Se spécialiser ? quand, comment et pourquoi
Quelques règles à retenir avant de débuter son parcours de consultant en stratégie si on a pour ambition de devenir THE spécialiste d’un sujet.
Deux évidences d’abord : la taille et l’activité du cabinet sont centrales pour avoir la latitude de se spécialiser. Ce n’est pas un débat possible dans une boutique monosectorielle. Seconde évidence : choisissez un sujet qui vous intéresse. Une règle non négociable ensuite : quasi aucune spécialisation avant le grade de manager. Enfin, une tendance de fond : la spécialisation reste une obligation si vous faites carrière dans le secteur et a même tendance à s’accélérer.
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Les transports pour Gilles Roucolle, partner d’Oliver Wyman à Paris, il est « tombé dedans quand il était petit », s’amuse-t-il, en souvenir de ses débuts dans le conseil, en 1996. Bien sûr, il n’a pas touché qu’aux transports, mais ces premiers projets ne l’ont plus quitté. Au point, plus tard, d’accepter tout de suite quand le CEO d’Oliver Wyman l’appelle pour lui proposer de prendre le rôle de responsable mondial de l’activité rail, road & logistics, puis plus tard la gestion du centre compétence mondial Opérations. Des fonctions globales qui l’amèneront à coordonner dans ce domaine jusqu’à 80 partners dans 25 bureaux du fait du large réseau Oliver Wyman dans le monde.
Un périmètre suffisamment large et une activité assez importante
Car, pour se spécialiser, encore faut-il qu’il y ait de la place pour le faire. C’est la règle numéro un de la spécialisation dans le conseil : que le cabinet ait des missions dans différents secteurs, ou propose différentes expertises fonctionnelles ou intervienne dans différents pays. En clair, le sujet de la spécialisation se pose peu ou pas dans des boutiques de quelques personnes qui interviennent dans un seul secteur.
« Le premier jour dans un cabinet de conseil en stratégie, vous pouvez décréter que vous ne ferez des missions que dans un seul domaine ou un seul endroit, mais encore faut-il que votre cabinet ait suffisamment d’activité dans le domaine ou l’endroit en question », rappelle Jonathan Goodman, le global managing partner de Monitor Deloitte.
Règle numéro deux de la spécialisation : qu’il y ait assez d’activité pour se spécialiser. Ce dont témoigne Franck Brault, senior partner de Simon-Kucher & Partner (SKP), global coleader de la practice construction et matériaux de construction qui coordonne aujourd’hui cinquante associés, directeurs et managers dans ce domaine.
Pareille spécialisation globale n’aurait pas du tout été possible à son commencement dans le cabinet, à Bonn en 1999. SKP comptait alors moins de 400 collaborateurs.
« Les practices sectorielles n’étaient pas aussi affirmées, hormis les life sciences qui avaient déjà des sous-segments pour les laboratoires pharmaceutiques ou les appareils médicaux. La spécialisation des consultants est directement corrélée à la taille et à l’activité du cabinet. Elle ne peut pas exister dans un bureau de quinze personnes, par exemple », dit-il.
Dans ce contexte, il reste plutôt généraliste jusque tardivement dans son parcours de manager, peu avant d’être nommé partner.
Bien sûr, encore une fois, la spécialisation dans les matériaux de construction n’est pas survenue par hasard. « Je n’avais pas de background spécifique à mon arrivée chez SKP, je venais de la R&D de chez Siemens et j’étais diplômé en électronique et informatique (EFREI 1997). J’ai découvert les matériaux de construction dont on peut penser que c’est un secteur très traditionnel et ennuyant, alors que les entreprises innovent en permanence. Mon goût pour la R&D a fait le reste et le fit a vite pris. Je vois certains de mes collègues s’éclater auprès de boîtes de la tech dans la Silicon Valley et dans la French Tech. In fine, c’est une question de goût ! »
Choisissez une spécialisation qui vous plaît
Règle numéro trois de la spécialisation : elle est affinitaire. Là encore, le bon sens doit être roi : consultants, si vous avez le choix, préférez des missions dont les sujets vous intéressent ! La spécialisation peut commencer à se dessiner dès le début de votre parcours dans un cabinet.
Même si la règle commune à la plupart des cabinets est de ne formellement spécialiser les consultants qu’à partir du grade de manager. Avant, tous donnent la priorité à l’exposition des consultants juniors à une pluralité de projets. « Nous faisons en sorte que les collaborateurs qui rejoignent Strategy& soient confrontés très rapidement à différentes industries et différents types de missions. Pour deux raisons : cela contribue à leur formation, cela leur permet de voir où vont leurs appétences », résume Habib Babadji, senior manager chez Strategy&.
« On ne peut pas attendre des undergrads (étudiants diplômés du premier cycle dans les universités nord-américaines, NDLR) qu’ils aient une vue claire du domaine dans lequel ils pourraient se spécialiser à leur arrivée dans le cabinet », appuie aussi Jonathan Goodman.
Le pivot du grade de manager
Un avant et un après manager : règle numéro quatre de la spécialisation. « Les premières années dans un cabinet de conseil en stratégie font office de tour d’horizon, durant lequel le consultant sera exposé à diverses industries et problématiques. Bien sûr qu’un consultant peut exprimer des souhaits de staffing. Mais si un consultant enchaîne plusieurs missions de stratégie par exemple, il incombe à nos équipes de gestion du capital humain de veiller à ce qu’il soit exposé aussi à des missions d’amélioration de la performan industrielle ou d'organisation. Nous mettons tout en œuvre pour former des profils business généralistes à même de prendre à bras-le-corps n’importe quel sujet », développe Marc-André Kamel, associé de Bain & Company, directeur du pôle mondial distribution et luxe du cabinet.
D’ailleurs, rares sont les jeunes diplômés qui sortent fraîchement des meilleures écoles de commerce et d’ingénieurs à vouloir se spécialiser rapidement alors qu’ils choisissent souvent le conseil en stratégie comme une sorte de classe prépa professionnelle d’élite et, surtout, généraliste et diverse.
Accélération de la spécialisation en début de parcours ?
Ceci dit, la tendance de fond serait à l’accélération de la spécialisation, selon Jonathan Goodman. « Depuis que j’ai commencé en 1986 chez Monitor, j’observe que les opportunités de spécialisation arrivent plus tôt, dès le grade de senior consultant. »
Une des raisons de cette accélération réside probablement dans les niveaux d’expertise croissants que les clients attendent des sociétés de conseil en stratégie. Les recrutements de nombreux profils seniors issus de l’industrie sont une bonne illustration. Chez Bain et Roland Berger, en 2018, un tiers des recrues visées portaient sur des profils seniors.
En creux, à la manière du Petit Poucet, un jeune consultant peut semer des cailloux dans des secteurs ou des fonctions qu’il apprécie. Toutefois, il ne lui sera pas possible d’en devenir formellement spécialiste avant un certain grade dans la hiérarchie des organigrammes.
Pour les autres, l’immense majorité, la spécialisation formelle intervient au passage au grade de manager. Chez Bain, on demande alors de se positionner sur une spécialisation principale et une spécialisation secondaire parmi les secteurs (défense, agroalimentaire, automobile, grande consommation…) et les fonctions (développement durable, stratégie, private equity…) couverts par le cabinet. Avec beaucoup de variations possibles : une fonction en principale, un secteur en secondaire, deux principales et une secondaire, etc.
La vie d’après
Quoi qu’il en soit, une fois ce choix fait, la vie de consultant en stratégie change beaucoup. « Les consultants sont staffés à 80 % sur ces sujets et intègrent une communauté de consultants au sein du cabinet qui ont le même domaine de spécialisation. » Une fois promu manager, fini le touche-à-tout structurel, vous êtes officiellement spécialiste d’un sujet donné et reconnu comme tel dans l’organigramme du cabinet. La vraie vie commence.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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