Consulting : la grande décélération
Les cabinets de conseil en stratégie de la place de Paris slaloment – certains mieux que d’autres – sur un marché qui est clairement rentré dans cycle baissier après le coup de bourre historique de l’après-covid.
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Baisse des taux de staffing, des clients plus longs à la détente, une certaine prudence sur les recrutements, des rumeurs de gel dans X et Y cabinets : le printemps est frais au pays du conseil en stratégie parisien.
Finies les croissances stratosphériques ! Que ce soit McKinsey (de 10 milliards de dollars de CA en 2018 à 15 milliards en 2021), le BCG (+25 % de 2020 à 2021) ou Oliver Wyman (à son plus haut depuis 15 ans).
Inversement, ces dernières semaines, les signaux d’un net ralentissement se sont accumulés. Des sources internes apprenaient à Bloomberg début février que McKinsey envisage la suppression de 2 000 postes, 4 % de son effectif total. C’est 2,5 % de la masse salariale dans le monde chez Accenture, soit 19 000 postes en moins sur les 18 mois prochains. De même, Cognizant, KPMG et EY ont publié des annonces de réduction d’effectifs.
Autre signal faible : en Australie et en Nouvelle-Zélande, McKinsey et Bain ont récemment demandé à leurs recrues juniors de décaler leur entrée dans les cabinets de plusieurs mois.
Ces nouvelles sont peu surprenantes étant donné les ralentissements des achats de conseil constatés depuis plusieurs mois dans certains secteurs, comme la banque ou le private equity.
Cette contraction, dans les différents cabinets sollicités par Consultor, se matérialise également, quoique de diverses façons.
Staffing en baisse
Sur le taux de staffing d’abord. « On vit la même chose que nombre de nos concurrents. On est passé de taux de staffing de 100 %, 110 % voire 120 %, en 2021 et 2022, à 50 % en ce début d’année. Ce n’est pas satisfaisant, mais ce n’est pas un sujet d’inquiétude : le début d’année est historiquement un moment calme où les clients font leur budget pour l’exercice. Cela nous permet aussi de réallouer du temps à de la recherche, au développement de pitch et de lead commerciaux, ce que nous n’avions plus eu le temps du tout de développer », témoigne Gaëlle Zinkiewicz, la COO, CFO et head of HR chez CVA.
Une pause parfois très bienvenue pour les managers qui manquaient parfois cruellement de temps ces dernières années pour souffler ou pour leur vie personnelle. Un break qui n’est pas toujours aussi épanouissant plus bas dans la pyramide. « Les consultants juniors peuvent le vivre plus mal. Quand on est juniors, on veut bosser. Bien sûr, on tâche de valoriser très professionnellement leur travail de développement et de marketing, mais ils préféreraient être plongés dans des missions auprès de clients. Ils se rassurent en voyant que leurs camarades de promo vivent à peu près partout la même chose », dit Gaëlle Zinkiewicz.
Les clients plus lents à se décider
Autre indicateur de conjoncture révélateur : le temps que prennent les clients à décider d’une mission de conseil en stratégie. « Le pipe est plus long, oui, absolument. On le sent dans tous les secteurs », confirme Stéphanie Nadjarian, senior partner chez Kea.
De même pour Gaëlle Zinkiewicz chez CVA : « Il y a une vraie inertie ! Les projets sortent, mais plus lentement. Avant, une mission pouvait se décider en deux semaines. À présent, il faut des mois de discussions. Et cela ne vaut pas que pour la France : cela vaut aussi en Allemagne ou au Royaume-Uni, où nous le constatons également. »
Quant à David Vidal, senior partner et managing director de la France chez Simon Kucher, il voit « un pipe allongé dans certains secteurs industriels ou dans la tech, mais pas non plus dramatiquement plus long ».
Turnover plus bas
Il y a aussi le taux de rotation des consultants (alias le turnover) : il est réputé haut de manière générale dans le conseil. Dans le secteur, il n’est pas rare que 20 à 30 % des équipes de consultants se renouvellent chaque année (contre 15 % dans les entreprises en moyenne selon l’Insee).
Plus la conjoncture est florissante, plus ce taux a tendance à être haut, plus elle se contracte, plus il a tendance à être bas. À ce sujet, la dynamique actuelle ne trompe pas, selon David Vidal : « Il y a un an, on parlait de ces grosses entreprises de conseil, dont plus de 50 % des équipes avaient moins de 2 ans d’ancienneté. On parlait aussi de la grande démission. On n’est plus du tout là. J’entends que le churn est bas un peu partout, qu’il y a de l’attentisme et que les possibilités de bouger sont moins nombreuses. À commencer dans la tech où les recrutements sont nettement moins forts, à l’instar des plans de réduction d’effectifs de Meta ou de Google. Il en va de même dans des scale up françaises. »
Même son de cloche chez Indefi : « De mi-2021 à mi-2022, nous avons vu un nombre de consultants plus important qu’à notre habitude partir à la concurrence, alors que notre taux de turnover était inférieur à 10 % historiquement. À présent, on retombe sur un taux bas. Ce qui instille un certain confort dans la conduite des missions, car il y a moins de pression à la sortie. On sait que l’on peut se reposer sur des équipes stables et moins sollicitées depuis l’extérieur », explique Julien Berger, managing partner.
Des candidats parfois plus fébriles
La contraction du marché se fait aussi sentir chez les candidats. « On sent une certaine tension. Il y a davantage de candidats qui nous demandent à partir de quand nous recrutons, parce qu’ils ont une offre dans un autre cabinet qui a été reportée de plusieurs mois ou qu’ils nous disent que tel et tel concurrent ont gelé leurs recrutements », témoigne David Vidal, chez Simon-Kucher.
Une certaine réorganisation des flux de candidats sur le marché est également palpable. « Indefi a recruté davantage sur les 6 derniers mois, que sur les 6 mois précédents, et nous recevons davantage de candidatures, environ +30 % » détaille par exemple Julien Berger. Une hausse qu’Indefi n’est pas le seul cabinet à constater et qui pourrait correspondre à un report mécanique d’un ralentissement des recrutements chez les MBB (McKinsey, Boston Consulting Group, Bain).
Continuer à recruter : une nécessité vitale
Une immense majorité de cabinets fait de même : ne pas freiner sur les recrutements, au contraire, en lien avec des taux de croissance qui restent très costauds.
Advancy affiche 80 recrutements mondiaux en 2022, et +20 % de prise de commandes au T1 2023 par rapport au T1 2022 ; Simon Kucher vise 37 arrivées de consultants et stagiaires à Paris en 2023 et enregistre 20 % de croissance au T1 2023 en ligne avec le taux historique du cabinet ; Kea conserve un objectif stable de 15 à 20 recrutements prévus en 2023 sur le périmètre du conseil en stratégie et transformation de Kea & Ylios ; Cylad compte 40 candidats en process de recrutement en permanence tous bureaux et tous grades (25 en 2022) et un fort niveau d’activité ; CVA conserve un objectif de 20 recrutements de consultants sur l’année dans la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique à laquelle appartient le bureau de Paris avec six autres bureaux, 80 consultants cumulés).
Comment expliquer le décalage avec les coupes annoncées par les géants du secteur ?
Pour Julien Berger, chez Indefi, ce décalage s’explique notamment par la spécificité de la gestion des ressources humaines pour les cabinets de taille intermédiaire. « Nous augmentons moins les recrutements en période haussière que nos concurrents. Notre vision est à 5 ans, en essayant de lisser autant que possible les effets de cycle. Ce n’est pas une science exacte, mais on ne peut pas se permettre de se séparer par à-coups d’équipes que nous mettons du temps à recruter et à former. »
Ce que David Vidal, chez Simon-Kucher, appelle « une pyramide saine ». « On a pris le parti d’investir dans la durée sur les recrutements et pas par à-coups. On ne fait pas des +40 ou +50 % épisodiquement, mais un bon +20 % stable que l’on sait gérer. Maintenir une continuité des recrutements est nécessaire dans nos métiers d’expertises », appuie-t-il. « Pas d’à-coups dans les recrutements ! Je suis tout à fait en phase avec les autres cabinets sur ce point. Nous accueillons de nouveaux talents tout au long de l’année, et nous recrutons aujourd’hui activement pour l’ensemble de nos bureaux, car nous connaissons une très belle dynamique de croissance », renchérit Fanny Colette, Global HR Director chez CYLAD.
Autre explication : les sujets sur lesquels les cabinets choisissent de se positionner. « La nature des missions a changé, pose Eric de Bettignies, fondateur et associé d’Advancy. Sur le private equity, nous avons refusé moins de missions qu’en 2021 et 2022, mais dès 2022, nous avions fait le choix de plafonner la part de nos missions de conseil consacrée au private equity. Cette part est de l’ordre de 35% aujourd’hui. Dans cet ensemble, la part de vendor due diligence va en s’agrandissant. Nous aidons nos clients à préparer les ventes d’entreprises qui vont intervenir dans 4 à 6 mois ».
Dans la même veine, Simon-Kucher considère que l’arrivée d’un partner expérimenté pour créer une nouvelle practice assurance joue en sa faveur, et Indefi indique capitaliser sur le sous-segment du small cap dans le private equity, tout particulièrement sur les sujets ESG (environnement, société et gouvernance) et digitaux qui demeurent très porteurs.
Repositionnement, donc, mais une certaine prudence également est de mise : des taux de staffing dont on veille à ce qu’ils ne tombent en dessous d’un certain niveau, et des volumes d’activité scrutés mois par mois. Ou comme dit Éric de Bettignies chez Advancy : « On regarde toujours derrière nous avec bonheur, mais devant nous avec anxiété. »
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