Intelligence artificielle : le passage obligé pour les consultants généralistes
Un consultant augmenté. Tel serait l’avenir incontournable du métier dans l’ère IA qui est en train de se mettre en place. L’IA, un outil clef annoncé comme nécessaire pour une transformation réussie des entreprises clientes. Alors, les cabinets sont en train de se doter de ces compétences spécifiques et complexes, notamment via la formation de leurs consultants généralistes.
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Selon les données de Syntec Conseil, syndicat pro du secteur, l’activité IA ne représenterait aujourd’hui que 4 % de l’activité des cabinets de conseil. Si ce ratio n’était que de 1,7 % il y a un an, on ne peut pas encore dire que l’activité IA prend une envolée exponentielle. Et pourtant ! L’Intelligence artificielle, et l’un de ses pendants « génératifs » grand public très en vogue en ce moment, ChatGPT, est devenue omniprésente. Pas un jour sans que soit évoqué ce qui est présenté, avec ses capacités encore inimaginables pour le cerveau humain, comme LA technologie du futur.
Acquisitions, data lab pour les profils experts
Bon nombre de cabinets de conseil en stratégie l’ont bien compris et ont décidé de développer ces compétences high-tech en interne. En premier lieu, par l’acquisition de cabinets Data Science/IA et de leurs équipes d’experts. Déjà en 2019, Bain, Kearney et le BCG ont fait le choix de l’acquisition de cabinets dédiés en Data Science, et depuis, ce type d’intégration a fait des émules, une dizaine au total, le dernier en date, début janvier 2023, McKinsey a racheté la start-up israélienne d’IA Iguazio.
Certains d’entre eux ont aussi créé leur data lab interne ou des équipes tech et recrutent des experts, comme c’est le cas notamment pour le BCG, avec BCG X, la nouvelle marque depuis un an, Bain avec son récent chef data, Cyrille Vincey, l’ex- responsable de la practice de Roland Berger, Mawenzi Partners, avec à la tête Guillaume Tellier, PMP Strategy et son chef de file data Olivier Leroy ou l’équipe d’Eight Advisory menée par Frédéric Blache, associé Data & Digital de l'équipe Strategy et Opération. Des équipes expertes qui cherchent à attirer ces profils tech tant recherchés, avec plus ou moins de réussite d’ailleurs. Des pools de data scientists qui collaboraient jusque-là avec les consultants généralistes assez éloignés du sujet data science/IA.
Le consultant, nouveau product owner de l’IA
Aujourd’hui, certains cabinets adoptent une nouvelle stratégie, celle de former à l’IA leurs consultants généralistes afin de créer un véritable pont de langage IA avec les équipes data.
Avec un double bénéfice, faciliter la communication, le travail, et donc la productivité entre les équipes internes, mais également créer une plus-value IA pour les clients, proposant des équipes à la fois expertes et généralistes IA-compatibles. « Nous avons la particularité d’avoir mis en front client une équipe technique qui sait coder, ces consultants mènent des missions seuls ou en combinaison avec d’autres consultants plus spécialisés sur une thématique. Dans tous les cas, ils collaborent avec des opérationnels, des dirigeants. Certains consultants d’autres lignes de services sont aussi passionnés par ce sujet, confirme Frédéric Blache, l’associé d’Eight Advisory. Nous animons une communauté au sein du cabinet avec des séances de mises à niveau des connaissances basiques, de vulgarisation et de partage d’expérience. Nous essayons de faire monter en puissance la culture Data, Digital & IA de tout le monde afin de pouvoir imaginer le futur avec un maximum de connaissances techniques. ».
Ce cabinet est aussi entré dans une démarche visant à structurer un outil intégrant de l’IA pour ses propres besoins afin que les données soient mieux utilisées par les consultants. « Le buzz ChatGPT est intrigant, car l’interface de ChatGPT donne l’impression que l’IA générative est devenue facile d’accès, mais la réalité est plus compliquée. À ce stade, nous l’utilisons avant tout comme un sparring-partner. Le consultant doit comprendre comment l’IA va chahuter la vie de ses clients et être capable de juger de sa pertinence et de son efficience », ajoute Frédéric Blache. Alors ses équipes forment les consultants à la compréhension des modèles de données jusqu’à la compréhension des sous-jacents techniques et les différents types d’IA. « Pour décrypter les différents types d’IA et les combiner, la mise en place d’environnements techniques intégrant l’IA générative, les consultants techniques seront toujours nécessaires. Le consultant augmenté se positionnera naturellement comme product owner, garant de la valeur ajoutée créée », confirme l’associé d’Eight Advisory. Le cabinet McKinsey vient lui aussi de se doter de son propre outil d’IA générative (qui agrège toutes les connaissances du cabinet) pour faciliter le travail de ses consultants et leur productivité.
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Le consultant « augmenté »
Oui, mais de quoi parle-t-on vraiment lorsqu’on évoque l’IA ? Un très vaste champ deep tech qui ne sera accessible qu’en partie aux consultants généralistes. C’est ce que pense Olivier Leroy à la tête du data lab de PMP Strategy créé en 2017. « On réduit trop souvent ce sujet à l’IA générative (qui crée des contenus) ou globale (machine learning). Mais cette technologie est exponentielle, et cela sera toujours géré par les profils tech. En fait, ce que nous cherchons, c’est de développer de nouvelles compétences aux généralistes, qui deviendront des collaborateurs augmentés. » PMP Strategy va donc proposer deux initiatives à ces futurs consultants augmentés : une formation à la manipulation des données IA et à un travail prédictif avec le data lab. Et ce pour « poser les bonnes questions, donner les bonnes pratiques pour un bon usage de ChatGPT, être capable de faire en une heure ce qui était fait préalablement en cinq. » Le premier module de formation interne obligatoire d’une demi-journée de PMP Strategy est lancé cette rentrée. Des connaissances IA de base à acquérir donc, mais nul objectif de faire des consultants des cadors de l’IA. « Si on fait faire de l’IA à tout le monde, on est dans un entre-deux, on distille quelques connaissances et outils, et on aboutit à un petit modèle pas suffisamment robuste. Pour que cela fonctionne, il faut que nos pôles consultants et experts IA se rejoignent, avec des consultants capables de manipuler l’IA et des experts qui traitent les cas. »
Avec cette nécessaire montée en compétences IA des consultants, les profils d’ingénieurs seront-ils ainsi privilégiés au sein des cabinets de conseil en stratégie ? Pas forcément, selon Frédéric Blache d’Eight Advisory. « Nous recrutons des profils polycompétents ce qui nous amène à un mix écoles de commerce/d’ingénieurs et des doubles diplômes. Les futurs consultants doivent comprendre que cette brique technologique est un nécessaire pour le futur du métier. »
Les consultants-pilotes d’un nouveau métier ?
Pour les cabinets qui ne peuvent - ou ne veulent - pas former en interne leurs consultants, des organismes de formation dédiés voient le jour. C’est le cas du Wagon for Business créé il y a 2 ans par un ex-consultant du BCG, Clément Eulry (près de 12 ans chez Google), qui propose notamment des formations en data science/IA sur mesure pour les cabinets de conseil en stratégie. Il accompagne déjà depuis 2021 de gros cabinets, dont le BCG, Bain & Company, et McKinsey dès cette rentrée. « Nous répondons aujourd’hui à deux questions. Comment s’assurer que les consultants fournissent de meilleurs insights aux clients, mais aussi gagnent en qualité et en rapidité d’analyse, donc en productivité ? Et nous les formons aux concepts de data science et d’IA générative afin qu’ils deviennent de meilleurs conseils sur le sujet. Nous allons également mettre en place sous peu des formations d’un à deux jours pour les associés afin qu’ils soient en capacité d’interagir avec les experts chez leurs clients », partage le general manager Clément Eulry.
Des formations sur mesure pour les cabinets d’une journée jusqu’à 9 semaines. « Nous analysons les besoins des cabinets par rapport à leurs choix d’outils, et nous adaptons les formations en conséquence. Certains, comme le BCG, vont très loin en compréhension des concepts jusqu’à former ses consultants à la construction de petits modèles de machine learning, ajoute Christophe des Dorides, VP BtoB du Wagon for Business. Mais l’objectif n’est pas qu’ils deviennent des experts du BCG X. Les cabinets qui ont la vocation de rester les meilleurs experts de demain devront avoir à la fois des équipes tech et des consultants éclairés. » Plusieurs modules de durées variables ont ainsi été créés pour les cabinets : « Business intelligence bootcamp with power BI », « Data fundamentals for new joiners », choisi par Bain, « Machine learning AI Deep learning bootcamp » (que McKinsey aurait privilégié) ou encore « Data Science course Syllabus », dont une promo est en cours au BCG.
L’expérimentation du BCG
Neuf consultants du BCG sont ainsi en train de suivre ce module-pilote de formation de 9 semaines. Une formation assez longue, financée par le cabinet ; les consultants volontaires prennent de leur côté des congés sans solde pour la suivre. Lydia Bellahouel (HEC-2019) et Nicolas Berretti (ESSEC-2018) font partie de cette première promo 2023, portés volontaires à la suite d’un appel à candidatures au sein du cabinet, et choisis après un entretien « de motivation » avec leurs référents RH. « On parle toujours plus des sujets data/IA avec nos clients qui s’y intéressent de plus en plus et qui travaillent avec Gamma X. J’étais dans une certaine frustration de ne pas tout comprendre ce qu’il se passe “sous le capot” de l’IA. C’est aussi un moyen de gagner en crédibilité face aux clients », souligne Lydia Bellahouel, au BCG depuis sa sortie de HEC, future project manager. « J’avais commencé à travailler avec les équipes du BCG X deux ou trois mois auparavant. Cette formation est une bonne entrée pour faire des produits data et attraper cette nouvelle casquette, un nouveau rôle de jonction encore à définir au sein des équipes multidisciplinaires », complète Nicolas Berretti, consultant au BCG depuis 2020. Deux consultants qui se spécialisent : après un module sur les outils no-code, ils ont suivi deux semaines de formation en machine learning, avant de se plonger une semaine au deep learning cette rentrée. Mais sans pour autant avoir le souhait (en tout cas pour l’instant) de faire le jump technique, comme l’affirme Lydia Bellahouel. « Nous allons continuer à être des consultants classiques avec plus de pertinence pour être staffés sur ce genre de missions. »
Le consultant généraliste de demain pourra-t-il échapper à cette vague submersion IA ? La réponse unanime laisse peu de doutes. « C’est un must have, les cabinets n’ont pas le choix devant cette vague de fond et tous les secteurs sont concernés. Avec des compétences, produits et technologies, qui évoluent extrêmement vite », prévient le General Manager du Wagon for Business, Clément Eulry. « Il devra être capable de décortiquer les outils IA, connaître les sous-jacents et leurs limites », prévient aussi Frédéric Blache d’Eight Advisory. Et cela laisse peu de place non plus aux cabinets qui ne prennent pas cette affaire IA en main. « Je vois pas mal de cabinets pas du tout équipés de cellules data/IA car cela peut nécessiter de l’investissement, une ouverture en terme de profils, et cela est souvent moins dans l’ADN de cabinets stratégie “classiques”, mais je pense que le métier évolue, que la data est au centre des problématiques (et des solutions) de nombre de nos clients… et cela sera encore plus vrai dans les prochaines années », souligne Olivier Leroy de PMP Strategy, cabinet qui réalise aujourd’hui 5 % de son chiffre d’affaires dans cette activité IA.
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