Entretiens de recrutement : les RH souvent hors-jeu
C’est un peu leur chasse gardée. Le recrutement de leurs pairs est historiquement aux mains des consultants dans la plupart des cabinets de conseil en stratégie. Les ressources humaines, elles, n’ont pas (vraiment) voix au chapitre lors des entretiens. Oliver Wyman, Avencore et L.E.K. Consulting ont joué la carte de la transparence.
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Le recrutement est une machine bien huilée, particulièrement dans les plus gros cabinets, qui doivent parfois gérer plusieurs milliers de CV par an et assurer jusqu’à 1500 tours d’entretiens annuellement… pour une centaine de recrutements effectifs. C’est dire si le filtrage au recrutement – et en particulier la phase des entretiens – se veut intraitable aux vues de l’enjeu, attirer les meilleurs talents et les garder. Des moments cruciaux pendant lesquels sont avant tout testées les hardskills, études de cas à l’appui, et spécifiquement dans les boutiques à taille humaine, les softskills, garants du fit entre recrutés et équipes en place.
Des consultants à la manœuvre
À la différence de nombreux autres secteurs d’activité où l’entretien RH est un passage obligé, ayant lieu souvent même avant celui avec un responsable opérationnel, le conseil en stratégie se différencie dans la majorité des cas en faisant l’impasse sur ce « tamis ressources humaines ». Car, aux yeux de la plupart des partners des cabinets de conseil en stratégie, qui mieux que des consultants pour s’assurer du (bon) choix de leurs futurs collègues ?
Au risque peut-être parfois de paraître un peu condescendant vis-à-vis des compétences RH stricto sensu. « Nous avons un principe, c’est que ce sont les consultants qui mènent les entretiens. La fonction RH a un rôle clef d’orchestration et de relation avec les candidats entre les tours », confirme Hugues Havrin, partner en charge des recrutements chez Oliver Wyman. Un cabinet qui organise quelque 1000 entretiens par an sur trois tours pour quelque 30 à 50 recrutements sortis d’école et entre 15 et 30 profils expérimentés selon les années (plus une vingtaine de stagiaires recrutés qui passent deux tours). Un état de fait qui n’a pas bougé, même si le cabinet reconnaît y réfléchir régulièrement et avoir décidé de rester en l’état pour plus de cohérence. Les consultants étant plus à même, selon Hugues Havrin, de faire passer des études de cas ou de juger de la réelle motivation du candidat. « Créer des entretiens RH, créer un tour ou intégrer à un tour, provoquerait une charge de travail très forte et nécessiteraient des compétences très spécifiques. Nous ne sommes pas dans ce modèle, dans cette méthodologie, et nous préférons investir nos ressources sur d’autres priorités », ajoute le partner d’Oliver Wyman. Cabinet qui a choisi d’impliquer les consultants pour faire passer les premiers tours d’études de cas après (seulement) deux années d’expérience au sein du cabinet. Alors, les RH répartissent les entretiens entre consultants expérimentés, managers et partners, en fonction des tours et de la séniorité des candidats. « Sur les juniors, on distribue le travail par école aux consultants ; les RH s’assurent qu’il n’y a pas de biais dans la sélection des CV », confirme le partner en charge des recrutements.
Les RH, « cheffes d’orchestre »
Dans ces grosses machines à recrutement, le service des ressources humaines est en lien direct et permanent en amont jusqu’au potentiel closing avec les candidats détectés, notamment lors des visites dans les écoles, d’abord en charge de la première prise de contact pour les convaincre de postuler. Chez Oliver Wyman, le service des ressources humaines dispose également d’une équipe de chasse interne de trois personnes sur les profils expérimentés, y compris les partners, « 95 % de nos besoins », selon Hugues Havrin. Puis, les RH sont présentes « à tous les points d’interface, dans un travail de pédagogie sur les process, en charge du débrief des entretiens, y compris qualitatifs, dans la finalisation du contrat à la suite de l’offre de principe formulée par un partner », pointe le partner d’Oliver Wyman. Après chaque tour, les RH participent ainsi au débrief/partage de points de vue afin d’élaborer et de mettre à jour la fiche d’évaluation de chaque candidat auditionné. Et de façon plus informelle, lorsque les associés d’Oliver Wyman hésitent sur un candidat, ils se tournent vers les RH pour des conseils, comme l’atteste Hugues Havrin. « Les RH nous donnent leur ressenti pour affiner notre prise de décision. Nos fonctions RH ont une excellente perception du candidat, car elles passent beaucoup de temps avec eux dans l’accompagnement du process. La manière dont les candidats se comportent avec les RH est également un révélateur de leur véritable personnalité. »
Recrutements « à la carte »
Qu’en est-il dans les autres cabinets ? Cela dépend en fait des « politiques » de recrutement des cabinets, à l’instar de L.E.K. Consulting et d’Avencore qui ont fait des choix différents.
Côté L.E.K. Consulting, les RH sont également les organisateurs/facilitateurs du bon déroulement des recrutements. « Mon rôle est de prendre en charge les candidats sortis d’école dès le début du process CV jusqu’au closing. Pour les profils expérimentés, je gère la relation avec les chasseurs de têtes et fais de la chasse en direct, des calls préliminaires pour présenter notre cabinet et m’assurer de la pertinence d’engager le candidat dans un processus », explique Arnaud Blanchard, Talent Acquisition Manager de L.E.K. Consulting. Ses missions principales : travailler la marque employeur pour donner envie aux candidats de rejoindre le cabinet puis les chaperonner tout au long du process. « Après chaque tour, je vais aussi débriefer avec les managers et partners, qui me partagent leur décision, et j’annonce aux candidats la décision qu’elle soit positive ou négative en la motivant. »
Le choix d’un tour RH
Avencore, cabinet de 70 consultants en France a, en revanche, la particularité d’avoir mis en place un entretien dédié RH. Au total trois tours, réalisés respectivement par un manager, deux partners et les ressources humaines. Les responsables de recrutements au sein des RH assurent aussi le screening et les premiers entretiens pour les juniors. Anne Baudrier, la DRH du cabinet, assure les entretiens pour les plus seniors, « le cabinet de chasse teste la pertinence du profil au préalable avant que je n’arrive en fin de process, ce qui est plus cohérent pour parler trajectoire, adhérence au rôle, package, formation, mais on peut aussi détecter un misfit en termes d’état d’esprit, de savoir-être (intelligence émotionnelle, situationnelle, etc.), qui pour nous est aussi essentiel que les compétences et le savoir-faire ». Au final, débriefing collégial avec tous ceux qui ont vu le candidat. Et si une seule personne émet un doute, c’est non à l’unanimité, et comme le confirme la DRH, « ma voix compte autant que celle d’un partner ». La DRH d’Avencore a aussi défini au moins trois missions en termes de recrutement et de pérennisation des recrues. Un, la sensibilisation des managers, « pas seulement dans la sélection à proprement dite, mais aussi dans leur façon de véhiculer notre marque employeur et ses valeurs », comme des candidats, pour « les aider à faire leur choix dans notre positionnement industriel qui fait la spécificité de notre cabinet ». Deux, la connexion de la promesse employeur avec la réalité du quotidien, se positionnant en qualité de membre du comité staffing comme une share voice pour guider les décisions. Trois, répondre aux exigences des nouvelles générations, en particulier la Z, des « Zoomers » qui entrent sur le marché et devraient représenter 50 % des effectifs des entreprises en 2025.
Cette politique assez généralisée du recrutement quasiment uniquement des futurs consultants par leurs pairs, consultants plus seniors, est une spécificité historique du secteur du conseil en stratégie. Une politique assumée par la plupart des partnerships. Un pré carré indéboulonnable.
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