Le conseil et le couple font-ils bon ménage ?

Emploi du temps surchargé, pression psychologique, déplacements à l’étranger : les contraintes connues du métier de consultant en stratégie ne sont a priori pas très favorables à la construction d’une vie amoureuse très épanouie.

Nous avons posé la question aux « + 1 ».

Barbara Merle
19 Aoû. 2020 à 05:05
Le conseil et le couple font-ils bon ménage ?

Alexander Drummond est un associé belge du Boston Consulting Group (BCG). Consultant au BCG depuis 2009, il a été nommé managing director et partner à New York en 2018. Son épouse Hélène Drummond, 39 ans, diplômée en médecine, a suivi son consultant de mari d’abord à Singapour, à Bruxelles, puis à New York, des villes où elle exerçait dans l’industrie pharmaceutique.

En 2017, elle démissionne et décide de se consacrer à l’écriture, et devient alors « la femme de »… En mars dernier, l’épouse du BCGer publie son premier livre, La Place est prise, une histoire de… consultante en strat’ qui se consacre totalement à son métier dans un prestigieux cabinet de conseil new-yorkais et n’arrive pas à se stabiliser sentimentalement, ballottée entre deux hommes.

L’auteure y détaille la vie overbookée et stressfull de consultante, entre pression, horaires sans fin, et voyages incessants aux quatre coins de la planète…

Un roman – quelque peu à l’eau de rose – largement autobiographique ? En partie, bien sûr… Mais jusqu’où ? Nous ne le saurons pas. L’auteure a refusé à Consultor un entretien, arguant étonnement du fait qu’elle veut faire le distinguo entre vie publique et vie privée…

Autre exercice de style relaté par une journaliste américaine (entre autres pour le New York Times), Alice Hines, autour de la question de la vie amoureuse des consultants, The management consultant’s guide to love and sex, paru dans The Economist en février dernier.

Elle décrit comment un consultant, Jacob, 32 ans, a tenté de répondre à sa quête amoureuse virtuelle comme à un problème de mathématiques et a partagé ses nombreux calculs et probas sur son blog. Sous-titré, Between the spreadsheets, la journaliste raconte comment Jacob a réalisé un tableur comprenant tous ses critères de recherches sur la femme «idéale ». Une histoire, encore de consultant, travaillant dans la finance –il crée des logiciels pour aider les banques à se conformer à la réglementation – qui a cherché à quantifier l’amour faute de le trouver dans la vraie vie, une vie régentée par le boulot…

Un emploi du temps overbooké

Vivre avec un(e) consultant(e) n’apparaît donc pas comme une chose aisée. C’est aussi ce que pense Alexane Bonnier, 26 ans, compagne de Félix Duret, 30 ans, d’abord consultant chez Corporate Value Associates (CVA), puis manager chez Monitor Deloitte jusqu’en novembre dernier.

En sept ans de relation – ils se sont rencontrés à la fin de leurs études –, les périodes de rush, les longues missions à l’étranger, le stress, Alexane a connu. « Après un passage par la banque chez Barclay’s à Francfort – une période horrible, car je ne le voyais jamais –, Félix a commencé dans le conseil chez CVA à Paris. Je me suis dit que ça ne pouvait être pire que ce que j’avais vécu. Mais il était très rarement à Paris, il a effectué de nombreux voyages sur des missions longues, dont un an et demi en Arabie Saoudite, où il partait le dimanche tôt et rentrait le jeudi soir tard. Comme je travaillais le vendredi, nous n’avions que le samedi en commun. Quand on dînait ensemble, c’était le nirvana ! Pour se voir le soir, on organisait aussi des vidéos par Skype. C’est compliqué de construire des projets dans ce cas. Il a choisi de quitter CVA pour cela. Chez Deloitte, il avait un poste beaucoup plus fixe, sans déplacement à l’étrange », se souvient Alexane.

Mail à 2 heures du matin, un dîner par semaine : dur dur d’être amoureux

Témoignage assez similaire de T., 34 ans, le compagnon d’une consultante qui a passé presque trois années dans un grand cabinet de conseil en stratégie (qui souhaite rester anonyme).

« Nous nous sommes rencontrés alors qu’elle était déjà consultante. Je n’avais jamais entendu parler de ce métier et de ce secteur. Ma compagne avait très régulièrement le besoin de m’expliquer les choses parce que je ne voyais pas ce que cela voulait dire. Le rythme était très différent en fonction des missions bien sûr, mais il lui arrivait de travailler sur des cas de due diligence très intenses où elle envoyait et/ou recevait des mails et des dossiers encore à 2 heures du matin ! C’est un peu déstabilisant au début. »

Le couple a aussi « survécu » à une mission de la consultante en Afrique du Nord de trois mois. « Elle m’avait demandé si j’étais d’accord, mais je ne me sentais pas légitime pour refuser, car c’était au début de la relation ! Et puis, elle était constamment sous pression, elle n’était donc pas toujours détendue et dispo quand nous étions ensemble. Elle travaillait beaucoup plus que moi. Le plus compliqué, c’était son manque de disponibilité en quantité de temps et psychologiquement alors que nous ne vivions pas encore ensemble. »

Des rendez-vous pour tenter d’avoir un enfant

Les compagnes et compagnons des consultants ont aussi découvert le monde du conseil et la vie pas forcément rêvée du métier dans ce qui est devenu leur nouvel entourage amical/pro.

Alexane relate ainsi plusieurs anecdotes marquantes. Elle se souvient par exemple de collègues de son consultant de compagnon, tous deux consultants, qui prenaient des rendez-vous ensemble via leurs agendas Outlook. « C’était leur seul moyen efficace pour se voir ! confirme-t-elle. Mais la plus glauque histoire dont j’ai eu connaissance, c’est celle de deux consultants en couple qui prenaient des rendez-vous intimes, en fonction de la période de fertilité de la femme, pour tenter d’avoir des enfants ! » Elle raconte également comment une des boss n’a pas pris son propre congé maternité après son accouchement pour assurer le boulot. 

Au-delà de ces histoires extrêmes, est-ce qu’être consultant est un véritable frein à une vie perso équilibrée ? Rien n’est moins sûr pour Olivier Favre, VP chez Mars & Co jusqu’en 2019, devenu psychothérapeute (son portrait ici).

« Cette problématique du couple et de la stabilité du couple n’est pas une problématique propre aux consultants, mais elle prend une autre dimension lorsque le métier est extrêmement prenant et stressant. D’ailleurs, les métiers qui connaissent le plus de burn-out, ce sont avant tout, les agriculteurs et les commerçants-artisans, loin devant les cadres supérieurs. La grande différence, c’est qu’un cadre stressé, un consultant stressé a, la plupart du temps, la possibilité d'une porte de sortie professionnellement. Et personnellement, ce n’est pas parce que j’étais consultant que j’ai divorcé après vingt années de mariage heureux », tempère-t-il. 

Gérer son stress et fixer des priorités

Selon Olivier Favre, la gestion du stress est bien le nerf de la guerre pour l’équilibre vie perso/vie pro. « C’est à chacun de trouver ce qui lui correspond le mieux dans la gestion du stress. Personne ne le fera à votre place, ce n’est pas la priorité du cabinet non plus de gérer cela. Si le consultant n’est pas capable de gérer son stress, sa relation de couple en pâtira inévitablement. L’autre est un soutien, mais en aucun cas, ne peut être un défouloir. »

Pour la compagne de l’ex-consultant Félix Duret, Alexane Bonnier, diplômée de Sciences Po et travaillant dans le secteur de la communication, les débuts ont donc été plus que complexes à appréhender avec des dîners prévus où elle dînait finalement en tête à tête… avec elle-même !

Elle a dû dépasser une incompréhension majeure : celle de consacrer autant de temps et d’énergie à sa vie pro… « Mais tout son cercle d’amis était dans le conseil, alors c’est devenu presque normal pour moi au fil du temps ! Et puis, les trois quarts des consultants autour de nous étaient célibataires. Entre 30 et 35 ans, ils aimeraient être en couple, mais n’ont pas le temps, ils privilégient d’abord leur carrière. Pour nous, c’était un peu différent, nous avons eu la chance de nous rencontrer avant le conseil et Félix m’avait toujours dit qu’il ne se voyait pas toute sa vie dans ce métier. Ça me rassurait d’entendre que sa vie ne se résumerait pas à ce que l’on vivait, et qu’il y aurait un autre temps de vie commune, avec possiblement le projet d’avoir des enfants. Mais si nous n’avions pas eu de nombreuses discussions sur le sujet, l’incompréhension se serait creusée, et cela aurait pu être un motif de rupture ! Je n’aurais pas pu me projeter avec un consultant qui aurait voulu y rester durant toute sa carrière et qui n’aurait pas vu grandir ses enfants. » Ils ont depuis quelques mois décidé ensemble de concrétiser un nouveau projet de vie en lançant un concept d’hébergement haut de gamme de tiny house, « Les Cabottes » (nous en parlions ici).

Olivier Favre ne sait dire si le métier de consultant est un véritable danger pour le couple, le mariage et la vie de famille. S’il a bien vu des divorces, impossible pour lui d’affirmer que les cas de divorce dans le conseil sont supérieurs à la moyenne.

« De nombreux facteurs jouent, l’âge, le stade dans la carrière, le niveau d’implication individuelle, la façon de gérer son stress, de bien communiquer ou pas, ou le type de partenaire choisi, à savoir si le conjoint est également ambitieux professionnellement ou s’il aspire à une vie de couple calme. Il est certain qu’une bonne communication au sein du couple est essentielle. Mais il n’est pas toujours évident lorsque l’on rentre à point d’heure, fatigué(e) par une journée de travail, de passer du temps à partager sur nos préoccupations avec notre partenaire alors qu’on a envie d’une chose, c’est de se poser et de se détendre, par exemple avec un bon film à la télé. »

Pour le psy, ex-consultant, qui suit aujourd’hui quelques consultants comme thérapeute – avant tout sur des problématiques de stress, de communication de couple et de reconversion–, le métier de consultant n’est pourtant pas inconciliable avec une vie de couple. Chez Mars, par exemple, nombre de VP sont mariés depuis vingt, voire quarante ans.

Et de positiver : « J’en connais beaucoup avec des conjoints et des enfants qui ont une vie personnelle qui a l’air équilibrée. C’est certainement plus difficile pour les jeunes, en train de commencer leur carrière. Ils ont intérêt à partager avec leurs conjoints leurs objectifs et leurs priorités dès le départ afin que les deux parties soient d’accord sur le type de projet commun, quitte à le faire évoluer au cours du temps. »

Barbara Merle pour Consultor.fr

Boston Consulting Group Corporate Value Associates Mars & Co
Barbara Merle
19 Aoû. 2020 à 05:05
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staffing, horaires, temps de travail, congés parentaux, congé parental, burn out, Alexander Drummond, Hélène Drummond, Alice Hines, Alexane Bonnier
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