Sortir du conseil d’art-d’art
Après presque vingt-cinq années chez Mars & Co, l’ex-VP de Mars & Co Patrick Fuvel a changé de vie. C’est peu de le dire.
En 2015, Patrick Fuvel se lance comme artiste-peintre dans un style pictural aux accents naturaliste et pop. Cet ingénieur des Ponts a toujours su qu’un jour l’appel de l’art serait le plus fort.
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Patrick Fuvel, 62 ans, est un homme à multiples facettes, à la fois artiste né et foncièrement cartésien analytique. « J’ai fait des maths, du ski, de la physique, des bandes dessinées, des illustrations, du génie civil, de l’art cinétique à base de lumière et d’automates programmables, de l’économie, du conseil », liste l’ingénieur, inventeur, stratège, devenu artiste peintre.
En effet, l’artiste a touché à de nombreux domaines professionnels : responsable R&D chez Total, inventeur d’un complexe système de composition lumineuse, consultant en stratégie chez Mars & Co, créateur d’une entreprise spécialisée dans les panneaux solaires.
Mais celui qui a été vice-président de Mars & Co, de 1997 à son départ du cabinet en 2015, a eu envie de se consacrer pleinement à l’art comme il s’est consacré totalement à son métier de consultant et à ses autres expériences professionnelles précédemment.
Un choix de vie que Patrick Fuvel avait cependant quelque part dans un coin de sa tête depuis l’adolescence. « Depuis aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours dessiné, réalisé des petites BD, peint. Plus tard, je m’occupais du journal l’Écho des Cinq Pairs ! (ndlr, le journal des élèves de l’école des Ponts alors située rue des Saints-Pères à Paris.) Pendant tout mon parcours pro, je n’ai jamais cessé de faire de la peinture et de dessiner, comme activités de vacances », témoigne-t-il.
L’ancien VP de Mars a sans cesse navigué entre plusieurs mondes. Né dans une famille de fonctionnaires, Patrick Fuvel obtient le diplôme de l’École nationale des Ponts et Chaussées, promo 80, et de l’université de Stanford en 1981.
« Depuis toujours passionné de nature, j’ai voulu partir aux États-Unis pour effectuer un Master of Science en gestion des ressources naturelles. Une révélation dans la façon d’enseigner et dans la mentalité des individus. En France, on demande aux étudiants de faire à moitié des choses très difficiles, alors qu’aux États-Unis, on leur demande de faire parfaitement des choses moins difficiles. Une méthode d’apprentissage plus efficiente et plus motivante pour les élèves ! J’ai failli y rester, mais je suis rentré faire mon service militaire ! »
Gaz liquéfié chez Total, éclairage de peintures : touche-à-tout inventif
Au terme duquel Patrick Fuvel rentre chez Total, en tant que responsable R&D. « J’avais pour objectif de construire un réservoir de gaz liquéfié avec des technologies nouvelles. Une expérience très intéressante pour le côté entrepreneurial des projets et des missions. Pourtant, j’avais depuis longtemps une attirance pour la stratégie, car je souhaitais me rapprocher de l’endroit où se prennent les décisions ! Mais j’avais 27 ans, déjà trop vieux pour être pris dans un cabinet qui recherche de jeunes diplômés. »
C’est aussi à cette période que l’ingénieur devient inventeur. Il imagine un système complexe de « musique de lumières » pour « éclairer » les tableauxautomate programmable permettant de piloter des gradateurs de lumière. « J’ai failli tout plaquer pour me lancer dans ce projet. J’ai eu des résultats intéressants, mais finalement j’ai laissé tomber. J’ai remis à plus tard, car le succès me paraissait trop aléatoire. »
La créativité à l’école de la stratégie
En 1986, il décide donc de réaliser un MBA à l’INSEAD (relire notre article), un deuxième choc après ses études aux États-Unis pour l’étudiant en stratégie. « Des études à l’anglo-saxonne appliquées au business, où j’ai appris un tas de concepts fascinants, fait de la finance, de la compta, de la stratégie. »
Une année qui le convainc définitivement : il fera de la stratégie. Après une expérience avortée dans une compagnie d’assurances – « la mentalité ne me convenait pas » –, Patrick Fuvel se tourne en 1988 vers le cabinet Mars & Co qui l’avait approché, comme d’autres d’ailleurs, lors de son MBA. « Il y a un truc particulier chez Mars. Il y a consubstantiellement du rationnel et de l’analytique et le choix délibéré de n’avoir qu’un seul client et un seul consultant par secteur. Ce que j’ai aussi aimé chez Mars, c’est la diversité et la force de ses personnalités. » Un cabinet créé huit années plus tôt par l’emblématique Dominique Mars (relire nos articles ici et ici) qui a toujours eu pour principes de développer un portefeuille clients de grands noms dans la durée et trier sur le volet ses consultants pour leur personnalité autant que pour leur CV.
Souvenir de mission : « Le client a gagné en un an dix fois ce que nous lui avions coûté »
Pour sa première mission, le jeune consultant Fuvel se souvient avoir travaillé sur des microfiches et réalisé des graphiques sur papier millimétré – les ordinateurs venaient juste de débarquer chez Mars – pour un benchmark dans le secteur de l’industrie du papier.
« C’est un cabinet généraliste où l’on peut toucher à de multiples sujets et secteurs. Nous travaillons suffisamment longtemps et en profondeur pour acquérir une excellente connaissance de chaque secteur, en utilisant une remarquable boîte à outils conceptuelle et en la raffinant si nécessaire... Ce qui fait le positionnement unique et rare de cette forme particulière de conseil, c’est la combinaison de l’analytique rigoureuse, des leviers d’accumulation d’avantages concurrentiels, de la recherche concurrentielle poussée, de l’exclusivité et du sur-mesure. »
Patrick Fuvel aura ainsi abordé quasiment tous les secteurs en près de vingt-cinq ans de consulting chez Mars & Co : pétrolier, banque et assurance, aéro et spatial, mais aussi nouvelles technologies de l’information et de la communication, auto, secteur public, hôtellerie-restauration, distribution et grande consommation… « Je garde par exemple un souvenir très fort de notre travail dans l’après-vente auto et les pièces de rechange. Nous y avons réalisé un travail très complet pour aboutir notamment à des recommandations dans le secteur des achats et du pricing. Le client a gagné en un an dix fois ce que nous lui avions coûté… »
En 1991, le consultant est promu directeur d’études ; il sera nommé VP en 1997, le plus haut grade chez Mars (voir les grades dans les cabinets ici) ; le Graal, ils ne sont que sept VP au bureau de Paris. « Il est vrai qu’il n’est pas facile de se faire un nom au sein de ce cabinet autant identifié à son président fondateur. Le système y est assez pyramidal. L’avantage est qu’il n’y a pas de guerre des clans ! Dominique est aussi quelqu’un de très attentionné très attentif aux personnes, il n’oublie jamais un anniversaire. »
Une escapade trop précoce dans le solaire
En 2010, le VP décide de prendre un congé sabbatique pour entreprendre dans son secteur de « cœur », les énergies durables. Croyant alors très fort à l’avenir inévitable du solaire en Europe et en France (à l’instar d’un autre ex-consultant, expert énergie de Kearney, Laurent Dumarest), Patrick Fuvel lance son entreprise d’installation de panneaux photovoltaïques.
« Une politique nationale pour la constitution d’une filière française autour du solaire aurait pu être une opportunité à ce moment-là. Mais il aurait fallu maîtriser la filière, pour la rendre rentable pour la France… La fenêtre s’est refermée. C’est dommage. » En 2012, faute de visibilité, Patrick Fuvel liquide son entreprise, et revient dans la maison Mars.
Mais plus pour très longtemps. Trois ans plus tard, il décide de faire le grand saut, passer du statut de consultant, avec un poste et un salaire conséquent, à celui d’artiste peintre inconnu, et de faire de la peinture son objectif n° 1…
Le grand saut
« J’avais cela dans un coin de ma tête depuis longtemps. Mais c’est compliqué de savoir à quel moment on décide d’arrêter, de prendre le temps de le faire et d’en faire son métier. J’avais un peu d’économies pour tenir le coup. J’avais fait beaucoup dans le conseil, j’avais eu mon content d’expériences, et je ne voulais surtout pas faire la mission de trop… » Passer du monde bien réel des industries et du business à celui bien moins tangible de l’art et du visuel. Un choc des cultures. Avec une question : comment proposer une nouvelle vision, une nouvelle approche, à une discipline, la peinture, qui a beaucoup évolué depuis la moitié du XXe siècle ?
« J’ai donc eu envie de travailler à des tableaux en 3D, de développer une sorte de figuratif cinétique qui se nourrit de mes expériences des années 1985 et qui apporte une dimension supplémentaire à la peinture : le mouvement. Un mouvement qui est produit par la personne qui regarde l’œuvre en bougeant elle-même… »
Un artiste très techno
Étonnamment, des points communs, il y en a entre l’artiste et le consultant, dans le travail de recherche, de mise en forme et de restitution de ses idées, la nécessaire créativité. La comparaison a toutefois ses limites, le peintre reste très solitaire quand le consultant travaille toujours en équipe…
« En tant que consultant généraliste, on explore de nombreuses pistes et on imagine différents scénarios qui partent de situations réelles. En tant que peintre, on peut tout imaginer, mais après encore faut-il avoir les capacités de matérialiser ces visions dans l’œuvre elle-même… »
L’un de ses derniers tableaux, intitulé Course au large, avec son sujet de prédilection, la nature, et en particulier la mer... « Il porte en lui un peu de toutes mes influences : du dessin au trait, de la géométrie, de la technologie, des jeux de couleurs, de la cinétique, de l’impressionnisme, de la 3D – mais une 3D à la main –, et peut-être par-dessus tout, l’amour du vent, de la vitesse et de la lumière. »
Par moments, le conseil lui manque, les collègues, le travail en équipe, la clarté de l’objectif des missions… « La finalité du “métier” d’artiste est très complexe. Travaille-t-on pour soi-même ou pour les autres ? Qu’attend-on comme feed-back ? Qu’est-ce que la beauté ? » Les questions d’une vie. En attendant d’y apporter des ébauches de réponses, Patrick Fuvel continue à développer son activité de peintre. Il exposera notamment son travail au salon d’art contemporain d’Aix-en-Provence, SmArt, en septembre.
Barbara Merle pour Consultor.fr
Crédit photo : La Joconde Pop par Patrick Fuvel
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L'après-conseil
- 19/11/24
Cela faisait 24 ans que Philippe Peters naviguait au gré des vents favorables sur les mers internationales du conseil en stratégie, et ce, au sein de quatre firmes, Bain, BCG, EY, McKinsey, en Europe et en Asie. Transitoirement consultant indépendant, le partner ès Énergie et Industrie consacre son temps libre à une autre passion, comme bénévole cette fois : il dirige le club de volleyeuses « Les Mariannes 92 » de Levallois Paris Saint-Cloud, menacé de disparition en 2019, qu’il a sauvé en investissant sur ses deniers personnels, et dont l’équipe est championne de France 2024 de Ligue A féminine, l’élite du volley-ball féminin professionnel. Parcours atypique d’un consultant sportif qui sait saisir les opportunités au bond.
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Paul Gobilliard, jeune consultant d’EY-Parthenon de 27 ans, a récemment démissionné pour se lancer avec son frère Baptiste dans un projet ambitieux de restauration qu’ils ont concocté depuis début 2024.
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Une trentaine d’années au compteur de McKinsey. Alors senior partner, Arnaud de Bertier change de voie il y a 5 ans. Et il n’opte pas, en fin de carrière, pour la facilité. C’est un doux euphémisme. Sa destinée : prof de maths de collège en zone d’éducation prioritaire. Rencontre avec un homme réfléchi qui dit avoir trouvé sa – nouvelle – place.
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- 17/11/23
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- 09/10/23
Avencore, le cabinet de conseil en stratégie spécialiste de l’industrie, est le partenaire unique de la Soirée Ginette Alumni, une réunion de tous les anciens du prestigieux lycée privé Sainte-Geneviève – une première du genre.
- 22/09/23
Il est un secteur qui décidément inspire de plus en plus la littérature. Le conseil en stratégie, et en décor ses cabinets stars, est au cœur de l’intrigue fictionnelle de Bruno Markov, pseudo d’un ex du secteur. Le Dernier Étage du monde, un premier roman au vitriol qui éreinte par là même l’univers des banques d’affaires et de la tech, vient en effet de paraître dans une maison parisienne reconnue, Anne Carrière.