Emmanuel Macron – McKinsey : « Tout aurait dû être facturé » (Radio France)
Une ancienne du cabinet de conseil interrogée par la cellule d’investigation de Radio France estime que le soutien apporté à la campagne d’Emmanuel Macron en 2016 et 2017 par une dizaine de consultants du cabinet – à titre personnel martèlent-ils depuis des années – aurait dû être facturé. La managing partner du cabinet en France, Clarisse Magnin, s’ajoute aux nombreuses personnes perquisitionnées par la justice dans ce dossier.
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Selon les informations de Radio France, de nouvelles perquisitions ont eu lieu le 22 mars dernier au domicile de Clarisse Magnin (partner luxe, grande conso et agriculture, promue patronne de McKinsey en France mi-2021, voir notre article), la managing partner de McKinsey France, et chez un ancien collaborateur du président de la République. C’est au moins la cinquième perquisition concernant McKinsey.
Elles s’ajoutent à celles intervenues le 31 janvier au petit matin, comme les avaient alors révélé Politico et Le Parisien. Les enquêteurs s’étaient alors rendus aux domiciles de Karim Tadjeddine, l’ancien senior partner de McKinsey (il a quitté le cabinet en septembre 2022) et ancien « Monsieur secteur public » de l’entreprise, à ce titre au cœur du maelström McKinsey en France depuis deux ans et demi. Les enquêteurs s’étaient également rendus chez Mathieu Maucort (ancien chef de projet dans le cabinet américain, ensuite devenu directeur de cabinet du secrétaire d’État au numérique, qui vient d’être promu délégué interministériel à la jeunesse auprès d’Élisabeth Borne).
Ces perquisitions emboîtaient elles-mêmes le pas à celles qui avaient déjà eu lieu les mois précédents, d’abord en mai 2022, puis à nouveau en décembre 2022, directement dans les bureaux du cabinet.
Elles sont consécutives à l’ouverture de plusieurs enquêtes par le Parquet national financier d’abord pour blanchiment de fraude fiscale, puis pour la « tenue non conforme de comptes de campagne », la « minoration d’éléments comptables dans un compte de campagne », et pour « favoritisme et recel de favoritisme ».
Ces chefs d’inculpation comportaient également dès l’ouverture de ces enquêtes les faits de « corruption, trafic d’influence, abus de confiance » et de « détournement de fonds publics ».
Au cœur de l’enquête des juges, l’engagement de consultants de McKinsey dans la campagne d’Emmanuel Macron en 2017. Parmi les questions des magistrats : cet engagement a-t-il été fait à titre exclusivement personnel, ainsi que le défendent les intéressés ? Ou ces consultants ont-ils donné de leur temps professionnel ? Ce qui, le cas échéant, aurait dû donner lieu à une déclaration d’avantages en nature potentiellement valorisables en temps-homme de consultants. Ce qui pourrait faire beaucoup aux taux journaliers moyens facturés par McKinsey, plusieurs milliers d’euros par jour et par personne.
Pour l’ancienne consultante du cabinet interrogée par Radio France, la réponse est claire : « Dix consultants engagés, des réunions avec l’équipe de campagne, ça s’apparente à un projet. Et cela demande trop de temps pour se faire sur du temps libre », estime cette source.
Surtout, insiste-t-elle, ainsi qu’une autre source anciennement investie dans la campagne d’Emmanuel Macron et qui a assisté à l’investissement de McKinsey auprès du futur président de la République, c’est le caractère collectif de l’engagement des consultants qui interroge. Ainsi, lorsque Karim Tadjeddine est par exemple allé jusqu’à donner de son temps pour comparer les prestataires possibles pour le développement d’un site Internet pour la campagne (Au service de tous, qui se voulait une plateforme citoyenne participative), les sources de Radio France se souviennent que Karim Tadjeddine jouait le rôle de chef de projet et était épaulé par deux autres consultants sur ce sujet. « Un chef de projet et deux consultants, c’est la configuration type d’une équipe McKinsey chez un client », commente l’ancienne consultante qui témoigne anonymement.
Pour elle, c’est l’évidence : « Tout ce travail aurait évidemment dû être facturé et déclaré dans les comptes de campagne. Chez McKinsey, un directeur associé senior facture sa journée chez un client de 8 000 à 12 000 euros et un directeur associé de 4 000 à 6 000 euros. Ils ne le diront jamais officiellement, mais ce sont les tarifs. »
Toujours selon cette source, l’implication de Guillaume de Ranieri, directeur associé de McKinsey, où il dirige le secteur de la défense, pointerait dans la même direction. Radio France s’est ainsi procuré une note que le partner a fournie à la campagne intitulée « Projet défense et sécurité ». Elle comporte notamment un benchmark (comparatif, dont tous les cabinets de conseil en stratégie sont les grands spécialistes) des programmes des autres candidats en lice (Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg).
De cette note, la source de Radio France, ancienne de McKinsey, juge que « c’est vraiment la charte graphique de McKinsey et leur genre de typographie. On dirait un de leur template […] C’est la façon dont sont réalisés les documents chez McKinsey », poursuit-elle, estimant que ce genre de notes « demande beaucoup de travail ».
Dernier élément attesté par des membres de la campagne interrogés par Radio France qui pointerait dans la direction d’un engagement plus que personnel dans la campagne d’Emmanuel Macron : le fait que les réunions avec les consultants n’avaient pas lieu qu’en soirée ou le week-end, mais également en journée.
Dans la même veine, par le passé, Karim Tadjeddine, interrogé à ce sujet par la commission d’enquête du Sénat, avait indiqué que cela avait été une erreur d’utiliser son mail professionnel dans le cadre du soutien privé qu’il apportait à Emmanuel Macron.
Ces engagements dans la campagne d’Emmanuel Macron auraient-ils pu donner lieu à des renvois d’ascenseur au profit de McKinsey ? Les juges regarderont notamment la régularité des conditions dans lesquels le cabinet a été retenu sur deux plus importants marchés publics au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, celui de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et celui de l’UGAP (deux marchés dont il s’est à présent retiré).
Soutiens politiques et retours d’ascenseurs : ce sont sur ces deux sujets que la justice cherche à présent à clarifier les choses. Et ce ne sera pas demain la veille : le temps moyen des instructions du Parquet national financier est de plusieurs années.
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