Le conseil en stratégie, nouveau roi des opérations ?
Dans un contexte de complexité croissante à tous niveaux, l’amélioration de la performance devient l’un des terrains de jeu favoris des stratèges, entre multi-compétences et révolution 4.0
« Opérer ». Une intervention à haut risque réalisée dans le but de sauver une vie.
Le même esprit est à l’œuvre dans le conseil : améliorer « l’état » des entreprises et de leurs fonctions, avec un facteur risque à prendre en compte. Mais quelle logique préside aujourd’hui à la reconfiguration des opérations ?
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Pourquoi les clients s’adressent-ils à des stratèges pour mener de telles missions , malgré des tarifs infiniment plus élevés ? La 4e révolution industrielle vécue par les entreprises (ou du moins ses prémices), y rencontre-t-elle un écho conséquent ? Éléments de réponse avec les partners de quatre cabinets de stratégie très « opérationnels » – le BCG, Kea & Partners, L.E.K., Oliver Wyman – et le directeur général d’Argon Consulting(1), cabinet spécialisé en optimisation des opérations.
Ainsi la production, les achats, la supply chain, le développement produits, l'innovation, l'engineering, etc. sont autant de fonctions sur lesquelles le conseil agit via des leviers stratégiques ou opérationnels.
L’approche de « réduction des coûts » pure et simple, devenue obsolète
Senior partner et responsable des offres transformation des Opérations chez Kea & Partners (notamment Supply chain, Manufacturing et Achats), Stéphanie Nadjarian évoque d’abord « le grand glissement opéré par les directions générales, passées d’une vision de réduction des coûts à une recherche de compétitivité et d’avantage concurrentiel ».
Ce qui compte désormais, « c’est l’analyse de la valeur : être compétitif, c’est amener le juste niveau de valeur pour les clients et leur écosystème au minimum d’énergie dépensée - penser niveau de service et agilité ».
Les opérations, des enjeux de direction générale ?
À l’heure du « changement » généralisé – de la globalisation aux mégatrends –, les entreprises souhaitent obtenir des consultants une vision systémique de la complexité.
« Que l’on fasse des choix d’implantation, de footprint ou de business, tout est lié », indique Grégory Kochersperger, partner en charge de l’EMEA pour la practice Opérations (renforcée début 2017) chez Oliver Wyman. Les stratèges doivent permettre aux directions générales de comprendre « l’impact de l’ensemble des éléments disruptifs existants sur leurs choix ».
Partner au sein de la practice européenne Industrie de L.E.K. (notamment en charge de l’énergie et de l’environnement), Jean-Christophe Coulot évoque une mission en cours, dans le secteur des services. En plus des paramètres définis, « nous en avons mis d’autres en perspective (que notre client n’ignorait pas) autrement. Il souhaite aller très vite sur les axes de développement ainsi ouverts ».
Travaillant à la fois les objectifs, le chemin à suivre et la mesure de l’effort à produire, le cabinet peut ensuite naviguer « entre la définition de la stratégie et les conditions de sa mise en œuvre » – une itération devenue indispensable dans un contexte en mouvement. Les Opérations dépassent le cadre de la simple exécution : un « stratège pur » comme L.E.K., a récemment porté son effort sur celles-ci au bureau de Paris.
Le directeur général d’Argon Consulting, Fabrice Bonneau, trouve toutefois la démarche des stratèges « essentiellement top-down, avec pour conséquence un pilotage des projets assez loin du terrain : nos consultants, qui disposent d’une expertise métiers sur chacun des domaines, rentrent davantage dans le détail des process ou le contenu, ce qui permet de sécuriser les gains dans la durée ».
Passé d’une trentaine de consultants en 2010 à 120 depuis 2016, le modèle d’Argon Consulting – à mi-chemin entre les petits cabinets de type Diagma (supply chain) et les grands du management – lui permettrait d’allier qualité d’expertise et capacité de transformation.
Les projets opérationnels, des « matériaux vivants » à l’ADN de plus en plus « techno »
La transformation des opérations repose sur l’humain. Et les missions ont un aspect « vivant » : on ne les duplique pas. Notamment parce que, selon le type d’entreprise, le top-down fonctionnera – ou non. L’accompagnement des équipes est décisif ; le facteur temps, critique pour le client. « En réduisant de moitié le délai de construction d’un tramway, nous avons permis à notre client de gagner le marché », indique Moundir Rachidi, directeur des activités Opérations du BCG en France.
Or les leviers d’amélioration de la performance sont de plus en plus technologiques. Ainsi, « des processus simplifiés et le flux d’informations en temps réel permettent d’importants sauts de performance en termes de productivité et d’agilité ».
« De nouveaux gisements de pensée, d’organisation, de process et de conception de produits arrivent par le digital et les nouvelles technologies, alors que les faibles volumes freinaient certains processus d’industrialisation et d’automatisation », explique Stéphanie Nadjarian de Kea, au sujet d’un projet dans l’aéronautique.
Si les missions « historiques » de stratégie industrielle ou de lean (entre autres) sont toujours d’actualité, le digital révolutionne véritablement les projets sur opérations !
« Depuis dix-huit mois, notamment sur le manufacturing ou la supply chain », indique Éric Ciampi, partner chez Oliver Wyman, spécialisé dans les sujets de performance opérationnelle (manufacturing, supply chain, ingénierie), 100 % des questions que l’on nous pose intègrent une dimension digitale », même si la réponse est souvent plus globale (organisation, management/compétences).
Néanmoins, les entreprises peinent encore à appréhender l’articulation d’éléments tels que les robots collaboratifs, l’impression 3D, le big/smart data, la réalité augmentée...
D’où la création par le BCG de l’ICO (Innovation Center for Operations) à Saclay(2), une usine didactique dirigée par Moundir Rachidi où « toutes ces technologies sont intégrées en chaîne, et non de façon séparée comme le ferait un industriel, dans un premier temps, pour éviter tout risque ».
Avec ce centre orienté industrie « d’assemblage, à travers une ligne de fabrication de scooters, ou de process avec une ligne de fabrication de bonbons, nous évaluons les apports des nouvelles technologies, les difficultés et les contraintes techniques, dans un écosystème ouvert(3). Nous y invitons des industriels à venir expérimenter ou découvrir ».
Les opérations, pas très « glam » pour les consultants ?
Au départ, les projets Opérations ne suscitent pas toujours l’enthousiasme des collaborateurs. En cause, des déplacements prolongés et une forte appétence pour « le conseil en stratégie/de DG, le marketing ou le revenu, note Grégory Kochersperger d’Oliver Wyman. Mais, une fois les projets exposés, les consultants en perçoivent toute la dimension stratégique ».
Éric Ciampi renchérit : « Ils vivent la transformation de l’entreprise. Côtoyant des ingénieurs, des gens de la production ou des achats, ils sont impliqués dans les comités de direction avec le top management : en termes de visibilité et de compréhension des enjeux de l’entreprise, ils sont en première ligne ».
D’autre part, indique Moundir Rachidi, « les nouvelles technologies, l’innovation, la digitalisation rendent les opérations sexy ! » - et sont en demande de compétences multiples. Grégory Kochersperger en témoigne : « Les consultants doivent avoir une maîtrise forte des sujets, savoir s’adapter au contexte et agir dans une optique de transfert et d’efficacité opérationnelle tangible ».
Pour les cabinets, l’assemblage des profils est également plus sensible sur ce type de projets, qui nécessitent « de la réflexion stratégique, commerciale, technique voire technologique ou d’ingénierie et de conduite du changement » - rappelle Jean-Christophe Coulot de L.E.K. « Pour créer une forte valeur ajoutée, l’agilité - des consultants, au sein de cabinets agiles -, un mode de travail indépendant mais collaboratif et l’engagement des associés sur projets », sont déterminants : « On est engagé, on fait, on réalise ! ».
Le rôle du consultant : d’hyper-expert à co-constructeur(4)
Côté digital et technologique, l’apport des cabinets de stratégie se joue souvent à l’interface, comme le fait observer Éric Ciampi d’Oliver Wyman : « Nous avons beaucoup investi pour augmenter nos connaissances sur cet environnement. Une partie de nos missions consiste à faire collaborer les grands groupes et les start-up ».
Ce que confirme Fabrice Bonneau en citant un projet d’Argon pour les ateliers de maintenance de la SNCF, autour des opportunités du digital – qui a fédéré la directrice de la D-School , Véronique Hillen (l’une des expertes françaises du design thinking) et des spécialistes du scrum ou de l’agilité, auxquels Argon a adjoint son expertise métiers.
D’autre part, « lorsque nos clients nous demandent de monter des systèmes d’open innovation (les achats avec leurs fournisseurs par exemple), cela nous concerne aussi car ils attendent que nous travaillions en open innovation avec eux », conclut Stéphanie Najdarian pour Kea(4).
« Lieu » où les entreprises gagnent des batailles cruciales en termes de transformation et de compétitivité, le champ des opérations devient celui des stratèges à part entière. Avec, en ligne de mire, dans l’optique des nouvelles technologies, la capacité des cabinets à constituer leur propre écosystème.
1 – D’abord filiale consulting du prestataire Hays Logistics, Argon Consulting en tant que cabinet de conseil indépendant a été créé en 2001 par Yvan Salamon (ex-Hays Logistics et Mars & Co) via un MBO, au moment de la revente de Hays Logistics à Kuehne & Nagel. Cabinet de conseil en logistique et supply chain jusqu’en 2010, Argon a ensuite élargi ses activités à l’ensemble des opérations ; ses recrutements depuis 2010, concernent des anciens de Bearing Point, Accenture ou Capgemini Consulting.
2 – En Allemagne, le BCG a procédé de façon différente en nouant des partenariats avec des universités disposant déjà de lignes de production similaires ; et le concept va se décliner aux États-Unis. Le gouvernement singapourien a mandaté le BCG pour l’ouverture d’un ICO.
3 – Cet écosystème comporte des acteurs académiques (Centrale-Supélec), des start-up technologiques françaises comme Braincube ou Surycat et s’ouvre à des groupes internationaux spécialisés comme Kuka et des majors comme Dassault Systèmes ou Microsoft.
4 – La formule est de Stéphanie Nadjarian. En février 2017, Kea & Partners a formé un joint-venture avec le cabinet Euclyd, afin d’allier ses compétences de transformation à l’expertise digitale d’Euclyd.
Lydie Turkfeld pour Consultor.fr
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