Emmanuel Straschnov : la révolution du code d’un ancien Roland Berger
Il l’avoue sans aucun problème, il « n’a jamais eu la vocation de devenir consultant ».
Emmanuel Straschnov, 35 ans, a travaillé trois ans au sein de Roland Berger en Chine, mais a troqué cette vie de consultant expatrié pour devenir entrepreneur. En 2012, il a cofondé la start-up Bubble, une entreprise qui entend simplifier le code.
Emmanuel Straschnov « était bon à l’école ». Tout simplement. Alors ce Normand d’origine a intégré une classe préparatoire et a rejoint Polytechnique en 2003.
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« À l’époque, j’avais un côté “très français” et je voulais être fonctionnaire pour servir l’État, être utile à la société. » C’est avec cet objectif en tête qu’il se tournera vers les Ponts et Chaussées.
« Mais avant de me consacrer à la fonction publique, je souhaitais voyager. Mes parents étaient sinophiles et sinologues, je me suis orienté naturellement vers la Chine. » En 2007, Emmanuel Straschnov approche tous les grands cabinets de conseil.
« Pour moi, c’était la meilleure façon de travailler dans une entreprise locale, de découvrir la culture chinoise et d’être sur un pied d’égalité avec un employé chinois. » Mais étant junior sans années d'expérience préalable en France, les refus se multiplient. « Le BCG m’a dit que ce n’était pas possible, McKinsey a refusé ma candidature après un entretien, les refus des cabinets étaient essentiellement dus au fait que je n'étais pas chinois. Les cabinets recrutent généralement localement. Roland Berger, finalement, s’est montré plus ouvert », témoigne le jeune homme.
Le conseil ? Une « business school en version accélérée »
« Charles-Édouard Bouée venait d’être nommé managing partner. Il s’est dit qu’un junior qui parle français et qui maîtrise assez bien le chinois, ce serait pratique à bien des égards. » Les missions se multiplient donc, « à 60 % très locales », dans des domaines aussi variés que les télécoms et la manufacture.
« J’y suis resté trois ans. J’ai alterné des missions pénibles et d’autres très sympas. Les missions les plus intéressantes à mon sens à cette époque étaient les missions locales, pour des entreprises chinoises. Par exemple, une étude sur les nouvelles énergies pour un gouvernement local dans le Shandong qui voulait lancer une zone de développement économique sur les énergies vertes ; une mission de branding pour un constructeur de téléphone portable local ; une mission sur le corporate pricing de China Mobile, etc. C'était pour moi une facon de découvrir la Chine corporate.»
Pour les moins sympas, il évoque « des due-diligences pour des fonds d'investissement car ces missions se passent essentiellement en intérieur, et exposent peu à la réalité locale. »
Une expérience qu’Emmanuel Straschnov compare à une « business school en version accélérée » même si, l’intégration a été difficile : « Je devais prouver que je pouvais apporter une valeur ajoutée à des clients locaux sans être chinois. »
Âgé de 25 ans et influencé par ses collègues, Emmanuel Straschnov se rend compte qu’il n’est pas prêt à revenir en France et à passer « d’une vie grisante à un bureau » dans la fonction publique. « J’ai postulé à un MBA à Harvard. » — sur les recommandations, là encore, de Charles-Édouard Bouée, lui aussi un alumni de la prestigieuse université.
« Les fichiers Excel jusqu’à 3 heures du matin, ce n’était pas mon truc »
« Arrivé aux États-Unis, je suis reparti de zéro et je me suis rendu compte que je n’avais pas d’intérêt pour la finance, que ça m’embêtait même. Les fichiers Excel jusqu’à 3 heures du matin, ce n’était pas mon truc. » Pour un stage, le Français se laisse tenter par l’univers du luxe « pour tester » et enfile les costumes de consultant personnel du PDG de Prada.
Son supérieur compte partir et lui fait comprendre que ce n’est pas forcément le meilleur endroit où apprendre. « J’ai cru que j’avais trouvé ma voie. J’ai étudié l’opportunité de lancer une entreprise de luxe, avec une amie. » Sauf à être designer soi-même, l'intérêt pour le secteur fait long feu. Resterait alors de développer un site web pour une entreprise de luxe.
Là, le jeune homme se rend vite compte que ce qui l’intéresse au fond n’est pas tant le monde du luxe mais plutôt le software. « Mes premières amours, sourit le jeune homme. En Normandie déjà, vers 13 ans, je codais. Je vendais des logiciels sur disquettes à mes camarades pour qu’ils retiennent leur vocabulaire d’allemand. »
« Le code peut dégoûter les jeunes de l’informatique »
Diplômé, le jeune homme va et vient entre Boston, San Francisco et New York. Il noue des liens avec plusieurs représentants de start-up, jusqu’à ce qu’on lui propose un emploi dans la Grosse Pomme en juin 2012. « J’étais prêt à accepter le job, et la veille, une amie me présente Joshua Haas, un Américain, né dans la Silicon Valley, qui avait une vision du code et un projet en tête. » Il se souvient : « Littéralement, on a bu un café et on s’est associé juste après notre entretien. »
C’est comme ça qu’est né Bubble. Le duo travaille d’arrache-pied pendant cinq ans avec comme leitmotiv, la simplification du code. Emmanuel Straschnov s’explique : « On devrait pouvoir créer des logiciels via une interface sans taper du code, décentraliser le pouvoir de création. »
Et c’est ce que propose la start-up : créer des sites Web et des applications en imbriquant des éléments sans manipuler des lignes de code. Les employés de Bubble s’en chargent à la place des utilisateurs. « Tout le monde n’a pas envie de regarder un écran noir avec des milliers de chiffres blancs qui s’affichent. C’est déprimant. Il faut un niveau d’attention, d’introspection qui n’est pas donné à tous. Comme le solfège peut rebuter de la musique, le code peut dégoûter les jeunes de l’informatique. »
« C’est dangereux de dire qu’on ne peut pas trouver de travail si on ne sait pas coder »
Lorsqu’il entend certains politiques ou hommes d’affaires issus du monde de la tech assurer qu’aujourd’hui, « sans code point de salut », Emmanuel Straschnov a peur.
« C’est très bien de sensibiliser aux problèmes digitaux et numériques, mais c’est dangereux de dire qu’on ne peut pas trouver de travail si on ne sait pas coder. » Avec 220 000 utilisateurs, un « chiffre d’affaires qui double chaque année », Bubble se fait une place dans le paysage de la tech. « Mais nous ne sommes pas encore un standard », regrette Emmanuel Straschnov. Il n’hésite pourtant pas à voir très grand : « Si on fait bien les choses, on pourra être aussi important que Facebook. »
Il y a cinq ans, il n’était pas question de lever des fonds. « Il ne fallait pas aller trop vite. La difficulté et le temps de développement de notre produit n’étaient pas compatibles avec le rythme qu’impose une levée de fonds. » Aujourd’hui, avec une communauté de 130 000 usagers, les fondateurs de Bubble y pensent. La start-up emploie huit personnes, dont une ancienne consultante.
Les consultants : des clients tout trouvés
« Car le conseil forme des gens structurés », reconnaît Emmanuel Straschnov, qui enchaîne en notant que, de fait, c’est aussi une cible intéressante pour Bubble. « Un consultant est un candidat parfait : il est intelligent, il cherche un côté visuel, il sait utiliser PowerPoint et Excel mais ne peut pas coder. »
Emmanuel Straschnov qui, jadis lisait Marx « par intérêt philosophique et économique », ne perd pas le Nord sur les possibilités du marché. Il assure tout de même garder l'envie d’apporter une pierre à l’édifice. En démocratisant le code, son ambition première d’être utile à la société reste présente « en simplifiant l’usage de l’outil, en rendant plus accessible la création de technologie », conclut Emmanuel Straschnov.
Par rapport au secteur public envisagé au début de sa carrière, « Le moyen est différent mais si on fait quelque chose de bien, autant le partager. Et puis, l’effet levier de la tech est bien plus important que celui de la fonction publique. L’impact que l’on peut avoir est très fort. »
Audrey Fisné pour Consultor.fr
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