chez Bain, « les seniors ont un rôle d’encadrement des plus jeunes, ils assurent un rôle de mentor auprès de l’ensemble des consultants et de “caisse de résonance” auprès des jeunes associés en charge de postes à responsabilités », poursuit Doris Galan.
Cette mission spéciale “cheveux gris” vise-t-elle à pallier une baisse de la performance, en termes de capacité de travail ou de chiffres d’affaires ? « Je ne pense pas qu’on puisse dire que la performance baisse avec l’âge, c’est un raccourci, et, en tout cas, on ne l’observe pas chez nous », affirme-t-elle.
Cela dit, « il peut arriver qu’un associé ait moins envie de faire ce travail et souhaite quitter le conseil pour évoluer vers autre chose, et on leur propose alors un rôle d’advisor, pour garder un pied chez Bain tout en développant d’autres centres d’intérêt. Un de nos associés qui vient de passer advisor récemment gère notre présence sur les campus pour le recrutement et il s’occupe également de développer la base des alumni de Bain ».
Bourse interne chez Simon Kucher
Mais si les cabinets de conseil en stratégie sont diserts sur tout ce qui touche à l’évaluation de la performance et à la rémunération du travail, il est en revanche difficile d’en savoir plus sur les politiques internes en termes de détention du capital et de rémunération de cette participation. Une problématique sensible, susceptible de générer des tensions entre associés si les plus jeunes ne se voient accorder que la portion congrue.
Pour gérer au mieux ce sujet, chez Simon-Kucher, par exemple, une place de marché interne a été mise sur pied et les 120 partners peuvent y vendre et y acheter des parts une fois par an vers Noël.
La règle est simple : les partners nouvellement nommés sont tenus d’acheter un montant minimal de parts, quitte à emprunter ; les partners depuis moins de dix ans ne peuvent qu’acheter ou conserver leur portefeuille d’actions, sans pouvoir vendre ; les partners depuis plus de dix ans ne peuvent que vendre ou conserver leur portefeuille d’actions.
Un système qui s’adapte aussi aux résultats commerciaux de chacun. « Il y a un contrôle : les partners juniors dont la performance commerciale est moins bonne sont invités à acheter moins et les partners seniors dont les projets seraient moins nombreux, de la même façon, sont priés de vendre plus, détaille Kai Bandila, le patron du bureau de Paris.
Un pour tous et tous pour les bénéfices
Au-delà, les problèmes intergénérationnels « surviennent quand la rémunération est liée à la séniorité, qu’il faut répondre à l’attente de ceux qui veulent gagner beaucoup parce qu’ils ont beaucoup d’expérience », résume Hanna Moukanas, responsable du bureau de Paris d’Oliver Wyman, où, parmi la cinquantaine d’associés, « 15 % ont plus de trente ans d’expérience ».
« Notre système de rémunération répond à cette difficulté, se félicite l’associé : Oliver Wyman n’est pas un partnership mais une filiale à 100% de Marsh & McLennan Companies, et les partners du cabinet ne sont pas les détenteurs du capital. Leur rémunération est indexée sur les bénéfices réalisés, il n’y a qu’un seul niveau de partner et le système de compensation n’est pas lié à l’âge ou à la séniorité au sein du cabinet mais aligné sur la performance. »
Une performance qui, selon lui, ne souffre pas d’une baisse des compétences avec l’âge : « L’actif d’un partner est son savoir, et nous savons très bien entretenir notre savoir, ce n’est pas une difficulté. » Quant à l’éventuelle diminution de la capacité de travail, elle est « aménageable », et ce, à toutes les étapes de la carrière : « Avec la flexibilité du travail à la mission, on peut moduler ».
Des contacts clients mutualisés pour éviter les carnets d'adresses jaunis
Et pour ce qui est du carnet d’adresses qui tend à jaunir avec le temps, « si cela arrive, même si ce n’est pas systématique, cela peut être problématique, et c’est pourquoi nous privilégions le many to many au one to one en constituant une équipe d’interlocuteurs pour chaque client ». Et si un partner ne parvient pas à contribuer au chiffre d’affaires à hauteur de la rémunération qui lui est versée, « le principe de solidarité » entre associés prend le relais. Indépendamment de l’âge. Mais pas indéfiniment : « Personne n’a envie d’être subventionné à vie », et « les gens partent d’eux-mêmes », conclut-il.
Miren Lartigue avec Benjamin Polle pour Consultor.fr
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