« Quand c’est complexe, 23 114 euros » : le prix du conseil à l'UGAP
Trois ans après que l’Union des groupements d'achats publics (UGAP), qui centralise auprès de ministères, collectivités territoriales et établissements hospitaliers, les commandes à des centaines de fournisseurs, avait lancé son premier marché de conseil en stratégie d’une valeur de 12 millions d’euros, son directeur a détaillé au Sénat comment ils sont dépensés.
- Donald Trump nomme un détracteur de McKinsey secrétaire d’état
- La loi « anti-consultocratie » rabotée à l’Assemblée nationale
- Baisse des dépenses de conseil de l’État en 2022 : des chiffres en trompe-l’œil ?
- Oliver Wyman joue la transparence sur France Inter
- Conseil interne : l’État ne fait pas assez, tance la Cour des comptes
- Consultants et collectivités : l’Assemblée ouvre une mission d’information
- Consulting ou lobbying ? Le gendarme de la transparence met la pression.
- État : Les nouvelles missions de conseil révélées par Matignon
Edward Jossa, le président de l’UGAP était entendu par la commission d’enquête sur l’influence des cabinets de conseil auprès de l’État. Or la centrale d’achat arrive justement au terme du premier marché de conseil en stratégie qu’elle avait lancé en 2019 (relire notre article). Son renouvellement, en cours de route (relire notre article), prévoit un doublement du montant qui est alloué à ce segment de conseil en stratégie, qui sera porté à 25 millions d’euros.
D’où les questions pressantes des quelques sénatrices et sénateurs présents sur la manière avec laquelle ces sommes sont allouées – en clair, le prix auquel les consultants sont payés par la centrale.
Réponse d’Edward Jossa : « À l’UGAP, nous travaillons avec des unités d’œuvres : ce sont des compétences, un livrable et un délai. Nous avons des unités d’œuvre dans chacun de nos marchés. Elles sont classées entre "simples", "très simples", "moyens" et "complexes" en fonction de la difficulté du sujet. Une unité d’œuvre du marché de conseil en stratégie, par exemple, s’appelle projets stratégiques de restructuration. Quand c’est très simple, son tarif est 1864 euros hors taxes ; quand c’est simple, 3821 euros ; moyen, 11 984 euros ; complexe, 23 114 euros. Les discussions portent sur le nombre d’unités d’œuvres à mobiliser et le degré de complexité. Et notre mission de suivi consiste à s’assurer que les missions soient qualifiées avec un juste degré et que le nombre d'unités d’œuvres est le bon. A la fin, cela fait un forfait. »
Un forfait plutôt que des taux journaliers moyens tels qu'ils sont facturés habituellement dans le secteur (relire nos articles ici et là) parce que, selon Edward Jossa, « il faut absolument éviter les prix de journée parce que c’est du marchandage ».
« Il y a effectivement eu une période où les cabinets de conseil fonctionnaient en régies et se faisaient facturer des jours-hommes. Il y a longtemps que cette période est révolue. Que ce soit du conseil en stratégie, en organisation, en SI, cela fait très longtemps que les prestations sont forfaitisées », a également expliqué sur ce point Stéphane Morin, directeur adjoint de la direction des achats de l'État, et ancien directeur au sein des activités Gouvernement de Capgemini.
Les sénatrices et sénateurs étaient également très curieux de la raison pour laquelle la centrale se développait de manière croissante dans les prestations intellectuelles, quand elle ne le faisait pas, ou peu, par le passé.
Un marché de conseil pour répondre à un besoin grandissant
« Nous avons considéré qu’il y avait un besoin. En 2012, l’UGAP a lancé son premier marché de prestations intellectuelles informatiques. Devant le succès de ces marchés de prestations intellectuelles, nous nous sommes lancés dans le conseil en organisation en 2016. Et devant le succès de ce marché, en 2019, nous avons décidé d’allotir pour éviter de trop gros marchés et nous avons divisé ce marché en conseil en organisation, conseil immobilier, conseil financier et conseil en stratégie », a expliqué Edward Jossa.
Avantage numéro un de passer par l’UGAP pour les organisations publiques qui y ont recours : le gain de temps, car sinon « gérer un marché de conseil pour une collectivité territoriale prend six mois. Ce temps est gagné quand on peut aller chercher ce marché sur étagère auprès de l’UGAP ou auprès d’une autre centrale », a plaidé Edward Jossa.
Résultats : en 2013, l’UGAP allouait 26 millions d’euros à des missions de prestations intellectuelles. Ce chiffre a bondi à 125 millions d’euros en 2015, 207 millions en 2018 et 253 millions en 2020 – dont 50 seulement sur le conseil en stratégie, organisations, finances et immobilier. Dans cet ensemble, le conseil en stratégie reste donc ultra marginal, avec 12 millions d’euros sur quatre ans.
à lire aussi
L’Union des groupements d'achats publics (UGAP), qui centralise les commandes de centaines de fournisseurs auprès de ministères, collectivités territoriales et établissements hospitaliers, a lancé le 22 octobre 2021 le renouvellement d’un premier marché de conseil en stratégie qu’elle avait attribué une première fois le 6 mars 2019.
Dans les rouages de la sélection des consultants par l’UGAP
Comment l’UGAP choisit-elle les consultants retenus sur ces marchés ? Ce fut également l'une des interrogations de la commission d’enquête sénatoriale.
Dix chargés d’affaires, qui viennent d’Entreprises de services numériques (ESN) ou de l’informatique, et une personne seulement du conseil immobilier, ont pour charge de choisir les cabinets de conseil retenus sur ces marchés puis de les mettre en relation avec les clients qui ont un besoin. Ils sont aussi accessoirement responsables de vérifier que ce qui est proposé par le consultant est raisonnable par rapport au sujet à adresser : « les consultants peuvent parfois forcer sur les unités d’œuvres à mobiliser », a indiqué Edward Jossa.
Cependant, il indique que « les litiges dans le domaine du conseil sont extrêmement rares » et que parmi ceux qui recourent à ces marchés de conseil, 90% des clients sont satisfaits. Pour les 10% restants, des retours critiques seraient adressés et les quelques entreprises incriminées pourraient se voir retirer tout ou partie de l’activité sur des marchés suivants, a déclaré en substance Edward Jossa, sans donner d’exemple.
Autres sources d’inquiétudes des parlementaires : la souveraineté et la protection des données sensibles auxquelles auraient accès les consultants dans le cadre de leurs missions. « L’immense majorité des entreprises qui répondent à ces appels d’offres sont des sociétés françaises ou des filiales françaises, et les consultants français », a répondu Edward Jossa sur la souveraineté.
Quant à la protection des données sensibles, il a rappelé la somme des règles prescrites par l’UGAP dans ses marchés-cadres : RGPD, non-débauchage des consultants par les administrations consultants (relire notre article sur ces consultants qui partent travailler chez le client), clause qui prévoit qu’un fournisseur ne doit pas avoir de lien qui porte atteinte à son impartialité, clause de propriété intellectuelle qui prévoit que les travaux de conseil sont la propriété exclusive du bénéficiaire…
Edward Jossa a cependant appelé les parlementaires à un principe de réalité sur ce qui fait une partie de la valeur des consultants et de leur prix : « la capacité inégalée des cabinets à s’enrichir de l’ensemble des missions qu’ils conduisent ».
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaire (0)
Soyez le premier à réagir à cette information
secteur public
- 16/11/24
Le sénateur républicain de Floride est connu pour son extrême fermeté face à la Chine. C’est en raison des activités de McKinsey dans ce pays que Marco Rubio a plusieurs fois remis en cause l’attribution de contrats fédéraux à la Firme.
- 05/11/24
« Consultant, quoi qu’on en pense, cela reste un métier. » Confidence, en off, d’un membre du staff du gouvernement Barnier. « Il n’a jamais été question de supprimer le recours au conseil externe par l’État. » Sa valeur ajoutée serait-elle incontestable ? Exploration avec David Mahé (Syntec Conseil), Jean-Pierre Mongrand (Dynaction, ex-Kéa) et David Cukrowicz (Lastep).
- 25/10/24
Selon le Jaune budgétaire du Projet de Loi de Finances 2025, le montant total des missions de conseil réalisées par des cabinets privés a fondu de moitié entre 2022 et 2023.
- 24/10/24
Le ministère des Affaires et du Commerce a chargé le BCG de déterminer les modalités envisageables pour que les agences postales au Royaume-Uni deviennent la propriété de leurs employés.
- 17/10/24
Ancien de Roland Berger, Emmanuel Martin-Blondet est nommé conseiller chargé de la transformation de l’action publique et de la simplification des parcours de l’usager.
- 11/10/24
Les attributaires du marché de conseil en stratégie et RSE de la RATP, lancé le 2 avril dernier, sont connus : il s’agit d’Arthur D. Little, Avencore, Roland Berger et EY Consulting/EY-Parthenon – sur la partie stratégie.
- 10/10/24
L’Institute for Government (IFG), un think tank indépendant, enjoint le gouvernement à saisir l’opportunité de l’arrivée à échéance de contrats de conseil d’une valeur de 5,4 Md£ pour réduire sa dépendance aux cabinets privés.
- 09/10/24
L’info vient du Wall Street Journal, et elle a de quoi surprendre : le BCG n’a pas hésité à accepter les conditions imposées par les autorités de Shijingshan, un ancien quartier d’aciéries à l’ouest de Pékin, pour participer à un appel d’offres.
- 26/09/24
Sa nomination doit encore fait l’objet d’une validation au Journal officiel, mais Pierre Bouillon devrait diriger le cabinet de la secrétaire d’État en charge de l’IA et du Numérique. Il était dircab adjoint de Stanislas Guerini dans le précédent gouvernement.