La délicate intégration post-acquisition
Dans le conseil en stratégie, de nombreux acteurs ont fait le choix de procéder à des acquisitions ou des rapprochements ces dernières années (relire notre article).
Parmi les cibles achetées, citons Booz, Euclyd, Hemeria, GOV, OC&C, Monitor. Consultor a interrogé quelques acteurs côté vendeurs et acheteurs, et passé en revue ce qu’il est advenu des associés des cabinets rachetés depuis 2008 à Paris. Résultat des courses : de belles opportunités en interne, mais aussi des départs.
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« Je ne suis plus le même qu’il y a trois ans grâce au Boston Consulting Group. C’est la plus belle école du monde. Surtout, ils n’ont pas fait de moi un énième consultant, mais je suis resté un entrepreneur. »
Quand on interroge Bobby Demri sur sa nouvelle vie au sein du grand cabinet américain, le jeune trentenaire affiche un enthousiasme débordant et évoque une sorte de « consécration » pour la sortie de cette aventure entrepreneuriale.
Le défi de l’innovation pour les grands groupes
En 2013-2014, l’entrepreneur lance GOV, un outil de sondage participatif qui permettait aux Français de répondre à tout un tas de questions afin d’avoir une « image » de l’humeur du moment, une sorte de « météo de l’opinion ».
Lancée avec Pierre-Alexandre Teulié, un ex-Procter & Gamble devenu sous-préfet puis passé par le cabinet de Christine Lagarde au ministère de l’Économie (2007-2009), l’application retient l’attention des médias à l’occasion de la présidentielle de 2017.
Plusieurs instituts de sondages ainsi que trois grands cabinets de conseil s’intéressent de près au service. Fort de ce succès, le duo se décide à vendre l’outil technologique. Finalement, le Boston Consulting Group (BCG) l’emporte pour un montant non dévoilé. La signature se fait le jour des 30 ans de Bobby Demri qui intègre le cabinet de conseil en tant que directeur des solutions business, et emmène avec lui la moitié de son équipe. Pierre-Alexandre Teulié rejoint lui la direction générale de Nestlé.
Être racheté pour s’internationaliser
« Nous avons choisi de vendre pour permettre à l’entreprise de grandir et de se développer au niveau mondial », poursuit Bobby Demri. L’application se rebaptise Tuned By BCG et change de raison d’être.
Elle se transforme en service de change management et permet d’accompagner les salariés dans les transformations des entreprises suivies par le BCG. Deux ans après son arrivée, l’entrepreneur est promu en janvier 2020 directeur de l’innovation en charge notamment de la stratégie du développement de nouveaux produits numériques. Depuis, le BCG a procédé au rachat de l’Espagnol Kernel et de l’Australien The Simulation Group.
Pour lui, la vente de l’application GOV a permis d’accélérer son essor notamment à l’international partout où le groupe est présent. « Avoir accès au portefeuille clé de cabinets comme le BCG c’est inestimable. Ce qui est dur pour une start-up, c’est de réussir à changer d’échelle. Là on est aux premières loges », dit-il.
Si la vente du service à un géant du conseil a permis à la fois à GOV de prendre une tournure mondiale et à son cofondateur de rester en son sein, de l’acquérir et d’y être promu, nombre de rachats sont parfois plus compliqués ou plus longs.
Conserver l’autonomie de l’entreprise rachetée, une des clés
À l’instar de GOV, parmi la vingtaine de grosses opérations de croissance externe des acteurs historiques du conseil enregistrées par Consultor.fr depuis 2017 dans des domaines aussi variés que la data, le design ou le software, plusieurs se sont soldées par des mois voire des années d’intégration. Il faut dire que les fusions sont réputées difficiles dans ce monde du conseil où la valeur ajoutée réside dans les équipes.
Fin 2017, le cabinet de conseil Euclyd, spécialisé dans la transformation numérique et fondé par Claire Gourlier et l’ancien moine bénédictin Didier Long, se rapprochait du groupe de conseil en stratégie et management Kea & Partners. Objectif : faire en sorte que la joint-venture s’intègre totalement dans le groupe Kea sous trois ans.
Exercice plutôt réussi dans ce cas, en termes de rapidité du moins. « Finalement, nous sommes allés plus vite que prévu et avons terminé l’année passée », confie aujourd’hui Claire Gourlier. Et d’autres acquisitions devront probablement passer le test de l’intégration dans les années à venir.
Car, explique Claire Gourlier, « la stratégie “Darewin” du groupe Kea pour les cinq ans à venir repose à la fois sur de la croissance organique et de la croissance externe ». Pour la dirigeante devenue avec Didier Long senior partner à l’été 2019, l’intégration a été rendue plus facile, car le groupe a aussi laissé « l’autonomie de gestion nécessaire et une certaine marge de manœuvre à l’intérieur du pôle dans le respect des cultures de chacun ».
Départ ou promotion : le grand dilemme
Autre critère d’évaluation d’une intégration, le nombre des associés qui reste durablement à l’issue du rachat. Si les anciens associés d'OC&C désormais EY-Parthenon se montrent discrets vis-à-vis de leur ex-cabinet parce que la marque a été depuis relancée à Paris, des huit partners d’OC&C dans l’Hexagone au moment du rachat par EY-Parthenon, tous avaient rejoint le groupe et y sont encore. Seul Jean-Michel Cagin avait quitté le navire au printemps quelques semaines avant le rachat pour rejoindre Roland Berger.
Lorsque Booz & Company est absorbé par le géant PwC en 2014, l’objectif est « d’arrimer les cultures à un projet commun et une vision claire de l’avenir » comme le commente à l’époque le président de PwC en France Bernard Gainnier. L’entreprise est rebaptisée Strategy& et les associés de l’époque se retrouvent au siège du groupe à Neuilly-sur-Seine.
L’objectif est de garder le management, notamment grâce à de généreux bonus pour contraindre les forces vives à rester. « Un milliard de dollars, dont les deux tiers pour des retention packages très généreux de quatre ans », glissaient alors à Consultor des sources bien informées.
Si le directeur Olivier de Cointet a quitté le groupe tout de suite pour fonder Southpigalle, une solution de marketing cognitif, le partner Pierre Péladeau est encore là. Richard Parkin et Benoît Romac eux sont restés jusqu’en 2019 avant de plier bagage : le premier est aujourd’hui chez Arthur D. Little, le second a pris la présidence de Porsche Consulting.
Hemeria lui a été intégré à Oliver Wyman en 2008. À l’époque, le cabinet s’essouffle et le temps est venu de se « rapprocher » d’un autre acteur. Finalement, l’intégration s’avère compliquée. Les dix partners et cinq executive partners – dont le fondateur Bernard Birchler arrivé chez Bain en 2016 – sont tous partis quelques années après l’intégration.
Le rapprochement Monitor Deloitte n'avait pas été cataclysmique en termes de départs de partners hormis le patron du bureau Nitin Chaturvedi qui avait rapidement rejoint Bain où il est toujours partner à Londres.
Ce n'est que plus tard que plusieurs partners — arrivés après le rachat (relire nos articles ici et là) — avaient quitté l’équipe de partners constituée après le rachat du premier par le second.
Si ce nouvel ensemble avait bien agrandi ses équipes de consultants et réuni plusieurs principals des marques concurrentes les plus installées (relire notre article), des choix stratégiques avaient fait voler en éclats la bonne entente… et provoqué une crise inédite.
Pierre-Anthony Canovas
Crédit photo : alvin-mahmudov-unsplash.
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