Mobilités : face aux nouveaux enjeux, les cabinets s’organisent

La « faute » avant tout à la transition écologique. Le défi de la décarbonation du secteur des transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre – 30 % des émissions –, a totalement bouleversé l’approche de ce secteur jusqu’il y a peu encore quasi totalement dépendant du pétrole.

Le mobile, acteur n^o 1

On est ainsi passé en quelques années d’une approche thermique des transports à des problématiques hybrides de la mobilité, tant pour les collectivités que pour les entreprises. « Chacun des transports terrestres vivait la mobilité séparément, ne se parlait pas, s’ignorait. C’est l’autorité de transports en région qui a imposé cette multi-canalité des transports », confirme l’associé Grands systèmes/mobilités/high tech de Eight Advisory Didier Givert.

Un switch cependant difficilement datable, mais « à partir du moment où il a été possible d’avoir accès sur les téléphones mobiles aux données propres aux transports, plans, horaires, alertes, on a créé des agilités dans les déplacements et de nouveaux besoins de connexion entre différents moyens de transport, selon Didier Givert. « On voit se déployer depuis 5-6 ans un réel besoin de digitalisation avec l’arrivée dans les grandes villes des vélos et trottinettes électriques avec une démarche de souscription. »

Eight Advisory, un cabinet qui a d’ailleurs transformé il y a deux ans sa practice auto/aéro en « mobilités », « parce qu’un client qui arrive à l’aéroport doit avoir accès à toutes les options de transports qui s’offrent à lui ». Et l’apparition de nouveaux concepts mis au cœur du débat : autosolisme, mobilités douces, covoiturage, intermodalité, multimodalité, services partagés, usages… La mobilité devient ainsi de plus en plus écologique, partagée, mais aussi autonome et connectée.

La Bainie Audrey Wolfovski Barthuel, VP marketing de BlaBlaCar figure parmi les 50 femmes qui ont changé les transports en 2020.

Depuis 3 ans, l’étau se resserre

Avec en toile de fond accélératrice, deux lois votées en 2019, la loi relative à l’énergie et au climat avec son objectif de zéro émission nette de CO2 d’ici 2050 et la loi d’orientation des mobilités (LOM). Et comme chef d’orchestre stratégique, le BCG, parmi plusieurs autres cabinets de conseil, qui s’était penché sur la feuille de route du projet de loi. La LOM vise à transformer en profondeur la politique des mobilités pour proposer des transports du quotidien à la fois plus faciles, moins coûteux et plus propres. Et de nouvelles autorités organisatrices de la mobilité (les AOM), que sont les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, les métropoles… et qui ont pour mission de déployer de nouvelles mobilités durables (économiques, environnementales et sociales). Et toujours le Boston Consulting Group, qui est notamment intervenu en 2021 pour réfléchir à une région Île-de-France sans voitures.

À cela se sont ajoutées deux années de pandémie et une guerre en Ukraine qui nous ont rappelé combien l’Europe et la France restent dépendants du reste du monde pour bon nombre de matières premières et de produits manufacturés intermédiaires, mais aussi l’énergie gazière et pétrolière…

Nouveaux besoins de mobilités 360

Alors, les cabinets de conseil en stratégie ont changé de braquet pour répondre à ces transformations majeures. Mais en s’organisant diversement, le plus souvent en fonction de leur propre histoire.

Le cabinet PMP Strategy s’est positionné sur ce sujet des mobilités depuis dix ans, créant ainsi une practice de 20 consultants à Paris, dirigée par l’associée Caroline Ponal. Et a fusionné les équipes mobilités et énergie il y a trois ans notamment pour traiter de la décarbonation des transports. Ce qui en fait le deuxième plus gros secteur d’activité du cabinet après l’historique télécoms. « Nous avons une activité ancienne avec les collectivités territoriales que nous avons accompagnées après les lois Maptam (la loi de modernisation publique territoriale et d’affirmation des métropoles de 2014, ndlr) et NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République de 2015, ndlr), le secteur ferroviaire et les transports en commun routiers. Depuis que les collectivités sont des territoires d’organisation de la mobilité, nous menons de nombreuses réflexions sur les besoins de mobilité tous modes et la multimodalité à travers des solutions Mobility as a Service, ce qui nous a conduits assez naturellement à travailler sur l’évolution des usages et les budgets de la mobilité en passant par le sujet central de l’assurance de la mobilité », souligne Caroline Ponal. Et pour les constructeurs, selon l’associée de PMP Strategy, ce qui était auparavant d’abord un sujet industriel de transformation a évolué vers des questions de stratégie d’offres face à la fragmentation d’usages (abonnement, leasing, location longue durée…).

En mode agile

Chez Eight Advisory, actif auprès de l’ensemble des acteurs des mobilités (aux constructeurs aux opérateurs de services), on constate encore aujourd’hui une montée de complexité de ce secteur avec « des mobilités assez parcellaires avec des marchés qui n’ont pas les mêmes maturités, l’Europe du Nord est par exemple plus mature », constate Didier Givert. Ce qui veut dire concrètement que les équipes mobilités chez Eight Advisory sont composées de consultants experts qui interviennent sur des sujets de stratégie, M&A, financial engineering, restructuration ou fiscalité, avec une forte dimension européenne… « Nous avons de nombreuses questions autour de revues de business plans pour les constructeurs et opérateurs, notamment des mobilités urbaines, qui voient arriver de multiples start-up dans le secteur dans lesquelles ils sont susceptibles d’investir. Pour les constructeurs et l’ensemble de la chaîne de valeur, la réflexion est centrée sur les choix technologiques et les investissements en support, notamment dans le monde relativement nouveau du logiciel des mobilités et l’organisation qui nécessite le développement de nouveaux partenariats et des alliances. Ces demandes sont de plus en plus complexes, particulièrement en ce qui concerne la relation client, où les sujets juridiques et de propriété intellectuelle sont centraux », détaille l’associé d’Eight Advisory. Des compétences nécessairement plus horizontales donc pour répondre à cette nouvelle chaîne de valeur des mobilités.

L’auto, toujours un axe fort

Spécialisé en marketing et développement commercial, le cabinet Vertone, axé telcos à ses débuts en 1999, a lui élargi ses secteurs d’intervention, notamment sur la transverse des services. Le secteur des transports est dans le top 5 de ses secteurs d’intervention depuis 5 ans, et se décline en trois sous-secteurs : mobilité courte distance (transport public, mobilités actives…), transports longue distance (fer, routier, aérien, maritime…) et automobile. Et ce, pour des missions auprès de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur (opérateurs, autorités organisatrices, gestionnaires d’infrastructures, constructeurs, assureurs…). L’ensemble de ces sous-secteurs a entamé sa mue vers la mobilité durable, mais c’est dans l’automobile que la route reste le plus longue. « Nous y voyions une formidable opportunité d’accompagner l’ensemble des acteurs vers des propositions de valeur plus vertueuses, avec un rôle fort du serviciel. Pour exemple, le Groupe Renault s’est engagé à porter d’ici 2030 à 20 % de son chiffre d’affaires sur des services en lien avec la mobilité durable, via sa plateforme de services Mobilize. Et puis, rappelons que la voiture reste largement en tête des modes de déplacement préférés des Français, avec environ 80 % de part modale », commente l’associé dédié de Vertone, Alexandro Pocchiesa. 

Le client, au cœur du sujet

Services, mot-clef. Le service client est devenu le principal levier de la transformation du secteur des mobilités. « Partager les différents moyens de transport met au centre de la réflexion l’utilisateur. Côté constructeurs, ce qui se dessine depuis l’arrivée des véhicules électriques et leur digitalisation de plus en plus poussée, c’est un nouvel enjeu, la récupération et l’utilisation des nombreuses données auxquelles ils peuvent avoir aujourd’hui accès, tout au long du cycle de vie du véhicule, de l’avant-vente, à l’utilisation et l’après-vente. Autre gros enjeu, la perspective de la fin de la propriété des véhicules (avec une migration vers un modèle d’abonnement) qui va perturber fondamentalement la conception et la vente des véhicules », anticipe Didier Givert d’Eight Advisory. Et l’apparition de la notion de Mobility as a Service (MaaS) une plateforme numérique intégrée permettant aux utilisateurs à la fois de planifier, de réserver et de payer un trajet intermodal. « Mais qui devient l’opérateur et exploitant de ce MaaS et de la gestion de la relation client ? Car constructeurs, opérateurs, ou autorités de régulation ont tous le même intérêt de se rapprocher au plus près du client final », questionne l’associé d’Eight Advisory, coordonnateur des équipes mobilités. Un sujet data des mobilités traité au sein de la ligne de service Stratégie et Opérations, avec Frédéric Blache, Partner dédié, en charge également des aspects transformation numérique. « Les équipes Finances interviennent sur les aspects architectures et business model de l’IT. Ces activités dans le domaine des mobilités sont relativement nouvelles et se structurent progressivement », amende Didier Givert.

Autre sujet client central de cette mobilité de plus en plus fractionnée, celui de l’assurance pour les acteurs du secteur. « Comment être sûr de proposer la juste assurance au bon moment ? » questionne ainsi Caroline Ponal de PMP Strategy. « Quelles offres proposer pour assurer des voitures qui roulent beaucoup et d’autres très peu ? Quelles nouvelles offres pour les voitures électriques ? Qu’est-ce qui est compris ou pas dans un leasing, un abonnement, une location ? Quelles garanties a-t-on lorsque l’on démultiplie les modes de transports ? » Des questions gérées chez PMP Strategy de façon conjointe par le pôle Assurance et le pôle Mobilité ; ce cabinet étant composé à quasi 100 % de consultants en stratégie (à l’exception du datalab).

Pour se démarquer auprès des multiples acteurs des mobilités, certains cabinets échafaudent de nouvelles offres. C’est le cas de Vertone. « Nous souhaitons contribuer à accélérer le repositionnement des acteurs du transport vers une dimension écologique et sociale dans l’acte de se déplacer, et avons redéfini nos offres en conséquence », confirme l’associé Alexandro Pocchiesa. En décembre dernier, Vertone a finalisé sa nouvelle offre « Mobilité durable », qui est à la fois une étude sur l’évolution des pratiques, des besoins, des nouveaux business models, de la réglementation, et une offre d’accompagnement autour de quatre grands piliers : stratégies de marché, design d’offre et tarification, expérience et relation client, transfo stratégique.

Un secteur des transports et des mobilités qui va faire face à court terme à trois défis majeurs : le double enjeu énergétique (sources énergétiques et empreinte carbone), les nouvelles infrastructures et la question centrale de leurs impacts, et la sécurité (des personnes et des données).