Dans le conseil, des jours de récup’ au lance-pierres
Jours de récup’, repos compensatoire, un droit légal, mais diversement appliqué – c’est peu de le dire – dans le conseil en stratégie.
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« Je n’ai quasiment aucune connaissance de ces process, que ce soit dans mon cabinet ou au Syntec… », reconnaît en off un vice-président exécutif d’un cabinet de la place, très au fait de l’activité du syndicat pro du conseil.
« Nous n’avons pas grand-chose à partager sur ce sujet, en dehors du fait que nous en faisons bien évidemment, et ceci de manière très artisanale, en cohérence avec la taille de nos équipes », souligne de son côté un autre associé.
Des propos qui résument assez bien la réalité de l’application du droit du travail en matière de repos compensatoire dans le secteur. Cet « artisanat de la récup’ » est assez généralisé, mais pas très assumé.
Pour preuve, bon nombre de cabinets ont répondu de façon laconique à la question, sur le mode « nous n’avons pas grand-chose à dire sur le sujet », ou sont tout simplement restés silencieux.
Pour d’autres, à l’instar d’EY-Parthenon, le repos compensatoire a été mis en place au fil du temps, comme le confirme sa responsable People & Development, Sophie Sliman. « S’il y a eu une époque où effectivement il n’existait pas, ce système vertueux s’est instauré depuis longtemps, c’est une pratique métier aujourd’hui établie. »
Le droit en question
Mais que dit le droit du travail sur le sujet ? Le syndicat pro du secteur, Syntec Conseil, a indiqué qu’il n’existait pas d’accord sur les jours de récupération signé au niveau de la branche Syntec.
Les cabinets de conseil en stratégie dépendent donc sur ce sujet du droit du travail général. Ce qui complexifie la donne dans le secteur du conseil en stratégie, avec généralisation de la convention du forfait jours.
Les consultants-cadres sont payés en jours travaillés et non pas en heures. Une pratique qui a ouvert une boite de pandore d’autant plus dans un secteur où les journées à rallonge peuvent se multiplier (ici) - une culture accentuée par le rebond post pandémie (là).
« Dans ce forfait est inscrit un nombre de jours ouvrés par an maximum, dans ce cas de 218 jours, et au-delà, cela ouvre droit à des jours de repos effectifs ou leur rachat avec majoration. En contrepartie, afin que le salarié ne soit pas corvéable à merci, l’employeur doit contrôler la charge de travail du salarié, mettre en place un système de décompte des jours travaillés, ainsi qu’un entretien annuel portant sur la charge de travail », synthétise l’avocate spécialiste Susana Lopes dos Santos du cabinet Astae.
Des jours de récup’ obligatoires, car ce que notifie également le Code du travail, dans le cas du forfait jours, c’est que les heures supplémentaires ne sont pas payées.
Application stricte sur le papier pour certains
Des contrats de travail qui laissent ainsi une belle marge de manœuvre sur l’application du droit. Les jours de récup’ sont assez généralement distribués au fil de l’eau en fonction des missions à tous les consultants salariés ; les associés organisant, eux, leur temps de façon plus discrétionnaire.
Roland Berger, l’un des rares grands cabinets ayant accepté de s’exprimer sur ce sujet, suit le Code du travail à la lettre, comme l’atteste Katell Brunet, responsable staffing de Roland Berger.
« Nous appliquons les règles de la convention collective de Syntec. Si nos consultants, cadres au forfait jours, viennent à travailler plus que le nombre de jours contractuel, on leur octroie des jours de récupération. Pour ceux qui ne le sont pas, les jours de récupération sont octroyés s’ils dépassent 35 ou 39 heures, selon leur contrat de travail. »
Au sein de l’entité strat’ du big four EY, l’usage des jours de récupération est aussi mis en place de façon structurée et systématique depuis la création d’EY-Parthenon en France en 2017. « Mais cette pratique de la récupération n’est pas organisée dans un esprit comptable. Elle a pour vocation de garantir un équilibre, c’est en fait du management », confie le récent patron du cabinet parisien Stephan Bindner (ici).
De la souplesse pour d’autres
« Une politique écrite noir sur blanc est impossible, on ne respecte pas la loi à la lettre », reconnaît un associé d’un grand cabinet (sous couvert d’anonymat).
Du côté d’Oliver Wyman, les process récup’ sont plus pragmatiques, comme l’accorde l’associé Hugues Havrin. « Il y a eu bon nombre de débats sur le sujet. Nous avons créé et mis en place des “recharge days” suite à la période intense et particulièrement éprouvante que nous avons connue pendant et après la pandémie de Covid-19, et pendant laquelle nos équipes ont fait preuve d’une mobilisation indéfectible. Cela prend la forme de 4 ou 5 jours par an imposés à tous. Nous avons également une pratique moins processée, celle de donner des jours quand les projets ont été très intenses. »
Idem chez Simon-Kucher & Partners où l’organisation se veut flexible en fonction de la « pénibilité du travail », comme le confirme le managing partner de SKP France, David Vidal. « Dans certains segments, comme les due diligences, dépasser les quinze jours ouvre de fait droit à un jour de récupération. Mais notre première règle est de trouver la bonne pyramide de staffing dans les projets afin de maintenir un équilibre acceptable. Car notre mode de fonctionnement ne consiste pas à pérenniser l’intensité de travail. »
Dans les cabinets de plus petite taille, « à taille humaine », à l’instar de Cylad, on joue la carte de la simplicité. Dès qu’une demi-journée a été travaillée le week-end, le consultant récupère l’équivalent en semaine. « Cela arrive toutefois très rarement, car on ne travaille pas le week-end, et c’est encore plus rare depuis la pandémie. C’est le cas très ponctuellement lors des voyages long-courriers, par exemple, lorsqu’un consultant part travailler dans notre bureau australien », confirme la DRH cyladienne Fanny Colette. Autre cas de figure de récup’ possible chez Cylad, lors de missions très intenses dans un temps court où très exceptionnellement les « consultants travaillent tard le soir, pour tenir une deadline ».
Un sujet plutôt fluide
Mais qui décide finalement d’octroyer ce repos compensatoire ? Il serait avant tout le résultat d’un dialogue, « après discussion entre les partners et différentes instances, dont le talent management, etc. », répond Hugues Havrin d’Oliver Wyman. « Le manager de chacun des projets anticipe chaque semaine la charge à venir, et donc la nécessité de compenser par des creux, et ce, d’une journée à l’autre. Mais cela reste une discussion entre le manager et ses équipes, nous n’avons pas d’unités de valeur et de grilles dédiées. Ensuite, la RH réalise un suivi plus centralisé pour s’assurer de la bonne prise en compte d’une éventuelle surcharge de travail », détaille Stephan Bindner, le boss d’EY-Parthenon France. Chez Roland Berger, la demande viendrait plutôt des consultants eux-mêmes. « Si un consultant est amené à travailler par exemple un week-end sur une mission, il déclarera ces heures pour qu’elles soient récupérées. Les salariés sont ensuite libres de prendre ces jours de récupération quand ils le souhaitent, en accord avec leur manager et le service RH, comme pour des congés », précise la responsable staffing Katell Brunet. Chez SKP, le process repose sur la confiance, comme le souligne son managing partner, David Vidal. « Les équipes sont à l’aide avec ce mode de travail hybride. Il y a des règles et cela fonctionne de façon fluide. Tout en sachant que cela doit rester l’exception. »
Une charge de travail mieux appréhendée
Certaines missions restent-elles toujours plus ou moins gourmandes en termes de jours de récup’ ? « En règle générale, les missions longues, sur plusieurs mois, font moins l’objet de récupération, car la charge de travail est mieux répartie », confirme la responsable staffing de Roland Berger. Alors quid des due dil’, qui ne durent que rarement plus de cinq semaines, mais qui sont réputées comme les plus chronophages ? La donne aurait changé aujourd’hui, selon Stephan Bindner d’EY-Parthenon. « Il y avait en effet une époque où les due diligences nécessitaient une énorme surcharge de travail. Maintenant que ces missions bien spécifiques sont devenues extrêmement courantes, ce n’est plus vraiment le cas. Il est difficile de prévoir quel projet donnera lieu à de la récupération, c’est du cas par cas. Cela dépend de plusieurs facteurs, comme le niveau de connaissance du marché ou de la situation du client, une situation complexe avec un gros niveau d’urgence, et du contexte évolutif du dossier sur lequel nous travaillons. » Et Roland Berger d’innover en la matière avec la création toute récente d’une journée « d’entre-deux », mi-travail, mi-récup’. Pour toutes les missions de plus de 15 jours, a été mis en place un Chill out day, une journée « qui permet de souffler entre deux projets, avec un programme plus tranquille, lors de laquelle nous proposons aux consultants de prendre du temps pour capitaliser sur le projet (Knowledge), de prendre du temps pour les tâches administratives (notes de frais, timesheet…) et de passer des moments de convivialité ensemble », note Katell Brunet de Roland Berger.
En tout cas, pour les cabinets diserts sur le sujet, le repos compensatoire se doit d’être juste, dans un mindset assez général, où il est organisé de sorte que tout se passe pour le mieux pour les consultants. « Nous ne faisons pas de statistiques chiffrées sur cette pratique, et c’est voulu. Si elles existaient, certains encadrants pourraient être tentés de les réduire. Et c’est tout ce qu’on veut éviter. Car, à la clef, nous cherchons des consultants épanouis, capables de souffler après une charge importante. Ce que l’on suit vraiment, c’est que ces mesures soient correctement pratiquées pour le bien-être de nos équipes », insiste le patron France d’EY-Parthenon Stephan Bindner. Et pour l’avocate du cabinet Astae, Susana Lopes dos Santos, les contentieux sur le sujet du repos compensatoire sont rares, parce que « c’est de plus en plus un point de vigilance au sein des cabinets, et que l’historique des jurisprudences encadre de mieux en mieux la convention du forfait jours ».
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