Exclusif : comment le BCG est devenu l’artisan de la fusion TF1-M6
Depuis le premier semestre 2021 et jusqu’à fin 2022, le BCG tient le rôle de cheville ouvrière dans le rapprochement des deux groupes audiovisuels.
- TF1 : après la fusion avec M6 ratée, le BCG rempile
- TF1 : Thomas Jacques entre au comex
- Cepton avalé par un spécialiste néerlandais de la santé
- EY-Parthenon rachète QS-2, une société de conseil en technologies
- Oliver Wyman reprend les activités de Booz Allen au Moyen-Orient
- Rapprochement avec Cepheïd, CMI change de dimension
- Le BCG, entremetteur-roi du rapprochement TF1-M6
- Liste des acquisitions dans l'univers du conseil en stratégie
Quand le 17 mai 2021, TF1, M6, Bouygues et RTL Group annoncent qu'ils ont conclu des protocoles d'accord d’entrée en négociations exclusives pour fusionner les activités de TF1 et M6 et créer un groupe de médias français, les entreprises partenaires font parler les chiffres.
Chiffre d'affaires de l’entité fusionnée : 3,4 milliards d’euros ; résultat opérationnel courant combiné : 461 millions d’euros ; création de 250 à 350 millions d’euros d’EBITA…
Ces chiffres peuvent sembler anecdotiques. Ils sont en fait le fruit d’une décision commune des quatre parties prenantes, en amont de l’annonce des négociations exclusives. Certes étaient-ils convenus sur le principe d’une fusion de TF1 (TF1 TMC, TFX, TF1 séries films, LCI, Ushuaïa TV, Histoire TV, TV Breizh, Série Club…) et M6 (M6, W9, 6ter, Paris Première, Téva...), mais encore fallait-il vérifier que le rapprochement se traduirait par des synergies réelles.
La « boîte noire »
Pour y parvenir, entre les dirigeants, et notamment Gilles Pélisson, PDG de TF1, Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6, Thomas Rabe, directeur général de RTL Group et Olivier Roussat, directeur général de Bouygues, une nécessité s’impose alors : le besoin de recourir à un cabinet tiers, expert de ces rapprochements complexes, à même d’accéder aux données confidentielles de TF1 et de M6, de les consolider, sans risquer que ni TF1 ni M6 n’aient accès aux données de l’autre camp.
Une « boîte noire » à même d’établir des chiffres plus précis sans risquer les avantages compétitifs de deux chaînes qui restent, tant que la fusion n’est pas menée à son terme, des concurrents directs.
Rapidement, le choix est fait : ce sera le Boston Consulting Group, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, pour pareil rapprochement, il faut une marque de conseil assez forte. Ensuite, il faut un cabinet rompu à l’art et la manière des rapprochements complexes et de grande échelle dans tous les domaines : banques, agroalimentaire…
Le BCG cochait les cases. En France, le cabinet est notamment connu pour avoir soufflé à Michel Pébereau – qui était alors le PDG de BNP et est depuis devenu senior advisor au BCG – la méthode « guerre des six jours » lors de la fusion BNP-Paribas de l’an 2000.
La méthode était la suivante : six jours, six semaines, six mois (Libération en faisait alors le récit) : six jours pour nommer le comité de direction, six semaines pour le plan industriel et la mise en place des structures, six mois pour aboutir aux propositions d'organisation et de synergie.
Le BCG est a fortiori un habitué de Bouygues, Bertelsmann (actionnaire de référence de RTL Group) et TF1 – sur la stratégie digitale de la chaîne par exemple. Le cabinet intervient sur divers sujets en continu dans ces différentes organisations et pouvait donc facilement être agréé par toutes les parties prenantes.
Trois partners à la manœuvre
Une fois le cabinet retenu, trois associés se saisissent du dossier TF1-M6.
Franck Luisada, qui a récemment été nommé leader monde de la practice technologies, médias et télécommunications (TMT) du BCG (relire notre article).
Renaud Montupet, qui est arrivé d’AlixPartners (non sans peine) en 2017, en tant que spécialiste du retournement des entreprises en difficultés et qui occupe encore aujourd’hui les fonctions de partner de Turn, la marque du BCG dédié au retournement.
Une practice qu’a également dirigée Nicolas Kachaner, le troisième partner investi sur le sujet TF1-M6, qui est également membre de la practice stratégie d’entreprise.
Ce sont eux, selon les informations obtenues par Consultor, qui ont établi les premiers chiffres présentés le 17 mai.
Et c'est là, sur l’entrée en négociation exclusive, que s'achève cette première mission. Mais TF1 et M6 décident alors en direct de mandater à nouveau le BCG.
à lire aussi
Dans la course pour le rachat de M6, c’est finalement TF1 qui a été choisi par l’actionnaire RTL Group, filiale du géant Bertelsmann.
S’il est validé par les autorités de régulation, le projet aboutira dans les dix-huit mois à venir provoquant un Big Bang inédit dans le paysage audiovisuel français avec un groupe fort de dix chaînes (TF1, TMC, M6, W9…) détenu à 30 % par Bouygues et à 16 % par l’Allemand RTL Group, le restant étant coté en Bourse. Interrogés par Consultor.fr, plusieurs consultants en stratégie spécialistes de l’audiovisuel se montrent enthousiastes tout en soulignant le champ de mines à venir.
Pour passer le cap de l’autorité de la concurrence, le BCG à nouveau mandaté
Car si les potentielles synergies ont été établies, la fusion doit passer le couperet anticoncurrentiel. C’est même le sujet du moment : depuis septembre 2021 l’Autorité de la concurrence (ADLC) interroge l’ensemble du secteur des médias sur la fusion TF1-M6 et une étape clé devait s’ouvrir en janvier 2022 avec la présentation par les deux groupes, trop puissant à eux deux (70 % du marché de la publicité télé, deux tiers de l'audimat sur l'information…), des cessions envisagées pour espérer obtenir le feu vert de l’ADLC (voir le sujet de BFM). Ce sera ensuite au tour du Conseil supérieur de l’audiovisuel avant le renouvellement de l’autorisation d’émettre des chaînes, prévu pour mai 2023.
Nouvelle mission donc d’une équipe de 3 à 8 consultants selon les périodes, qui travaille en complément des quelques dizaines de collaborateurs des deux groupes qui planchent de près ou de loin au rapprochement.
Les consultants du BCG restent la boîte noire préférée de part et d’autre : un certain nombre des analyses remises actuellement à l’ADLC passent entre les mains du BCG pour des raisons de confidentialité, pour que les chiffres financiers ou concurrentiels de TF1 à M6 ne puissent pas passer de l’un à l’autre, dans le cas où, par exemple, la fusion n’aboutissait pas.
Calculs de parts de marchés, coûts de production… les agrégations sont à nouveau confiées aux soins du BCG, dans un souci de confidentialité. Ce qui faisait dire à Challenges début décembre (voir notre article) que TF1 et M6 ne se voyaient plus sans le BCG même pour de simples échanges de documents – ce qui est probablement un peu exagéré, de nombreux autres intermédiaires, avocats notamment, intervenant sur le rapprochement.
En revanche, une des attentes des équipes des deux groupes vis-à-vis du BCG, à l’aune de son expérience des fusions complexes accompagnées antérieurement, est bien de jouer un rôle de facilitateur, ou de rapprochement des points de vue, en cas de difficultés.
Second volet formel de la mission actuellement en cours : préparer le déroulement concret de la fusion, les réorganisations à prévoir du fait du regroupement des équipes ou les incompatibilités informatiques.
La mission pourrait se poursuivre jusqu’à la finalisation du rapprochement fin 2022 ou début 2023. Avec une option de prolongation dans l’air : l’après rapprochement où le BCG pourrait mettre en piste ses consultants sur les sujets de post-merger integration. En cas d’aboutissement de la fusion, les deux groupes pourraient l’envisager.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (2)
citer
signaler
citer
signaler
tech - télécom - médias
- 23/12/24
La part de missions liées à l’accompagnement des entreprises sur les enjeux d’IA/IA générative s’accroît au sein des cabinets. Mais qu’en est-il de l’équipement des consultants en interne ?
- 19/12/24
D’après un fichier confidentiel du groupe informatique en proie à de graves difficultés financières, McKinsey lui a fourni 45 millions d’euros de conseil en 2022, 57 millions en 2023 – et 14 millions en 2024.
- 19/12/24
Chuck Whitten est un partner « boomerang » de Bain où il avait passé 22 ans. Au sein du cabinet il avait, notamment, conseillé Dell durant plus de 10 ans, avant de rejoindre l’entreprise.
- 03/12/24
Il est un alumni du conseil en stratégie qui fait parler de lui ces dernières semaines… Et qui aurait sans nul doute préféré rester discret pour l’occasion. Alban du Rostu, 34 ans, consultant chez McKinsey entre 2018 et 2021, puis DG du Fonds du Bien Commun (FBC), créé par l’homme d’affaires milliardaire Pierre-Édouard Stérin, catholique conservateur proche de l’extrême droite, avait été nommé le 25 novembre dernier directeur de la stratégie et du développement du groupe Bayard par son président, François Morinière…
- 21/11/24
Thibault Delon, près de 4 ans passés au bureau parisien de L.E.K., vient d’être nommé Chief of staff de Maxime Saada, CEO de Canal+ et président du directoire.
- 14/11/24
Désignée comme l’une des 50 Women in Tech allemandes en 2021, Mariam Kaynia, plus de 8 ans passés chez McKinsey, devient Chief Data and Information Officer du groupe français de télécoms par satellite.
- 07/11/24
Des associés de Simon-Kucher, EY-Parthenon, Circle Strategy et Oliver Wyman nous livrent leurs diagnostics et proposent des options stratégiques.
- 05/11/24
Benjamin Revcolevschi, consultant puis manager au BCG de 1999 à 2007, succède à Michel Paulin, pilote du leader européen du cloud depuis 6 ans.
- 02/11/24
Noli pour No One Like I. Tel est le nom de la start-up de Beauty Tech cofondée par Maëlle Gasc, 4 ans au BCG, avec un ancien directeur marketing de L’Oréal Paris. Une plateforme qui s’appuie notamment sur l’IA.