10 minutes livraison comprise : le quick commerce (déjà) forcé de se réinventer
Deux ans après son démarrage tous azimuts dans le contexte des confinements Covid, fini la love affair du quick commerce avec les consommateurs. Consolidations et faillites sont passées par là, et ce n’est pas fini. Pointe à présent la menace réglementaire. Les consultants en stratégie sont mobilisés côté FMCG et distribution.
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Être livré à la maison plus vite que si vous descendiez à l’épicerie en bas de la rue : la promesse était claire, l’ambition énorme, le retour à la réalité particulièrement brutal.
La dizaine d’entreprises de quick commerce lancées en Europe et en France ces dix-huit derniers mois à la faveur des confinements Covid enregistrent un spectaculaire retournement de tendance.
Pourtant, un an en arrière, les objectifs étaient extrêmement ambitieux. « On est en train de révolutionner les habitudes de consommation », assurait sur le plateau de BFM Business, Pierre Guionin, un ancien de Groupon, DG de Gorillas en France. « Les courses du quotidien, c’est 100 milliards d’euros par an. Si le quick commerce en prend 30 %… », se prenait à rêver dans les colonnes de La Croix Charles d’Harambure, le DG de la filiale française du groupe allemand Flink qui a depuis quitté ses fonctions.
Flink et Gorillas ne sont que deux des acteurs arrivés en masse sur ce créneau de la livraison ultra rapide. Une cohorte d’autres aux noms loufoques faisait leur apparition à la même période : Getir, KOL, Dija, Cajoo, Zapp, Yango Deli, Bam Courses… « Il est assez rare de voir un nouveau canal de distribution émerger aussi vite avec une prolifération d’acteurs aux levées de fonds spectaculaires », décrit Benjamin Audon, associate partner chez Circle.
Vertone a récemment fait les comptes (voir l’article) : « Le secteur a levé sept milliards d’euros en dix-huit mois », estime le cabinet.
Sur le marché français, une dizaine d’entreprises avaient ouvert à Paris, Lyon, Nice ou Marseille, sur le même modèle à chaque fois. Une fois les commandes passées en ligne, les paniers de courses sont préparés en deux minutes top chrono par des pickers, préparateurs dédiés, eux-mêmes installés dans des dark stores, ces magasins fantômes nichés aux cœurs des villes. Puis, charge aux livreurs d’acheminer les colis dans les quelques minutes restantes pour tenir la promesse faite aux clients. Le tout pour 2 euros la course environ.
L’offre a rencontré son public : notamment de jeunes actifs urbains pour qui supprimer une demi-heure au supermarché peut être vu comme un gain de temps. Un engouement qui se comprend pour Benjamin Audon : « Le cœur d’assortiment est restreint, mais bien fait, avec de belles marques aux prix de vente très subventionnés, pour acquérir une clientèle. Mais aussi une expérience fluide, avec bien sûr la livraison ultra-rapide »
Retour sur terre
Une petite année plus tard, patatras. La hype a brûlé comme un fétu de paille. « De 11 acteurs en France, il n’en reste aujourd’hui plus que 4 sur le marché français : GoPuff (leader aux États-Unis avec une valorisation de plus de 40 Mds€), Flink (valorisation de 5 Mds€), Gorillas (3 Mds€), et Getir (12 Mds€) », notent les consultants de Vertone.
Exit KOL, Zapp, Yango Deli qui ont arrêté leurs activités en France. Bam Courses ne livre plus en quinze minutes mais en une heure. Dija a été racheté par Gopuff, Frichti par Gorillas, Cajoo par Flink.
Pour ceux qui restent, l’heure est, là aussi, à la fin de l’abondance. Getir, Gopuff, Gorillas ont tous annoncé des réductions drastiques de leurs effectifs.
Plusieurs raisons expliquent pareil retournement éclair. La conjoncture d’abord. « Un cycle hyper favorable touche rapidement à son terme », disait en substance Kağan Sümer, le CEO de Gorillas, un ancien de Bain & Company (les anciens consultants en stratégie sont nombreux à travailler dans le quick commerce), dans un message posté sur le blog de l’entreprise (voir ici). Il annonçait dans la foulée le licenciement de 300 personnes, la moitié du staff support de la boîte.
Autre raison : le nombre d’acteurs qui se sont simultanément positionnés sur ce segment de marché. Ce que corroborent les consultants de Vertone : « Le modèle économique n’étant viable que si les livreurs sont (presque) toujours occupés et réalisent donc au moins 3 livraisons par heure, ce qui nécessite de réduire le nombre de dark stores servant une même zone de chalandise. »
Consolidation d’autant plus nécessaire que le marché reste petit. Il ne représente que 100 à 150 millions d’euros des 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel de l’e-commerce alimentaire français (données Vertone).
Plus fondamentalement, c’est la dernière raison, le potentiel de marché n’est pas aussi important que prévu et le besoin réel du service questionné. « On ne raccroche jamais ce sujet à un niveau plus philosophique alors qu’il cristallise les antagonismes de l’époque : la fin de l’abondance évoquée récemment par Emmanuel Macron d’un côté, le ʺdroit à la paresseʺ que défend le PDG de Getir, Nazim Salur, pour ses clients. Le quick commerce renvoie tout un chacun à sa schizophrénie, plus ou moins marquée », développe Frédéric Blache, partner strategy & operations chez Eight Advisory.
Et maintenant ?
Aucun poulain n’est favori à présent. Comme le dit plus sévèrement un partner qui a requis l’anonymat sur ce point : « Les quatre acteurs restants en France appartiennent à ces hauts fourneaux à cash, divas de la tech, longtemps valorisées sur le seul chiffre d’affaires et leur nombre d’usagers, alors qu’ils ne sont pas profitables. ».
En bref, darwinisme économique sur le quick commerce comme ailleurs – pour reprendre les mots de Kağan Sümer. Ou comme le souligne Benjamin Audon : « Tout le monde a regardé leur développement de façon circonspecte. La petite chanson était : ce sont des entreprises massivement financées, donc elles ne sont pas profitables fondamentalement, donc ça ne va pas durer. C’est ce qu’il est en train de se passer : elles sont entrées dans une course à la profitabilité. »
Pire, pour les entreprises restantes en France, vient à présent la menace réglementaire.
Pressurisé par des élus locaux vent debout contre les magasins fantômes dont ils jugent qu’ils dévitalisent les centres-villes et concurrencent la restauration et le commerce de proximité, le gouvernement a tranché début septembre.
L'exécutif a décidé de lever le flou autour du statut des locaux utilisés par les acteurs de la livraison de courses ultra rapide, qui seront bien considérés comme des entrepôts et non des commerces (voir l’article des Échos). Un arrêté ou un décret en ce sens pourrait entraîner la fermeture de nombre d’entre eux.
« La France, avec des dark stores à fermer ou à déménager, sera un pays moins facile à prioriser. La promesse marketing initiale des dix minutes pourra encore moins être tenue – elle n’existe déjà plus et a été remplacée par des délais de quinze à quarante minutes, qui sont déjà très rapides comparés aux deux à trois heures d’offres de livraison rapide des supermarchés. Cela va accélérer de potentielles sorties du marché », anticipe Charlélie Bensoussan Gaubert, partner chez Vertone.
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Faites vos jeux
Malgré tous ces obstacles, les jeux ne sont pas faits. La niche du quick commerce a quelques arguments à faire valoir. Elle a par exemple déjà réussi à faire bouger les acteurs traditionnels de la production et de la distribution alimentaires. « Côté FMCG (fabricants de produits de grande consommation, par exemple Kraft, Heineken, Danone, Unilever, NDLR), les plus agiles ont rapidement signé des partenariats. Qui leur ont permis de bénéficier de volumes supplémentaires significatifs et à de meilleures conditions commerciales que dans la distribution traditionnelle », détaille Benjamin Audon.
Pour les consultants de Vertone, ces partenariats ont des avantages de part et d’autre. Pour les distributeurs classiques, « proposer à leurs clients un service de livraison express sans avoir à investir dans la logistique de préparation de commandes, la livraison et les technologies associées » ; pour les quick commerçants, « bénéfici[er] du pouvoir de négociation des distributeurs […] et proposer une offre MDD (marque de distributeurs, NDLR) à prix plus accessible, notamment dans le contexte inflationniste actuel ».
Reste à trouver les bons équilibres – sur lesquels clients des secteurs FMCG et du retail ont souvent interrogé leurs consultants en stratégie ces derniers mois.
Pour tenir, les Flink, Gorillas, Gopuff et Getir vont nécessairement devoir s’ajuster, et pas qu’un peu. « Le quick commerce semble réaliser jusqu’à 70 % des ventes sous coupon. C’est intenable sur le long terme. Il y a quelques mois, les business plans étaient totalement axés sur l’acquisition de clients. Dans le contexte que nous connaissons actuellement, la recherche de profitabilité sera prépondérante. Nous observons de plus en plus de fonds qui demandent aux sociétés en portefeuille de rechercher davantage des sources de croissance à moyen ou long terme », avance Frédéric Blache chez Eight Advisory.
Autre piste évoquée : l’ouverture des murs des dark stores aux clients, de manière à pivoter une partie de l’activité sur de la distribution classique ; ou encore la livraison de plusieurs commandes à la fois par un livreur.
Quand Kea & Partners, qui a fait de ses propres impacts et ceux de ses clients une priorité (relire notre article), considère que la consolidation à venir pourrait également se jouer sur un volet social et environnemental. « Emissions liées à l’approvisionnement amont, mutualisation des commandes, respect du cadre social, nous sommes convaincus que ces critères vont être centraux pour les acteurs qui perdureront sur ce marché. Notamment parce qu’ils s’adressent en priorité aux jeunes urbains qui y sont particulièrement sensibles », défend Hugo Cart, consultant du cabinet.
Quelles que soient les options retenues, pour Charlélie Bensoussan Gaubert, c’est clair : « La consolidation va se poursuivre. Deux acteurs, Gorillas (avec Casino) et Flink (avec Carrefour, voir notre article), ont noué des partenariats avec des distributeurs et ont racheté des concurrents hexagonaux (Cajoo et Frichti). Gopuff et Getir, eux, sont des acteurs plus valorisés internationalement mais ne percent pas sur le marché français. Gopuff, qui a 10 % du marché, vient de se retirer d’Espagne et de fermer son bureau européen. Ce ne serait pas une énorme surprise qu’il en fasse de même en France pour se concentrer sur son marché cœur américain, voire britannique. »
Plusieurs parient que rapidement il ne restera que deux, voire un seul acteur. Comme un certain Amazon.
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