McKinsey : le duo avec En Marche épinglé et nouvelles perquisitions
Deux fiches d’évaluation annuelles de l’ancien patron des activités publiques de McKinsey en France, consultées par le Nouvel Obs, témoignent à nouveau de liens répétés entre le cabinet et Emmanuel Macron. Par ailleurs, de nouvelles perquisitions sont intervenues chez deux anciens de la firme investis dans la campagne de 2017 d'Emmanuel Macron.
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Après deux ans et demi d’une polémique inédite sur le rôle et le poids des consultants auprès de l’État français, ainsi que sur la proximité supposée entre McKinsey et Emmanuel Macron, deux fiches d’évaluation annuelle de l’ancien patron des missions du cabinet dans le secteur public obtenues par le Nouvel Obs témoignent à nouveau de relations suivies entre le pouvoir macroniste et le cabinet de conseil.
« Président (relation ancienne de dix ans) » : tel est ainsi un des éléments que Karim Tadjeddine, l’ancien senior partner du cabinet (il a quitté le cabinet pour rejoindre le capital-investissement), qui a mené dix ans durant les missions secteur public de McKinsey dans l’Hexagone, met en avant dans un bilan annuel adressé à sa hiérarchie.
Un bilan établi tous les ans par les 2 500 partners de la firme
Un exercice que les 2 500 partners du cabinet dans le monde doivent établir chaque année. Chez McKinsey, ce document de bilan et d’évaluation, parfois appelé impact summary, est adressé au partner review committee – chargé de passer en revue la performance annuelle des partners.
Variable dans la forme d’un partner à l’autre et d’une année à l’autre, ces bilans annuels doivent fournir une image exhaustive des activités du collaborateur dans les 12 à 24 derniers mois. Avec, dans certains cas, des règles de présentation très scolaire : bullet points obligatoires – culture PowerPoint oblige –, interdiction de recourir à de longs développements écrits et à des graphiques, et ne pas dépasser 10 pages.
Les partners doivent y recenser sous forme de tableaux à deux entrées (date et nom du client) les clients auprès desquels ils ont eu des discussions commerciales, décrire leur nature, et dans quelle mesure ces discussions se sont matérialisées en missions et donc en honoraires.
Car un partner est avant tout un commercial et doit vendre chaque année plusieurs millions d’euros de missions de conseil. Ces bilans servent ainsi à expliquer leurs résultats passés et à jauger la capacité des partners à délivrer le niveau d’activité escompté.
Plus bas, ils doivent aussi faire état des contributions apportées en interne au développement du savoir-faire ou de l’expertise (recherches, publications, benchmarks…) de telle ou telle practice.
Enfin, ils doivent aussi se projeter vers l’avenir et de quelle manière ils se voient évoluer dans le futur chez McKinsey.
C’est du moins à cet exercice (voir des exemples d’impact summaries ici, là ou encore là) que s’astreignaient plusieurs partners directement investis auprès d’un des principaux producteurs d’antidouleurs (opioïdes) aux États-Unis – alors même que leur consommation virait au scandale sanitaire.
Pour le secteur public en France, dans les deux comptes-rendus consultés par le Nouvel Obs (numéro 2044 du 9 février 2023) pour les années 2017 et 2019, Karim Tadjeddine, un X-Ponts qui est chez McKinsey depuis 2006 après un bref début de carrière au Trésor et à l’Agence de participations de l’État, se livre au même exercice.
Premier objectif de ces documents : faire état du travail effectué. Ainsi, on y a apprend que McKinsey a œuvré « à la transformation de La Poste, incluant un programme d’économie d’un milliard d’euros » – ce dont le PDG de La Poste auditionné au Sénat avait ouvertement témoigné. Ou encore que McKinsey est intervenu sur « l’intégration de certains prêts aux entreprises au sein de la BPI, la Banque publique d’Investissement ».
Autre mission évoquée dans ces documents : « La préparation de la candidature de la France pour accueillir l’Exposition universelle en 2025. » La France fut en effet candidate à l’organisation de l’exposition à compter de 2016, avant de se retirer en 2018. Dans la même veine et à la même époque, le cabinet prêtait main-forte à l’accueil des Jeux olympiques à Paris.
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Exclusif. Les raisons pour lesquelles le Parquet national financier a décidé d’accélérer. Ce que dit notamment la plainte de trois fédérations CGT. Côté McKinsey, on n’en revient toujours pas de l’ampleur prise par ce sujet.
Karim Tadjeddine, poids lourd de McKinsey en France ?
L’intérêt de ces documents ne s’arrête pas là, au contraire. Ils sont aussi une preuve de l’intérêt porté par le cabinet à l’activité dans le secteur public – dont McKinsey est obligé aujourd’hui de sortir, et dont l’actuelle patronne du cabinet a régulièrement indiqué qu’il est marginal sur les 450 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé en France.
Dans cette perspective, Karim Tadjeddine, un Européen-centriste, ancien militant du Parti socialiste, qui fut aussi administrateur du mouvement citoyen Vouloir la République, qui dès 2015 soutient à titre personnel un Emmanuel Macron alors total nobody dans la course à la présidentielle, est perçu par sa hiérarchie comme un partner clé.
Les documents mentionnés par l’Obs font en effet également état des retours faits par la hiérarchie de McKinsey à Karim Tadjeddine. Son entregent au sommet de l’État est loué. « Karim a su se constituer un réseau très important de dirigeants des secteurs publics » dont la puissance, lit-on dans l’évaluation, n’est « égalée » que par « deux autres associés » dans tout le cabinet.
« Karim a récemment publié, se félicite encore la firme, un chapitre dans un livre sur la transformation de l’État français dont l’introduction a été rédigée par un candidat à l’élection. »
Une allusion au chapitre que Karim Tadjeddine a rédigé dans L’État en mode start-up, le livre copublié en 2016 par Thomas Cazenave. L’énarque, directeur de cabinet d’Emmanuel Macron à Bercy en 2016, a été délégué interministériel à la Transformation publique de 2017 à 2019 – le principal guichet des achats de missions de conseil en stratégie par les ministères (qui vient de révéler les cabinets amenés à intervenir auprès du gouvernement jusqu’en 2027).
Également encensées dans cette fiche, les activités de reach and relevance déployées par le partner. À savoir toutes les activités publiques qui permettent de renforcer « la prédominance de la firme ». Tadjeddine cite, dans sa fiche 2019, ses nombreuses participations à des associations, cercles de réflexion, colloques, dont les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence.
Le camp au pouvoir un facteur clé
Un partner clé qui doit aussi se positionner auprès du bon bord politique. McKinsey identifie clairement que son niveau possible d’activité dans le secteur public est corrélé au camp qui accède au pouvoir.
Ainsi, en 2017, la hiérarchie de McKinsey demande à Karim Tadjeddine de « calibrer le temps à consacrer au secteur public, en fonction du résultat de la prochaine présidentielle et de l’élection ou non d’une nouvelle administration engagée dans la transformation du gouvernement ».
Deux ans plus tard, Emmanuel Macron a été élu. Cela n’a pas nui à Karim Tadjeddine – qui est promu senior partner début 2020 – et aux activités de McKinsey dans le secteur – même si à ce stade rien n’indique que les marchés obtenus par la firme l’ont été de manière irrégulière.
Dans la fiche d’évaluation de 2019, Karim Tadjeddine note que son portefeuille clients a doublé et que la firme agit désormais à tous les niveaux de l’État français, « gouvernement, agences, hôpitaux et entreprises publiques ». Comme auprès de la Française des jeux, dont il indique que McKinsey est devenu l’un des principaux conseillers.
Une relation vieille de dix ans avec le Président de la République
Son réseau, lui aussi, s’est également significativement élargi. Comme le note l’Obs, s’il inclut toujours des PDG d’agences et d’entreprises publiques ou des conseillers clés dans la communication, on y trouve, excusez du peu, le « Président (relation ancienne de dix ans) ».
Figurent aussi des ministres, en particulier ceux du Logement et du Numérique − il s’agit à l’époque de Julien Denormandie, rencontré pendant la campagne, et de Mounir Mahjoubi, dont le directeur de cabinet, Mathieu Maucort, est un ex-McKinsey (qui vient d’être promu délégué interministériel à la Jeunesse).
Entretemps, McKinsey est aussi devenu la cheville ouvrière de l’évènement annuel organisé par Emmanuel Macron sur la moralisation des géants de la tech. Une mission réalisé à titre gratuit, mais dont se prévaudra le cabinet au moment de proposer ses services à l’UGAP, la centrale d’achat du secteur public, auprès de laquelle McKinsey avait obtenu un important marché de conseil en 2018, qui lui a été de nouveau accordé en 2022, quoiqu’à un rang où il n’a quasi aucune chance d’intervenir. Une valorisation de missions gratuites en missions facturées à laquelle le Sénat veut bannir dans une proposition de loi votée au Sénat et en attente d’examen à l’Assemblée nationale.
Une instruction de plusieurs années
La publication de ces évaluations intervient alors que plusieurs perquisitions ont été effectuées au bureau de McKinsey.
Encore tout récemment. Le 31 janvier au petit matin, comme l'ont révélé Politico et Le Parisien, les enquêteurs se sont rendus aux domiciles de Karim Tadjeddine, et de Mathieu Maucort. Ces perquisitions emboîtent le pas à celles qui avaient déjà eu lieu les mois précédents, d’abord en mai, puis à nouveau en décembre. Elles sont consécutives à l’ouverture de plusieurs enquêtes d’abord pour blanchiment de fraude fiscale, puis pour la « tenue non conforme de comptes de campagne », la « minoration d’éléments comptables dans un compte de campagne », et pour « favoritisme et recel de favoritisme ». Information nouvelle précisée par le Parquet national financier à Consultor : ces chefs d'inculpation comportaient également dès l'ouverture de ces enquêtes les faits de « corruption, trafic d’influence, abus de confiance » et de « détournement de fonds publics ».
Au cœur de l’enquête des juges, l’engagement de consultants de McKinsey dans la campagne d’Emmanuel Macron en 2017.
Cet engagement a-t-il été fait à titre exclusivement personnel, ainsi que le défendent les intéressés ? Ou ces consultants ont-ils donné de leur temps professionnel ? Ce qui, le cas échéant, aurait dû donner lieu à une déclaration d’avantages en nature potentiellement valorisables en temps-homme de consultants. Ce qui pourrait faire beaucoup aux taux journaliers moyens facturés par McKinsey, plusieurs milliers d’euros par jour et par personne.
Cet engagement a-t-il donné lieu à des renvois d’ascenseur au profit de McKinsey ? Le cabinet a notamment été retenu sur deux plus importants marchés publics au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, celui de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et celui de l’UGAP.
Du côté de sources proches de McKinsey interrogées par Consultor, on rappelle que McKinsey était déjà détenteur de marchés publics auprès de l’État en 2007, en 2010, en 2012, puis en 2017. Que le marché-cadre 2018-2022 de la DITP, objet de toutes les polémiques, a été attribué selon les règles classiques des marchés publics via des réponses à des appels d’offres. Des plis épais de 35 000 pages dans lesquels on imagine mal la Présidence de la République venir interférer.
On explique aussi que l’implication de McKinsey dans l’organisation du sommet Tech For Good a été décidée à l’initiative de Homayoun Hatami, l’ancien patron de McKinsey en France, et qu’Éric Hazan, un autre des partners parisiens, figure de proue sur les sujets digitaux, en était l’orchestrateur.
Soutiens politiques, retours d’ascenseurs : ce sont notamment sur ces deux sujets que la justice cherche à présent à clarifier les choses. Et ce ne sera pas demain la veille : le temps moyen des instructions du Parquet national financier est de plusieurs années.
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