Private equity : le temps se gâte
Après une année 2021 record et un début 2022 tout aussi soutenu, les fonds d’investissement se préparent à naviguer avec plus d’incertitudes, sur fond de guerre en Ukraine et de tensions inflationnistes, et dans les cabinets de conseil qui les accompagnent, on a dû s’adapter.
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Le covid n’aura pas eu raison du private equity. Après la parenthèse de 2020 (lire ici), l’activité s’est de nouveau emballée atteignant des pics en 2021 (voir là). Y compris en France.
D’après les chiffres de France Invest, le capital-investissement a représenté 27 milliards d’euros investis et 24 milliards levés sur l’année 2021, en hausse de plus de 30 % par rapport à 2019, année précovid.
« Nous n’avons pas encore consolidé les chiffres pour le premier semestre 2022, mais on a le sentiment qu’il n’y a pas de ralentissement : les investisseurs français et étrangers ont l’air plutôt partants pour continuer d’accompagner les sociétés sélectionnées. En particulier sur les opérations small et mid cap », analyse Claire Chabrier, présidente de France Invest.
Incertitudes prégnantes
Mais « pour combien de temps encore ? » s’interrogeaient Les Échos fin mai. Et ils ne sont pas les seuls. « Il y a beaucoup plus d’incertitudes qu’avant. Même si les carnets de commandes sont pleins, les questions sont nombreuses : va-t-on vers un retournement de la demande ? Les tendances de consommation vont-elles changer ? Quid de la capacité à répercuter l’augmentation du prix des matières premières ou de l’évolution des transactions immobilières dans les trois ans à venir ? », énumère Nicolas Kandel.
Avec son cabinet CMI, ce partner expert en private equity s’occupe d’une cinquantaine de due diligence à l’achat par an et d’une dizaine de VDD. L’an dernier, CMI a accompagné 25 fonds d’investissement et réalisé un tiers de ses 17 millions d’euros de chiffre d’affaires avec le private equity. Une activité en forte croissance, qui ne devrait pas s’essouffler de sitôt, mais qui se trouve bouleversée. « On ne note pas de ralentissement, mais des transformations », confirme Nicolas Kandel.
Même son de cloche chez EY-Parthenon, qui a mené 40 % de plus de projets de due dil buy side et de VDD en 2021 après une année déjà record en 2020. Soit au total plus de 120 due diligence menées en 2021 avec environ 35 closings (vs 90 DD avec 24 closings en 2020), et le premier semestre 2022 s’annonce tout aussi soutenu. « Nous ne notons pas de ralentissement marqué. Il y a certes eu une crainte sur la disponibilité des financements au début du conflit en Ukraine, mais cela semble passé », note Stéphane Vignals, associé EY Transaction Diligence, récemment nommé à la tête du private equity pour l’ensemble d’EY Strategy & Transactions France.
Chez Advancy, aussi, 2021 a été une année historique avec 22 milliards d’euros de transactions « closées », et 2022 suit la même tendance avec déjà 10 milliards d’euros « closés », alors que le premier semestre n’est pas encore terminé.
« Un certain essoufflement commence toutefois à se faire sentir, note Florent Chapuis, partner en charge du private equity avec Sébastien David chez Advancy. Mais ce n’est pas à cause de la capacité d’investissement, car les levées sont toujours plus importantes. C’est plutôt en raison du contexte actuel, qui rend la situation anxiogène. »
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Secteurs plus touchés
Certains secteurs s’en tirent mieux que d’autres. « On observe un appétit certain des investisseurs pour les actifs dont le business model se montre particulièrement résilient, notamment dans la tech et les télécoms pendant et après la période covid-19 », souligne Étienne Costes, associé EY-Parthenon, en charge des technologies, médias et télécommunications.
La santé, la transformation digitale et la fintech ont également le vent en poupe, comme le confirme Claire Chabrier de France Invest. En revanche, « les secteurs plus cycliques, qui dépendent des cycles économiques, sont bien évidemment plus concernés », ajoute Nicolas Kandel.
La construction et l’énergie, sur lesquelles pèsent des incertitudes lourdes, sont particulièrement concernées.
Consultants chamboulés
Dans ce climat ambiant, la nervosité règne. « Cela se traduit par des fonds qui rentrent et ressortent rapidement sur un dossier, reprend Nicolas Kandel. Parfois, nos équipes doivent tout arrêter au bout de dix jours. C’est assez déstabilisant. » C’est ce qui arrive par exemple lorsqu’après une année 2021 sous de bons auspices, les premiers chiffres de 2022 arrivent et sont moins bons. « Alors, on attend parfois ceux du mois prochain. C’est une situation plutôt inconfortable », poursuit le partner chez CMI.
Les ventes se mettent en attente, les go/no go sont plus rapides, les fonds se montrent fébriles. Et cela se comprend. « Les valorisations sont très élevées, on sent que 2021 et 2022 sont des pics et on se demande si cela va durer. Pour les due dil à l’achat comme à la vente, il y a plus de stress », continue Nicolas Kandel.
Alors, dans les cabinets de conseil qui sont beaucoup à développer le private equity ces dernières années, on fait preuve d’agilité… et d’équilibrisme. « Les fonds essaient de nous appeler en avance. Nous leur réservons une équipe pendant quinze jours, mais sans confirmation, on la libère », explique Nicolas Kandel.
Plus de strat'
Dans tous les cas, les cabinets sont toujours autant sollicités sur les sujets de private equity. « Nous sommes même contraints de refuser des missions », assure Florent Chapuis, partner chez Advancy. Même constat chez les autres cabinets interrogés sur le sujet.
Si la nature des missions n’a pas vraiment changé – ni même leur durée avec, comme avant, une moyenne d’un mois pour les due dil par exemple –, il y a tout de même des changements notables.
Les incertitudes poussent les consultants à adapter leur façon de travailler. « Cela remet les questions stratégiques au cœur du sujet, analyse Nicolas Kandel. La modélisation fine des marchés devient cruciale pour se doter d’une conviction étayée. »
Même observation chez Advancy. « Dans nos due dil, on passe plus de temps à définir des scénarii et à modéliser différents cas sur les marchés sous-jacents. Un travail plus pointu que la normale, mais ce travail doit être extrêmement poussé pour réduire les incertitudes des investisseurs dans un contexte où il est compliqué de se faire une conviction », explique Florent Chapuis.
« La question nouvelle qui se pose, c’est de savoir si les sociétés seront capables de faire preuve d’agilité pour s’adapter à ce nouvel environnement économique », reprend Étienne Costes. Par exemple pour la question de l’inflation, les fonds aidés des cabinets cherchent à savoir si les sociétés pourront répercuter leurs hausses de coûts en préservant leurs marges et leurs volumes de ventes. « La capacité des entreprises à faire évoluer les prix des biens et services et de transférer les hausses de coûts tout au long de la chaîne de valeur devient un sujet clé pour les investisseurs. Nous devons tous réapprendre à vivre dans un contexte d’inflation que beaucoup d’entre nous n’ont jamais connu en Europe », ajoute le partner d’EY-Parthenon.
Tout un travail désormais nécessaire et demandé. « Les investisseurs ont besoin de se rassurer avant d’investir, et ils le font avec nous, les cabinets de conseil. Ils veulent vérifier que la décision d’investir tient compte de l’analyse des risques de la société », ajoute Stéphane Vignals d’EY.
Poussée des critères ESG
L’autre grand changement dans l’univers du private equity, c’est l’attention portée aux critères ESG dans l’évaluation des actifs. D’après le dernier baromètre Global Private Equity de Coller Capital, les deux tiers des associés commanditaires de fonds estiment que les facteurs ESG augmentent la valeur des entreprises détenues en portefeuille. Ils sont donc scrutés avec soin.
« Tous les projets passent désormais au filtre des critères ESG et certains dossiers se retrouvent moins attractifs qu’ils n’auraient pu l’être il y a encore six mois ou un an », confirme la présidente de France Invest, Claire Chabrier.
« Ces critères deviennent des éléments clés distinctifs dans l’attractivité d’une entreprise, des atouts par rapport aux concurrents. Là où, avant, il y a avait l’audit financier, l’audit stratégique et l’audit ESG chacun de son côté, aujourd’hui, tous se rejoignent. On réfléchit à l’impact en tant que levier stratégique », complète Nicolas Kandel.
Alors du côté des cabinets de conseil, on a dû monter rapidement en compétences sur ces sujets. Par de la formation d’abord, mais également à l’aide de nouveaux outils. « Nous nous sommes équipés d’outils très fins de calcul des empreintes carbone des industries, parfois via des partenariats, et d’autres fois directement en propre », confie Florent Chapuis pour Advancy. Les acteurs du private equity sont par exemple très demandeurs de dashboards ESG.
Dans tous les cas, une chose est sûre pour Florent Chapuis : « Le monde du private equity a une volonté forte de mener la transformation verte de ses actifs. »
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