Dans les coulisses de la private equity mania
Il n’est pas rare que les fonds de private equity constituent la moitié de l’activité des cabinets de conseil en stratégie. Tout particulièrement sur des revues stratégiques d’entreprises que ces derniers envisagent d’acheter ou de vendre. À cet égard, l’année 2021 est un pic.
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- Private equity : le temps se gâte
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- Le BCG accompagne l’augmentation de capital de Paprec
- OC&C boucle 90 opérations en 2021
Après le coup de frein de la covid, le private equity, et ses milliers de milliards de dollars à investir (l’estimation est de cet ordre-là), est en pleine bourre. Les chiffres en attestent : depuis janvier 2021, les fonds de private equity ont opéré plus de 820 milliards de dollars d’acquisitions, selon Refinitiv. Il faut remonter à 2007, à la veille de la crise financière, pour retrouver une telle flambée, rappelait Les Échos fin septembre (voir l’article).
Les fonds les plus importants du globe réalisent des levées record, à l’instar des 18 milliards de dollars réunis par KKR en mai, la plus importante des quarante-cinq ans d’existence du fonds. À plus petite échelle, la tendance est la même en France où des fonds tels que Keensight, Latour Capital, BlackFin, Montefiore ou ArchiMed ont chacun constitué des fonds d’une ampleur plus ou moins égale à 1 milliard d’euros, alors que certaines de ces équipes n’avaient même pas dix ans d’existence (voir l’article).
Rush hour
Des deals tout feu tout flamme qui ont des conséquences très directes pour les nombreux conseils qui interviennent sur chacun de ces investissements. « Vingt ans que je fais du private equity, je n’avais jamais connu cette dynamique. Concrètement, je pourrais faire le double ou le triple de ce que je fais déjà alors même que notre chiffre d’affaires de conseil en private equity a bondi de 75 % entre depuis 2019 », dit Nicolas Kandel, associé chez CMI en charge du private equity.
Dans la même veine, Advancy, qui réalise la moitié de son activité dans le private equity, indique avoir accompagné à ce stade en 2021 un total cumulé de 17 milliards d’euros de deals et être au-delà des 78 deals accompagnés en 2020 et des 75 de 2019.
Tous les cabinets interrogés disent refuser beaucoup de propositions et être appelés par plusieurs fonds sur les mêmes dossiers. Des témoignages qui se vérifient dans tous les cabinets interrogés : ceux qui faisaient un peu de « PE » en font beaucoup, ceux qui n’en faisaient pas en font un peu. Et ce dans tous les secteurs : industrie, pharma, chimie… « Nous travaillons sur des sujets aussi divers que le packaging ou le nautisme, ce qui plaît beaucoup aux nombreux fanas de Voile parmi les consultants », se félicite Florent Chapuis, le partner en charge du private equity avec Sébastien David chez Advancy.
Quand, en juillet, allnex, un des principaux fabricants mondiaux de revêtements et d’encres à des fins architecturales, industrielles ou pour l'automobile a été vendu – pour une valorisation de 4 milliards de dollars – par Advent au groupe chimique thaïlandais PTT Global Chemical Public Company Limited, Advancy a été mandaté. Même secteur, même date, même cabinet quand CVC Capital Partners a annoncé mi-juillet la vente d’AOC, un fabricant néerlandais de résines, au gestionnaire de fonds Lone Star Funds.
Dans la santé, « beaucoup de sous-secteurs ont intéressé les fonds, les laboratoires, les fabricants de dispositifs médicaux, les groupements de cliniques, les services connexes à la santé », dit William Berger, partner travaillant sur le secteur de la santé dans le pôle Transformation de Eight Advisory.
Le volume des sollicitations et leur diversité témoignent donc de l’emballement. Il n’est pas complètement neuf, mais s’est accentué en 2021 et s’explique de diverses manières, pour Julien Berger, managing partner chez INDEFI. « La tendance est structurelle. Parce que le private equity a le vent en poupe : le nombre de sociétés de gestion qui lèvent des fonds augmente, le nombre de fonds qui se positionnent sur chaque opération est lui aussi en développement, ce qui se traduit par une augmentation mécanique de l’intensité concurrentielle sur les opérations. Et évidemment, qui dit plus de fonds engagés dit plus de conseils mobilisés », analyse-t-il.
La due diligence, épreuve reine
Deuxième raison : la due diligence, la revue stratégique des entreprises achetées ou vendues, est devenue un must absolu sur tous les segments du private equity (small, mid ou large cap). « La revue stratégique n’est plus le pré carré des opérations upper mid et large cap comme cela fut le cas pendant longtemps. Elle devient un passage obligé, même sur des transactions small cap pour valider une thèse d’investissement et anticiper au mieux les leviers de création de valeur envisageables post deal », avance Julien Berger.
C’est bien elle, la revue stratégique, qui constitue la plus grosse part, et de loin, des missions de cabinets de conseil en stratégie auprès des fonds de private equity.
Certes, les cabinets de conseil en stratégie peuvent être appelés aussi pour des screening (trouver des entreprises porteuses dans lesquelles investir), des red flags (des avis ponctuels sur telle ou telle entreprise), l’amélioration de la performance opérationnelle, l’excellence commerciale ou la diversification d’entreprises dans lesquelles les fonds ont déjà investi, mais les besoins de revues stratégiques sont tels qu’ils consomment l’essentiel de leurs ressources à l’heure actuelle.
Jusqu’à présent, ces missions de due diligences, déjà ultra-resserrées, consistaient à analyser jusqu’à l’os le marché de l’entreprise vendue ou achetée, sa part de marché, ses concurrents, les menaces réglementaires et technologiques, l’évolution des prix, à échafauder un business plan, une analyse des risques et des scénarios de crash.
En moyenne, et selon la taille des entreprises analysées, quelques consultants étaient mobilisés pendant quatre semaines, appelaient une cinquantaine d’experts, de commerciaux, de clients et de dirigeants, et remettaient 150 slides contre 100 000 à 200 000 euros d’honoraires (chiffres Andera Partners).
Le contenu des missions a changé
L’effervescence actuelle redistribue un peu les cartes de ce point de vue-là aussi. Sur la durée d’abord : les missions sont plus courtes. Elles tendent vers trois semaines chez Advancy et à deux semaines chez CMI. De plus, là où précédemment ces revues stratégiques avaient lieu après la sélection réciproque par les repreneurs et les cédants d’un nombre limité d’investisseurs sur un dossier d’investissement – en phase II dans le jardon du « PE » –, elles commencent beaucoup plus tôt.
« De plus en plus d’investisseurs veulent se faire une conviction sur un actif en avance de phase, avant que tout process officiel de vente ne soit ouvert. Ce qui nous permet de travailler très en amont et de construire de manière collaborative avec les fonds la thèse d’investissement à envisager. Même dans le cadre des process transactionnels, nous avons de plus en plus tendance à intervenir en deux temps, dès la phase I, pré lettre d’intention, et en phase II », témoigne Julien Berger, chez INDEFI. Une certaine course de vitesse dont font état plusieurs autres partners indiquant qu’ils sont appelés beaucoup plus tôt et que les tentatives de préemption de dossiers, l’achat d’une entreprise avant qu’elle ne soit officiellement mise en vente, sont beaucoup plus nombreuses.
Autre changement, sur le contenu même : « On délimite les contours de la revue stratégique beaucoup plus strictement les deux ou trois premiers jours de la mission. On ne réinvente pas la roue à chaque coup et on se met d’accord sur les quelques questions claires auxquelles notre travail doit répondre. “Tel et tel concurrent vont émerger, sont-ils en capacité de rafler la mise ?”, ”Telle évolution réglementaire est à venir, peut-elle être problématique et si oui en quoi ?’ », détaille Nicolas Kandel, chez CMI.
Dernier changement notable sur le fond des revues stratégiques demandées aux consultants en stratégie : le poids des critères ESG (environnement, social et gouvernance) dans les décisions d’investissement des fonds. « Ce qui est apparu dans le private equity il y a dix ans comme un sujet extra-financier à traiter en stand alone, est de plus en plus placé au cœur de la réflexion stratégique des investisseurs. Dans de plus en plus de secteurs, difficile d’isoler la préoccupation ESG des réflexions stratégiques liées aux évolutions de marché et au positionnement concurrentiel des acteurs », indique Julien Berger.
Comment les fonds choisissent-ils leurs consultants en stratégie ?
Des due dil en pagaille, des due dil aux contours adaptés, certes, mais comment les fonds, dans un contexte où on se dispute les meilleurs conseils, choisissent-ils leurs consultants (relire notre article sur les conseils changeants chez Ardian) ? « Il y a eu une inversion du marché : ce n’est plus nous qui appelons, on nous demande si nous avons du temps », appuie Nicolas Kandel chez CMI.
Deux critères de choix au moins pour Pierre Cavalier, directeur de participations chez Andera Partners (ex-Edmond de Rothschild Investment Partners), qui lève 450 millions d’euros en 2021 : « La pertinence et l’expérience du secteur d’une part ; est-ce qu’on en aura pour notre argent d’autre part ? Parfois, en trois semaines, et avec le budget imparti, on ne pourrait en théorie traiter qu’une partie de la revue stratégique. Cela est très apprécié quand des profils seniors sont investis dans la mission et nous disent que tel et tel point n’étaient pas inclus dans le périmètre de départ, mais qu’ils ont tout de même été traités », témoigne-t-il.
Autres critères différenciants entre un cabinet de conseil en strat’ A et un cabinet B : la capacité à donner une conviction d’investissement claire – allez-y ou n’y allez pas ! « L’écueil, c’est le remplissage de slides », appuie Pierre Cavalier.
Il est fréquent que les fonds présélectionnent deux ou trois cabinets – souvent ceux avec lesquels ils ont déjà travaillé ou alors parce qu’ils sont particulièrement reconnus sur un sujet – et les fassent pitcher sur leur connaissance du secteur et de l’entreprise. Car mieux vaut ne pas se tromper sur le consultant en stratégie retenu : la revue stratégique est l’audit le plus coûteux de tous les audits effectués au moment d’un investissement, loin devant les audits financiers, sociaux, fiscaux, environnementaux ou assurantiels. Quoiqu’ils restent moins chers que les frais d’avocats !
Pierre Cavalier dit ainsi travailler régulièrement par exemple avec CMI, INDEFI, Roland Berger, mais moins avec de gros cabinets anglo-saxons jugés moins adaptables à de petits marchés de niche.
L’entretien de relations de long terme entre certains cabinets et certains fonds est un gage de missions répétées. CMI indique ainsi collaborer régulièrement avec une vingtaine de fonds, plutôt français ; Eight Advisory plusieurs dizaines de fonds sur le seul sujet de la santé ; quand Advancy est missionné régulièrement par « une centaine de fonds » sur des sujets sur lesquels ses clients savent que « le cabinet peut partir lancé » — c'est-à-dire démarrer très rapidement une mission avec déjà un haut niveau de compréhension des enjeux —, comme en témoigne son PDG et fondateur Éric de Bettignies.
À la seule nuance près que les missions de vendor due diligence restent plus difficiles à obtenir. Elles sont une marque de reconnaissance pour un cabinet. Car le document de revue stratégique produit a vocation à circuler auprès de nombreuses tierces parties quand la revue à l’achat ne sert qu’au client qu’il l’a demandée.
La forte croissance des missions de private equity doit aussi être abordée avec prudence. Tous les cabinets veillent du moins à limiter la part globale du PE dans leurs activités, pour ne pas cramer leurs équipes sur des missions dont les lourds horaires sont connus. « Si un consultant ne fait que des audits stratégiques, il s’assèche. Nous nous sommes fixés pour règle d’interdire plus de deux missions de revue stratégique d’affilée, pour le bien-être des équipes et le développement du capital intellectuel du cabinet. Quoiqu'en ce moment, nous avons du mal à tenir cette limite », explique Nicolas Kandel chez CMI.
Des règles qui resteront valables encore un moment. Sauf retournement inattendu, le marché du private equity restera encore très dynamique. Et des cabinets songent à développer de nouvelles verticales sectorielles, voire à lancer des offres de private equity à part entière.
C’est par exemple le cas de Publicis Sapient.. La vingtaine de consultants en stratégie du groupe en France mettent actuellement sur pied une offre de due dil. Elle aura pour particularité de se situer à mi-chemin entre les auditeurs stratégiques et les auditeurs IT et d’emmener à la fois des consultants en stratégie et tous les autres corps de métiers présents chez Sapient, des développeurs, des data scientists, des spécialistes du CRM… Une offre qui doit à terme représenter 20 % de l’activité de la BU strategy consulting de Publicis Sapient.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
Retrouvez nos autres articles sur le private equity :
https://www.consultor.fr/devenir-consultant/actualite-du-conseil/5070-la-chasse-aux-societes-a-vendre-met-le-conseil-en-private-equity-sur-le-gril.html
https://www.consultor.fr/devenir-consultant/actualite-du-conseil/5995-les-fonds-de-private-equity-et-leurs-conseils-a-tatons-vers-une-hypothetique-reprise.html
https://www.consultor.fr/devenir-consultant/actualite-du-conseil/5823-pourquoi-ardian-change-de-conseil-a-chaque-deal.html
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private equity
- 01/10/24
L’associate partner de Bain & Company New-York, Edward Whalley, a quitté le cabinet cet été pour prendre la direction générale du Fonds du bien commun. Il remplace poste pour poste un autre ancien consultant, de McKinsey, Alban du Rostu, qui en était le CEO-cofondateur depuis septembre 2021.
- 27/09/24
En juin 2024, l’entité indienne de Bain & Company a annoncé se délester d’un consultant sur cinq. Le principal facteur externe de ces licenciements tiendrait dans la crise que traverse depuis 2021 l’un des gros clients du cabinet, le fonds américain Tiger Global.
- 11/09/24
Le cabinet de conseil spécialisé tech/data Singulier est revenu récemment avec Begoña González-Alemán, CMO du groupe, sur la mission menée par Singulier en 2020 pour digitaliser le modèle de Sector Alarm, du portefeuille du fonds d’investissements KKR depuis 2019 (30 % du capital).
- 09/09/24
Dans le cadre de la prise de participation (majoritaire) du fonds PAI Partners dans la marque de compléments alimentaires Nutripure auprès d’Ardian, ce sont deux cabinets de conseil en stratégie qui sont intervenus : Singulier (via sa coentreprise avec Indefi) auprès de Nutripure pour la vendor due diligence commerciale et digitale et Advancy auprès de l’acquéreur PAI Partners pour la due diligence stratégique.
- 09/08/24
Ils sont trois cabinets de conseil en stratégie, Bain & Company, Singulier x INDEFI et Roland Berger, à avoir travaillé sur la prochaine acquisition (une part majoritaire) par le fonds Ardian de deux entreprises made in France de préparateurs culinaires haut de gamme, Magimix et son célèbre robot multifonctions, dédiée aux particuliers, et Robot Coupe pour les professionnels, 130 millions d’euros en 2022. Deux sociétés détenues par l’actionnaire historique, le groupe Hameur, et la famille de Jenlis, pour une valorisation estimée entre 1 et 1,5 milliard d’euros, selon Aroun Benhaddou du site L’Informé.
- 19/07/24
Le consultant de la firme PwC depuis 10 ans, Martial Thomazo, entré en 2018 au sein de son entité stratégie, Strategy&, est promu partner dédié à la plateforme Finance Strategy & Deals, rattaché à l’équipe Deal.
- 18/06/24Retournements, changements d’actionnaires : Kea mise sur des duos operating partner – senior partner
Dans un contexte de net développement du recours aux « operating partners » en France, une nouvelle filiale de Kea voit le jour : Opvise, et ses binômes alliant approche de direction et méthodo du conseil. Le contexte, les enjeux avec les promoteurs de l’initiative, Arnaud Gangloff et Christian Jacqui.
- 02/05/24
Le gestionnaire d’actifs IK Partners vient d’annoncer la cession de sa participation majoritaire (acquise en 2019) au sein d’Eres à Eurazeo pour un montant de quelque 600 millions d’euros. Les cabinets Oliver Wyman et Singulier ont accompagné deux des acteurs : le fonds IK Partners (détenu depuis un an à 51 % par la holding Wendel) et la participation cédée, la société d’épargne salariale et de retraite Eres.
- 30/04/24
Les cessions d’actifs sont moins nombreuses dans l’attente d’une conjoncture plus favorable. Une forte pression pèse sur les sociétés de conseil. Récit.