Exclusif – À l’UGAP, 48 commandes en quatre mois pour PwC
Cinq mois après que l’UGAP, la centrale d’achat, a mis sur les rails le second marché pluriannuel de conseil en stratégie de son histoire, PwC, son attributaire, a reçu 48 commandes. C’est 30 % du total des 170 commandes de missions de conseil en stratégie qui avaient été passées sur le marché précédent (alors détenu par McKinsey), selon les documents que la centrale a transmis à Consultor.
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Le conseil en stratégie ne connaît pas la crise, et certainement pas dans le secteur public ! Pour aussi surprenante que cette exclamation puisse apparaître après deux ans et demi de polémique sur le recours aux cabinets de conseil dans le secteur public, c’est bien elle qui s’impose à la vue des données communiquées par l’UGAP à Consultor.
Le 13 août 2022, la centrale annonçait avoir retenu PwC comme mandataire de premier rang sur un marché de fourniture de prestations de conseil en stratégie (avec trois cotraitants, l’ADIT, Havas Paris et Landot & Associés). 23 000 collectivités territoriales, ministères, établissements publics, mais aussi entreprises clientes de l’UGAP peuvent y recourir.
Ce marché intervient en renouvellement du précédent marché qui courait de mars 2019 à septembre 2021 (lui attribué au rang 1 à McKinsey avec Eurogroup comme cotraitant).
48 commandes en quatre mois
Depuis cette date, c’est peu dire que PwC a été régulièrement sollicité dans ce cadre. Selon les données que Consultor a sollicitées auprès de l’UGAP, 48 commandes ont été adressées à PwC Advisory (qui regroupe les activités de conseil de PwC) entre le 5 octobre 2022 et le 6 février 2023.
Un chiffre qui est à mettre en regard avec les 230 devis établis et les 170 commandes estimées sur le précédent marché – une comparaison que l’UGAP, interrogé à ce sujet par Consultor, juge erronée sans indiquer pour quelle raison. Ce qui revient à dire qu’en quatre mois, les clients de l’UGAP ont commandé un tiers du total de ce qu’ils avaient commandé en trois ans !
À ce rythme, pas étonnant que le montant prévisionnel du marché soit de 25 millions d’euros, le double du précédent (fixé, lui, à 12 millions d’euros). On comprend aussi dans ces conditions pourquoi un garde-fou a été posé : un maximum a été fixé à 75 millions d’euros pour ce lot de conseil en stratégie.
Cet essor des commandes enregistrées à l’UGAP vaut encore plus pour les autres lots de conseil prévus dans ce marché-cadre. À la date du 6 février 2023, 807 commandes avaient été passées en conseil en organisation, conseil financier et conseil immobilier à Eurogroup, Grant Thornton et Colliers International – contre 1 210 enregistrées sur la période 2019-2021 !
Un report des missions de l’État vers l’UGAP ?
Comment expliquer pareil engouement alors même que, du côté de l’État, les dépenses de conseil en stratégie sont affichées en baisse de 35 % en 2022 par rapport à 2021 ?
Une des raisons premières de cet engouement était celle pratico-pratique évoquée par Edward Jossa, le président de l’UGAP, lorsqu’il avait été entendu par la commission sénatoriale d’enquête sur l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques : le gain de temps.
« Gérer un marché de conseil pour une collectivité territoriale prend six mois. Ce temps est gagné quand on peut aller chercher ce marché sur étagère auprès de l’UGAP », avait alors expliqué Edward Jossa (relire l’article sur le prix du conseil à l’UGAP).
Résultats : en 2013, l’UGAP allouait 26 millions d’euros à des missions de prestations intellectuelles. Ce chiffre a bondi à 125 millions d’euros en 2015, 207 millions en 2018, et 253 millions en 2020 – dont 50 seulement sur le conseil en stratégie, organisations, finances et immobilier. Dans cet ensemble, le conseil en stratégie restait donc marginal sur la période 2019-2021, avec 12 millions d’euros. Le tout alors que l’UGAP a enregistré un total de 4,67 milliards d’euros d’activité d’achat et revente de prestations diverses et variées (informatique, voitures, fournitures, un million de commandes par an) en 2020.
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Un nouveau marché de conseil très encadré auprès des acteurs publics. Voilà ce que nous promet le gouvernement depuis plusieurs mois via notamment le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guérini. À l’heure de la publication officielle de l’avis de marché et de ses nouveaux attributaires, les pouvoirs publics se veulent rassurants sur l’utilisation raisonnée de l’argent public pour les missions de conseil jusqu’à la fin du quinquennat.
Un marché passé avant la commission d’enquête du Sénat
Autre raison envisageable de ce boom à l’UGAP : un effet report lié au resserrement des possibilités de mission de conseil en strat’ via l’État. Ce dernier vient de publier un nouveau marché-cadre dont les conditions ont été significativement durcies après le shit storm connu par l’exécutif sur le sujet.
Car si, en effet, l’UGAP adresse les collectivités territoriales, elle le fait au même niveau pour les ministères (1,4 milliard d’euros d’activité à l’UGAP en 2020 pour chacun de ces deux groupes de clientèle en 2020). Mais rien ne permet d’établir ce report pour l’heure.
Deuxième enseignement des documents transmis à Consultor : les conditions dans lesquelles l’UGAP a passé ce marché-cadre. L’avis de marché paraît au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l’Union européenne en octobre 2021 : à cette date, une certaine polémique a déjà eu lieu en France comme dans d’autres pays dans le monde sur le rôle joué par des cabinets de conseil dans les stratégies vaccinales de réponse à la pandémie de covid.
Mais nous n’en sommes pas à ce que le sujet deviendra après que le Sénat y aura consacré trois mois d’une commission d’enquête au cordeau, puis après que les médias, la classe politique et la justice, en auront fait des sujets brûlants – obligeant le gouvernement à s’en saisir.
Non, quand l’UGAP reçoit les plis des cabinets qui soumissionnent en réponse à ce marché, le 13 décembre, Edward Jossa vient tout juste d’être entendu par la commission sénatoriale, quelques jours plus tôt, le 8.
Peut-être est-ce pour cela que parmi les cabinets soumissionnaires on retrouve encore McKinsey ? À un moment où la firme pensait peut-être encore pouvoir y conserver une activité. Dix mois plus tard, le 19 octobre 2022, la direction mondiale de McKinsey avait décidé d’en finir avec ces fichus Gaulois. Argument avancé : pour moins de 5 % du chiffre d’affaires hexagonal, 100 % des emmerdes.
De fait, McKinsey n’est plus présent sur le récent marché-cadre pluriannuel de la Direction interministérielle à la transformation publique (DITP), principal guichet des missions de conseil conduites par les ministères ni sur celui du ministère de la Défense.
L’UGAP a beau mettre le pied sur le frein au moment de la commission sénatoriale (les attributaires devaient dans un premier temps être connus en avril 2022, ils seront finalement annoncés en août), au siège du grossiste à Champs-sur-Marne, la présence de McKinsey sur un marché public français n’apparaît pas encore rédhibitoire.
Le cabinet est même préféré à deux concurrents qui s’étaient également proposés : Roland Berger et Oliver Wyman (qui vient en revanche de remporter le marché DITP). Le BCG, qui comptait parmi les attributaires du précédent marché, ne s’est, lui, pas proposé.
En revanche, McKinsey est moins bien noté sur tous les critères qui servent à choisir les cabinets attributaires du marché : 7,08/10 sur le prix, quand PwC reçoit 9,65/10 (l’UGAP note de gros écarts de coûts entre les cabinets) ; 7,08 sur la qualité contre 9,52 à PwC ; 7,92 sur la valeur technique contre 8,56 à PwC.
C’est la raison pour laquelle PwC et ses cotraitants ont été retenus au rang 1 et auront la primeur de toutes les missions de conseil en stratégie commandées à l’UGAP, McKinsey n’ayant quasi aucune chance d’intervenir.
Le nom du cabinet n’apparaît en tout cas nulle part dans les documents transmis à Consultor, et pour cause : ils ne portent que sur les commandes passées aux attributaires de rang 1.
Transparence : peut mieux faire
Car si l’UGAP a joué le jeu rapidement de partager une bonne partie des documents demandés par Consultor, le détail de « quel cabinet fait quoi, pour quel client, à quel prix et avec quels résultats » reste le péché mignon des décideurs publics.
Malgré deux ans et demi de battage sur ce point et l’effort de transparence entrepris par le Sénat, la dernière marche semble dure à passer (le gouvernement mettait récemment en avant le temps délirant que les services de l’État devraient passer sur chaque commande de conseil pour la rendre communicable au public). Pourtant le cœur du réacteur : le qui quoi comment des quelque 500 missions réalisées dans le cadre DITP entre 2018 et 2022, et les quelque 200 missions réalisées (sur le seul conseil en stratégie) dans le cadre UGAP entre 2019 et 2021.
Interrogés, les services de la DITP, dont Stanislas Guerini, le ministre de la Transformation publique, a la tutelle, ont indiqué à Consultor ne pas avoir de lien avec le marché de l’UGAP et ne pas pouvoir apporter de précisions à ce sujet.
En attendant, on sait du moins sur quels sujets PwC a eu à plancher depuis que le marché lui a été octroyé. Car l’UGAP barémise en unités d’œuvre les différents sujets sur lesquels les cabinets attributaires peuvent intervenir.
Chaque unité d’œuvre porte sur la définition d’une prestation, des tâches à réaliser et des livrables. Il y en a 16 sur le lot de conseil en stratégie du marché UGAP (voir notre tableau ci-dessous). À chaque unité d’œuvre est associé un niveau de difficulté (de simple à complexe). Ce niveau définit la rémunération à laquelle peuvent prétendre les consultants : 1 864 euros hors taxes pour une unité d’œuvre très simple ; simple, 3 821 euros ; moyen, 11 984 euros ; complexe, 23 114 euros, selon les chiffres que le président de l’UGAP avait communiqués au Sénat.
Toute la négociation porte sur le nombre d’unités d’œuvre à mobilier pour répondre aux sujets des clients. Dans le cas de PwC, sur la base de ces chiffres, avec 48 commandes, qui ont donné lieu à l’exécution de 84 unités d’œuvres, les honoraires facturés ont pu aller de 154 712 euros hors taxes à 1 918 462 euros hors taxes.
Au-delà, pas de son, pas d’image. Mais de l’humour ! Pour obtenir davantage d’informations, la direction juridique de l’UGAP invite Consultor à se tourner vers les clients qui s’adjoignent les services de consultants via son marché-cadre. Des clients dont l’UGAP ne donne pas le nom, malgré les relances de Consultor sur ce point. Également sollicité, PwC n’a pas souhaité apporter de précisions. Contacter des clients dont on n’a pas le nom : pas très commode.
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