Stratégie, côté Google
De Béziers à Mountain View : Benjamin Cros, un ancien de Mars & Co et des transactions services chez PwC, raconte ce qui l’a mené jusqu’à Google.
L’ex-consultant biterrois, passé par la direction de la stratégie du moteur de recherche, s'occupe depuis janvier de la stratégie d'achats du moteur de recherche et s’est ouvert à nous sur les choix qui ont façonné son parcours et l’ont conduit au cœur de la Silicon Valley.
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À l’évidence, Benjamin Cros est brillant. Pour autant, il est resté accessible… en tout cas jusqu’à 8 heures. Après, c’est trop tard, les premières conference calls démarrent et les journées ne laissent pas de répit.
Aucun, en ce moment. Comme toutes les entreprises mondiales, Google doit faire face à la crise sanitaire sans précédent qui touche indirectement l’ensemble de ses activités. Or Benjamin Cros compte parmi ceux qui sont en première ligne pour aider à prendre les décisions qui s’imposent. Il dirige la stratégie des approvisionnements dans le monde : « Dès les premières mesures prises en Asie pour contenir le virus du covid-19, nous avons travaillé sur des scénarios de continuité. J’aide à structurer les priorités. Les exercices de planification sont très complexes au vu de l’environnement multiforme de Google. »
On n’y pense peu, mais certains produits du géant américain dépendent intimement du travail des humains. Ce sont, par exemple, des femmes et des hommes qui mettent à jour les cartes de Google Maps et modèrent YouTube un peu partout dans le monde : « On a plus de 100 000 employés et énormément de fournisseurs, répartis dans 120 pays. Des milliards de requêtes sur notre moteur de recherche reposent sur des infrastructures et les personnes qui font tourner les serveurs… Qu’est-ce qui se passe si tous les travailleurs doivent rester chez eux ? Comment assurer la poursuite des activités, mais aussi la santé et le bien-être des gens ? » Pour répondre à ces défis urgents, Benjamin Cros n’a pas besoin de faire appel à une société de conseil : il a été recruté pour ça, parce qu’il vient de ce métier et qu’il peut désormais appliquer ses méthodes en interne.
Trois ans chez Mars & Co, neuf ans chez PwC
Ses armes, il les a faites chez Mars & Co et PwC. « Ça m’est venu naturellement », dit-il humblement. Après une scolarité prometteuse à Béziers, ses parents l’envoient côtoyer l’excellence à Louis Legrand où il suit une prépa scientifique. Il enchaîne avec Centrale et boucle sa formation d’ingénieur dans une université à Tokyo. « Je me suis rendu compte au fil de mes études que, ce que j’aimais dans les sciences, c’était l’utilisation de modèles pour résoudre des problèmes. Ce schéma de pensées “out of the box” et cette rigueur intellectuelle aident à la prise de décision et donnent d’excellents résultats dans le business. C’est ça qui m’intéressait : les applications dans le monde réel ! »
Après une hésitation avec la finance, sa soif de découvrir le fonctionnement de l’entreprise le convainc d’embrasser la profession de consultant. La première porte à laquelle il frappe est la bonne : « Mars & Co a été fondé par un centralien (Dominique Mars, NDLR), qui valorise les profils analytiques comme le mien », sourit-il.
Les missions de restructurations ? Plus jamais !
Il démarre dans le bureau qui s’ouvrait à Tokyo. Là, le scientifique apprend vite le métier sur le terrain. Sa première mission sera d’ailleurs déterminante : « On m’a envoyé à Londres pour découvrir comment les grands bureaux fonctionnaient. Mais je me retrouvais sur une mission de restructuration où il fallait tailler dans les coûts et les effectifs. Le sujet ne me plaisait pas, en dépit du fait que j'ai beaucoup appris sur le plan des fondamentaux du conseil… Je crois que cette expérience m’a permis de donner une direction à ma carrière. » Benjamin Cros décide illico de s’orienter vers les missions de conseil de croissance, tournées vers l’avenir, les positionnements pour gagner des marchés. Ça lui réussit.
Des expériences qui font grandir plus vite
Trois ans plus tard, il est chassé par PwC qui monte une équipe de stratégie au sein de la partie advisory pour développer le conseil en stratégie (due diligence commerciale) dans son pôle M&A (merger and acquisition). Retour en France : « C’est l’aspect entrepreneurial qui m’a attiré. Monter une équipe, aller chercher du business, faire des decks et des analyses… c’était l’occasion de toucher à tout. Je me suis dit que j’allais rapidement gagner en maturité dans le métier. D’ailleurs, je suis reconnaissant envers PwC. C’est un cabinet qui donne des opportunités aux gens et sait gérer son personnel. »
En quatre ans, l’équipe parisienne passe de six à plus de vingt-cinq personnes. Benjamin Cros repart alors une année au Japon pour booster l’équipe de PwC locale : « J’ai monté un business plan, vendu des projets pour le Japon, recruté un partner, rapporté une affaire pour la France et puis je suis rentré à Paris. »
Pas pour longtemps. Lorsqu’on lui parle de l’opportunité de monter une équipe aux États-Unis, au sein du réseau PwC, il accepte immédiatement. « Je ne nourrissais pas de fascination particulière pour les États-Unis, mais j’étais curieux. Je lisais les livres des gourous du conseil, qui sont tous américains. C’est là-bas qu’est né le métier », rappelle-t-il.
Le rêve américain ?
Pourtant, ce n’est pas le moment idéal d’un point de vue personnel. Avec sa compagne, japonaise, ils viennent d’avoir un bébé : « Il n’avait qu’un mois quand on est parti. Au final, il nous aura fallu un an d’adaptation. Le temps que notre enfant entre à la crèche », confie-t-il. En outre, à son arrivée, il réalise que tout est différent outre-Atlantique : « Le staff est à 90 % étranger ! C’est une terre de diversité, alors qu’à Paris on travaille à 90 % avec des nationaux. Je me rappelle aussi que mon boss m’a dit, dès le premier jour : “tu ne mets plus jamais de cravate de ta vie”. Il m’a dit ça très sérieusement ! » Après, selon lui, tout a été fabuleux. Le dynamisme, l’optimisme : « Ici, on travaille dans un environnement exigeant, il faut mettre le paquet, c’est très intense comme rythme, mais il y a toujours une ambiance bon enfant. ».
De son côté, il pense avoir apporté une rigueur acquise dès ses premières années d’études : « En caricaturant, on pourrait dire qu’aux US ils sont très forts sur le savoir-être et le travail collaboratif qu’ils apprennent tout-petits à l’école, alors qu’en France on valorise davantage le savoir-faire et l’expertise personnelle. »
Le coup de fil de Google
Au bout de quatre ans, il se voit bien devenir partner. PwC l’inscrit dans un programme pour futurs associés, il est très enthousiaste. Mais le téléphone sonne et à l’autre bout de la ligne, c’est Google.
D’un coup, ses plans tout tracés pour les dix prochaines années s’évanouissent. « J’aimerais vous dire que c’était un master plan, mais non ! » s’amuse-t-il quand on lui demande s’il réalise un rêve en rejoignant le géant mondial du numérique. « Quand Google m’a appelé, je n’avais jamais imaginé travailler dans la tech autrement qu’en tant que consultant ! »
On est en 2016, Google est en pleine accélération sur l’intelligence artificielle. Benjamin Cros avait étudié les programmes neuronaux il y a vingt ans. Rejoindre l’entreprise en pointe dans l’apprentissage machine est juste incroyable pour lui !
Il se sent à sa place : « Je crois que je n’étais pas un consultant traditionnel. J’adore construire ensemble et, chez Google, je me suis aperçu que j’étais plus aligné. J’avais de bonnes prédispositions », dit-il. Dès le départ, il met les bouchées doubles pour que son intégration soit aussi rapide que possible. Au bout de six mois, sa première évaluation atteste qu’il « a dépassé les attentes » de son employeur. Une performance, pour un nouvel arrivant.
On découvre ainsi que deux fois par an, les collaborateurs de Google (les « Googlers ») sont notés sur une échelle d’appréciations allant d’« Amélioration nécessaire » à « Superbe » :
« Les attentes sont très élevées. Environ 50 % des collaborateurs obtiennent l’appréciation “A délivré comme attendu”. Seul 1 % décrochent un “Superbe”. Pour ça, il faut avoir développé quelque chose de vraiment extraordinaire. Et là, les bonus de rémunération peuvent atteindre le triple de ceux d’un employé avec la note moyenne ! » dévoile l’ex-consultant.
Au départ, il est recruté pour soutenir et conseiller les patrons d’activités de Google en matière d’externalisation d’effectifs. Dans la tech globalement, c’est un enjeu important. L’outsourcing permet de gérer avec une grande vélocité les besoins de croissance – et de décroissance ‒ rapide. L’externalisation est aussi largement utilisée pour l’exécution de tâches répétitives, qui ne requièrent pas l’intervention d’ingénieurs ou d’experts, et ne permettent pas d’offrir des perspectives de promotion.
Par exemple, pour entraîner des intelligences artificielles à la reconnaissance d’images, ou actualiser des données pour les logiciels d’aide à la navigation… Rapidement, Benjamin Cros prend la tête de l’équipe États-Unis-Amérique latine. Choix des partenaires, de la localité… sa mission est d’aider ceux qui travaillent avec les BPO (business process outsourcing, ndlr) comme Accenture, à établir les bons deals et les gérer efficacement : « C’est un job de consultant, car il faut comprendre les besoins du business et transformer la vision dans l’opérationnel. On fait parfois de l’accompagnement au changement. »
Après deux ans d’outsourcing, il aspire à travailler sur un des produits de la maison. Google encourageant la mobilité interne, il rejoint l’équipe « Search » (le moteur de recherche) sur la stratégie et l’opérationnel : « J’ai eu la chance de travailler avec Ben Gomes (un historique de Google qui a joué un rôle clé dans le succès phénoménal du moteur de recherche, NDLR), c’était très stimulant ! » Et puis, au bout d’un an et demi, on lui offre de revenir à ses premières amours, l’outsourcing avec, cette fois, une responsabilité mondiale.
Un job de consultant où tous ne trouvent pas leur place
Benjamin Cros a alors l’opportunité de construire une nouvelle fonction achats chez Google en partant de zéro. Et c’est ce qu’il fait : « La fonction Procurement chez Google n’est pas uniquement focalisée sur les achats. On ne se contente pas de négocier les meilleurs prix auprès des fournisseurs, mais nous faisons aussi en sorte que les Googlers aient les meilleurs outils à leur disposition. »
Difficile de citer des exemples pour des raisons de confidentialité vis-à-vis de la concurrence. On saura juste, par exemple, que le service de Benjamin Cros a récemment introduit, auprès de certains des ingénieurs software de Google, une technologie innovante d’une société tierce qui a permis d’automatiser encore davantage les opérations d’assurance qualité logicielle : « Cela veut dire un temps de mise sur le marché réduit de façon drastique, une meilleure couverture de tests donc une meilleure qualité, et bien sûr une baisse des coûts opérationnels en pourcentage à deux chiffres. »
Le directeur de la stratégie pour les achats de services professionnels (son titre exact) insiste sur l’enjeu de sa mission : « Notre sujet majeur, c’est comment l’outsourcing contribue à la croissance de Google pour gagner des parts de marché, et que les utilisateurs aiment Google et utilisent ses services. »
Pour ce faire, les profils de consultants peuvent sembler parfaits. Pourtant, ils ne représentent qu’un quart de son équipe – des profils issus principalement des Big Four et d’Accenture. C’est que la greffe ne prend pas toujours : « Ici, ils ne sont plus le centre du monde ! Ce que je veux dire, plus sérieusement, c’est que Google donne peu de crédit aux réussites passées. Ceux qui arrivent des cabinets avec de beaux succès à l’extérieur peuvent avoir du mal en interne », confie Benjamin Cros. Il faut à nouveau faire ses preuves, réapprendre à travailler différemment, obtenir l’adhésion des autres pour espérer avoir un impact... Pas si facile pour un consultant, même (surtout ?) pour les plus experts d’entre eux.
Par Delphine Sabattier pour Consultor.fr
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