Données, idées, images, mails, tableurs, textes… : l’IA à 1000 à l’heure dans le conseil
Dans les cabinets de conseil en stratégie, les recours à l’intelligence artificielle se multiplient, ChatGPT en tête. Mais bien d’autres outils sont à l’œuvre. Et le champ des possibles est vertigineux.
Il y a des signes qui ne trompent pas. Fin octobre, EY a rendu accessible à ses collaborateurs dans le monde entier EY IA. L’outil ressemble à s’y méprendre à ChatGPT, mais garantit la confidentialité des données qui y sont envoyées.
Au contraire de l’outil d’Open IA auquel tous les cabinets interrogés par Consultor se refusent encore à livrer des données clients faute de pleinement maîtriser le sort des données fournies.
Strategy&, CVA : des chefs d’orchestre IA sont créés
Dans le même temps, en France, chez PwC, un Monsieur IA vient d’être nommé : il s’agit de Pierre Bosquet, un partner de Strategy& récemment arrivé d’Artefact, et précédemment d’EY Parthenon et de Bain. Sa mission ? Passer en revue tout ce que l’IA va modifier dans les activités de conseil de PwC.
Chez Corporate Value Associates, c’est Thibaut Lacour, un senior manager présent dans le cabinet depuis 11 ans, sinon spécialisé sur les sujets d’énergie, qui a pris en juin le rôle de head of AI à la tête d’une petite équipe dédiée (lui et 2 consultants à temps partiel) et ce pour la zone Emea (Europe, Middle East, Africa). Ce dernier finalisera prochainement une formation financée par CVA au MIT autour de l’IA et du machine learning.
« Se servir de l’IA est aussi important que de se servir de PowerPoint ou d’Excel »
« Nous considérons que se servir de l’IA est à présent aussi important que de se servir de PowerPoint ou d’Excel. Un consultant qui ne sait pas faire de recherches IA se tire une balle dans le pied dès le départ. C’est un peu comme s’il ne savait pas faire de requête Google », explique Thibaut Lacour.
Première des priorités chez CVA donc : former. Une quarantaine de cas d’usage sont à la disposition de tout un chacun sur les utilisations qu’il est possible de faire de ChatGPT : recherche de données, analyse de données, recherche de contacts, synthèse d’interviews…
Même logique chez PMP où ChatGPT 4 (la version payante plus performante) a été intégré à Azure, l’environnement applicatif de Microsoft utilisé par le cabinet. Concrètement, dans Teams, les consultants peuvent accéder au chat intelligent et lui fournir des données avec le filet de sécurité offert par Microsoft quant à la confidentialité des données.
Puis un registre de prompts (commandes écrites en informatique) est tenu à la disposition de l’ensemble des collaborateurs des consultants sur des sujets récurrents d'interrogations (faire un benchmark, préparer un atelier, définir une roadmap...). « Ce sont des instructions étoffées qui sont données à ChatGPT ou à Llama 2 (le large langage model de Meta, ndlr) quand les collaborateurs du cabinet veulent faire des actions typiques d’une mission de conseil en stratégie, par exemple un benchmark. On peut donner des séries de consignes à l’IA pour orienter ses résultats dans le sens qui nous intéresse. On peut par exemple lui dire “tu es un expert de la supply chain” et “adopte une approche MECE (mutually exclusive et commonly exhaustive, ndlr)” », détaille Olivier Leroy, patron du data lab de PMP.
L’objectif est de pousser encore plus loin l’utilisation raisonnée de ces outils.
Executive summary, mail, commentaire de slides, recherche et relecture de documents, création visuelle, veille : les dizaines d’utilisations de l’IA
Mais, de fait, leurs usages sont déjà très nombreux et se multiplient ces derniers mois. Chez Singulier, ChatGPT, Llama 2, Bard (Google), Perplexity (pour la recherche documentaire), Spoke (transcription écrite de bandes-son) sont devenus des outils du quotidien.
ChatGPT est typiquement utilisé en début de due diligence pour effectuer des premières recherches sectorielles : « “Dis-moi comment évolue tel marché”, “dis-moi quel est l’environnement concurrentiel”, c’est le type de premières questions que nous allons poser », pose Rémi Pesseguier, le co-fondateur du cabinet.
Ces premiers résultats vont même être à nouveau soumis à ChatGPT en lui demandant de formaliser un premier brouillon d’executive summary sur la base de ces données préliminaires. « Cela fait qu’au jour 1 du projet nous avons une vision prospective de la synthèse vers laquelle nous voudrions aller. C’est une base de travail », expose Rémi Pesseguier.
L’IA peut aussi être utilisée pour formaliser des sondages ou des questionnaires pour les interviews conduites lors de due diligence, pour écrire un mail, un commentaire de slide, pour faire des recherches de documents, de la vérification orthographique et syntaxique, des créations visuelles… « Plein de petites micro-tâches… On l’utilise de plus en plus », observe Grégoire Viel, associate director chez Singulier.
En Belgique, un consultant en stratégie chez EY explique à Consultor recourir à ChatGPT pour la recherche de nouvelles idées. « Quand un client vous fait une demande rapide, taper quelques mots-clés dans ChatGPT, et maintenant EY IA, permet d’avoir des idées neuves out of the box », explique ce consultant qui a requis l’anonymat pour s’exprimer dans cet article.
Ce dernier, qui intervient dans le secteur public, utilise aussi l’IA pour rédiger des parties des cahiers des charges qu’il doit adresser en réponse aux appels d’offres publics de conseil, ou encore pour résumer des rapports.
En démarrage de mission, il n’est plus rare du tout que ce consultant soumette à ChatGPT les documents rassemblés dans une première phase de documentation et qu’il demande à l’IA ce qu’elle voit comme risques ou comme opportunités. « Cela me permet parfois de cibler des éléments auxquels je n’avais pas pensé », explique-t-il.
Olivier Leroy, le patron du data lab de PMP, indique de son côté recourir à l’IA aussi à des fins de veille. « Nous nous sommes inscrits à des dizaines de newsletters. L’IA va scroller tous ces contenus et nous en fournir des digests de quelques articles seulement, selon les centres d’intérêt des uns et des autres », dit-il.
Chez CVA, des rapports antérieurs, vidés de leurs données sensibles, sont mis dans la moulinette ChatGPT pour effectuer des comparaisons rapides. Sont également utilisés des plugins tels que Ask my PDF ou Code Interpreter. « Vous uploadez n’importe quelle base de données Excel, avec autant de lignes et de colonnes que vous souhaitez, et Code Interpreter peut vous fournir par régression linéaire des agrégations de données. Il peut également boucher les trous d’une base de données ou corriger les erreurs », détaille Thibaut Lacour, le manager et désormais chef d’orchestre du sujet IA.
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Knowledge management : la poule aux œufs d’or
Un autre levier important d’utilisation de l’IA identifié par plusieurs cabinets de conseil en stratégie est celui du knowledge management. « CVA a 37 ans d’existence et une base de données gigantesque de rapports et documents en tous genres produits au fil du temps. Comment accède-t-on à ces données, surtout quand les gens qui en sont initialement les auteurs s’en vont ? Si je fais une proposition commerciale à un prospect sur la mobilité électrique aux États-Unis, je sais que CVA est déjà intervenu sur le sujet, mais je ne sais plus combien de fois, quand, qui s’était chargé de la mission chez nous et auprès de quel client. Un outil d’IA saura extraire les slides les plus pertinents dans les missions en question », explique encore Thibaut Lacour.
Sur le knowledge management, Olivier Leroy chez PMP voit également « une grosse valeur » potentielle : « Plein de docs sont créés toute la journée sans que chacun le sache. Il y a peut-être des choses très bien à disposition sur le targeting operating model dans l’assurance par exemple. Pour l’instant, on doit identifier et joindre l’expert qui s’est chargé du sujet, ou alors on est condamnés à refaire des slides. »
Microsoft Copilot : des slides autogénérées à portée de main ?
Et pour tous, malgré les appels à des moratoires sur l’IA, les choses ne vont pas en rester là – et bougent tout au contraire très vite chaque jour. Ainsi, début novembre, la mise à disposition de Microsoft 365 Copilot, première version de Microsoft avec IA générative intégrée, pourrait être un nouveau game changer. Sur Office, Copilot promet de synthétiser des documents dans Word et de créer des présentations PowerPoint.
Pour Olivier Leroy, chez PMP, « on peut imaginer un avenir où, en fournissant à une IA toutes les données que l’on veut faire figurer dans une présentation, elle soit en mesure de générer 80 % d’une slide ».
Toutes ces évolutions interrogent aussi à plein de niveaux le modèle des cabinets de conseil : sur la formation des juniors à qui reviennent beaucoup des tâches qui sont aujourd’hui confiées de manière croissante à des outils d’IA, sur la gestion des erreurs, sur le lien avec l’intelligence humaine.
Tous s’accordent sur le rôle mouvant que les consultants devront adopter dans les mois et les années à venir vis-à-vis de ces technologies. Ces jours-ci, c’est le feuilleton Sam Altman, le patron d’OpenIA, écarté puis réintégré, qui occupait l’espace médiatique en lien avec l’IA. « Cela avance à une vitesse déconcertante. Ce qui fait qu’il est dur de faire un pari technologique exclusif. On doit rester ouverts », défend Thibaut Lacour chez CVA.
En ce sens, le cabinet a formalisé un partenariat avec Quantmetry, le cabinet de conseil spécialiste de l’IA racheté par Capgemini et développe de nombreux autres points de contact avec d’autres partenaires potentiels.
Pour notre source en Belgique, les choses sont claires : depuis que l’IA connaît un certain essor dans les usages du quotidien, un certain nombre de départs de consultants juniors n’ont pas été remplacés. « L’IA va amener à revoir une partie du modèle pyramidal des cabinets de conseil. Je n’ai pas l’impression que ce potentiel a été pleinement pris en compte par nos dirigeants à ce stade. »
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