Fonds de private equity : les consultants peuvent-ils dire non à leurs clients ?
En plein boom depuis plusieurs décennies, les fonds de private equity comptent parmi les principaux clients des consultants en stratégie.
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Ces derniers les conseillent notamment dans leurs opérations d’acquisitions d’entreprises par endettements – les fameux Leverage Buy Out (LBO). Avec pour conséquence possible des taux de faillite plus élevés que la moyenne dans les entreprises achetées.
Aux antipodes de l’image de seigneurs de la croissance dont on pourrait affubler les consultants en stratégie. Pour les intéressés, ce cas de figure est une hantise chez certains, une minorité de dossiers pour d'autres et tout est ensuite question d’indépendance.
Près d’une entreprise française sur dix rachetée par un fonds de private equity (PE) a fait faillite dans les cinq ans qui ont suivi ce rachat. C’est la conclusion parue en 2014 à laquelle sont parvenus deux universitaires en passant au peigne fin une décennie de Leverage Buy Out (LBO) – ces acquisitions d’entreprises non cotées conduites par des fonds de PE – dans l’Hexagone.
Selon leurs analyses, sur 626 entreprises françaises cibles entre 2000 et 2007 de ces acquisitions financées par un fort taux d’endettement, 55 ont fait l’objet d’une défaillance. « Le taux de défaillance des entreprises cibles est plus élevé que celui des entreprises dont la probabilité de faire l’objet d’un LBO était similaire », écrivent même Nicolas Bedu et Jean-Étienne Palard.
Or, les fonds de PE en France comme ailleurs sont parmi les premiers donneurs d’ordres des cabinets de conseil en stratégie – par exemple Bain revendique globalement que les trois quarts des investissements en PE passent entre ses mains. Ce qui interroge sur la responsabilité même indirecte de ces cabinets dans la défaillance des entreprises dont ils conseillent aux fonds de faire l’acquisition.
20 % de clients perdus après l'entrée d'un fonds dans une société de livraison de pizzas
« Le problème que vous évoquez est notre hantise et guide notre conduite depuis la création d’Advancy », confirme Éric de Bettignies, l'associé fondateur du cabinet pour qui le conseil aux fonds de private equity est une part importante de l'activité.
« Certains fonds ont été mal conseillés et ont fait des bêtises », lâche aussi anonymement un consultant en stratégie parisien, habitué des missions au service des fonds de private equity. Anecdote à l’appui : après l’entrée d’un fonds de private equity au capital d’une société de livraison de pizzas, ce dernier décrète du jour au lendemain que les offres promotionnelles doivent cesser. « 20 % des clients ont été perdus en quelques heures », se souvient ce consultant.
Des erreurs d’appréciation que doivent anticiper les consultants en stratégie et dont ils doivent ensuite dissuader les fonds. Surtout que ces derniers recourent de manière croissante à leurs services : en prospection pour identifier des cibles dans un secteur, puis en amont d’un deal, et, enfin, en aval pour l’intégration opérationnelle de la société acquise.
Les conseils en strat', gardes-fous à l'acquisition et à l'intégration
Le travail commence d'abord en amont de l'acquisition, en épluchant le moteur de la société cible. « Nous avons souvent — et par deux fois sur des dossiers importants des derniers mois — acquis une telle connaissance de l’actif que notre client n'a pas souhaité s'aligner sur le prix final. Le commentaire du client a même été 'vous l’avez trop bien décortiqué’ ou 'les autres paient plus, c’est déraisonnable'. Donc les autres ont surpayé et sans doute pris des risques ou trop chargé la société en dettes », raconte Éric de Bettignies.
Avant l'acquisition encore, le rôle du consultant auprès du fonds acheteur ne s'arrête pas là. « Nous devons non pas regarder la société, mais aussi ce que le fond de PE va pouvoir en faire : donc la stratégie permettant de payer le prix demandé doit être pré-identifiée », poursuit Éric de Bettignies.
Une fois le deal bouclé, la fin de l'histoire s'écrit en aval : « nous n’avons pas peur de mettre la main à la pâte, pour aider la société à réussir ce plan, en nouvelles acquisitions, en travaux de fusion et en amélioration de performance. Nous le faisons souvent et nous aimons ce bouclage entre la stratégie initiale et la mise en œuvre », dit encore Éric de Bettignies.
Aller au charbon auprès de son client, indépendamment des honoraires prévus
Voilà pour le scénario idéal. Tout est ensuite une question d’attitude des consultants vis-à-vis de leur client. « Un consultant en stratégie auprès d’un fonds de private equity n’a pas le doigt sur la couture », défend Henri-Pierre Vacher, senior partner et private equity leader pour l’Europe, le Moyen-Orient, l’Inde et l’Afrique chez EY-Parthenon.
Et de citer un mandat récent où l’entrée d’un fonds, conseillé par EY-Parthenon, au capital d’un acteur majeur du BTP ne se matérialise pas par le retour sur investissement dans le délai escompté – guère plus de cinq ans en moyenne.
« Là, nous disons à notre client qu’il faut apprendre à rester plus longtemps », explique encore Henri-Pierre Vacher. C’est l’un des cas de figure où le consultant doit savoir s’opposer à son client – indépendamment des honoraires qui lui seront versés par ce même client.
Contredire parfois l'investissement envisagé par un fonds
« Il ne faut pas oublier que notre valeur ajoutée, c’est-à-dire ce pourquoi des investisseurs financiers nous mandatent, consiste à porter une lecture critique externe à la thèse d’investissement que nos clients bâtissent dans le cadre des opérations qu’ils envisagent. Nous avons cette réputation de 'parler vrai' et il est tout à fait logique que nos travaux aboutissent dans certains cas de figure à une inflexion de cette thèse d’investissement voire, plus rarement mais cela arrive, à sa remise en cause », renchérit Julien Berger, le managing partner d’Indefi.
Selon lui, la croissance rapide du private equity – 24 fonds en 1980, 6 628 en 2015 selon Preqin – « a conduit à l’industrialisation des rapports stratégiques, à une intermédiation croissante des transactions et de ce fait à une certaine industrialisation du recours aux due diligences stratégiques. Cette industrialisation appelle naturellement à une certaine vigilance, d’une part des cabinets de stratégie qui ne doit pas les éloigner de leur métier de conseil à valeur ajoutée ».
À chaque cabinet de se positionner vis-à-vis des fonds clients
À chaque cabinet, donc, de voir comment il se positionne vis-à-vis des fonds, et d’assumer la pression qui peut en découler. « On nous demande une position indépendante. Si on dit à notre client de ne pas acheter ou vendre, on peut toucher des fees pour rien. Ce qui peut créer des tensions », avance Henri-Pierre Vacher.
Tout dépend aussi du client. « Il y a eu des échecs par le passé sur la composition de la clientèle et de la compréhension fine qu’il faut en avoir. Certains fonds s’astreignent à cet exercice, d’autres pas du tout », défend David Vidal, partner chez Simon Kucher & Partners. Quoi qu’il en soit, s’opposer à son client n’est pas nécessairement néfaste. Au contraire : le caractère ou l’opiniâtreté peuvent être des marqueurs de crédibilité.
D’autant plus que les cas d’affrontement sont l’exception qui confirme la règle, dans une industrie exceptionnellement florissante. Les fonds de PE ont connu des rendements de 20 % par an entre 2008 et 2017. « L’entrée des fonds n’est pas bénéfique dans une minorité de cas », défend encore Henri-Pierre Vacher, citant Asmodee et Maisons du Monde comme exemples de success-stories du PE à la française – et des consultants en stratégie qui les ont accompagnées.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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