Rencontres d’Aix : « C’est plus facile de faire du commercial à Roland-Garros qu’à Aix ! »
Elles sont aujourd’hui surnommées le Davos français. Créées en 1992, les Rencontres économiques d’Aix, qui se déroulent historiquement début juillet, ont depuis quelques années gagné leurs lettres de noblesse. Six cabinets de conseil suivis par Consultor (Bain, Kéa, PMP Strategy, McKinsey, Accuracy et le BCG) étaient présents cette année, déplaçant des équipes conséquentes, et en premier lieu leurs chef(fe)s d’orchestre. Des rencontres où il fait bon d’être…
« Pendant 3 jours, le Parc Jourdan d’Aix-en-Provence devient le centre du débat économique et social en Europe », annoncent les organisateurs. Pas moins ! Il y aurait donc deux événements européens économiques majeurs, Davos l’hiver, le « grand frère » ultra formel, ultra select, à portée mondiale, où les gros cabinets paient un méga ticket d’entrée pour être adhérents invités (de 40 à 400 000 € par an), et les Rencontres d’Aix, l’été, à portée plus européenne, même si largement ouvertes à l’international avec 47 pays représentés, qui s’affichent plus accessibles à tous points de vue (même si les tarifs ne sont pas partagés officiellement), dans un cadre « au vert » qui se veut informel. « C’est indéniablement un lieu où le ton est sympathique. Ce n’est pas collet monté, tout se fait dans la bonne humeur et la simplicité. On croise plein de gens à la buvette, c’est à la bonne franquette, tout en parlant de sujets sérieux. C’est ce qu’a souhaité le fondateur Jean-Hervé Lorenzi », témoigne Sophie Combes, partner de Kéa.
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Tous les ans, les cabinets de conseil en stratégie les plus prestigieux du monde jouent des coudes pour se faire une place à LA réunion mondiale des élites économiques. Un rendez-vous préparé des mois à l’avance. Plongée dans une des semaines les plus intenses de l’année sur la planète conseil.
Un parterre de guests
Depuis quelques années, cet événement, créé donc par l’économiste et dirigeant d’entreprises Jean-Hervé Lorenzi, organisé par le Cercle des économistes qu’il avait fondé pour l’occasion – une trentaine d’économistes et d’universitaires aujourd’hui –, a su attirer le gratin économico-financier français et international : quelque 380 intervenants (dirigeants institutionnels internationaux, chefs d’entreprises, chefs d’état et de gouvernement, universitaires, représentants syndicaux, acteurs du monde associatif), 7000 participants pour cette édition qui présentait sur 3 jours 67 sessions et débats…
Pour cette 23e édition, au tableau des guests, il y avait notamment Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, Pierre-Olivier Gourinchas, directeur des études du FMI, l’ex-Premier ministre Édouard Philippe, Michel Barnier, ancien ministre et ancien commissaire européen, Laurence Boone, secrétaire d’État chargée de l’Europe, et une belle vitrine des dirigeants et dirigeantes des grandes entreprises françaises et start-ups qui ont le vent en poupe. « Pour nous, en France, Aix est devenue l’endroit où il y a une représentation exceptionnelle de la société, avec par typologies de personnes et de thématiques : des membres de gouvernements actuels et passés, de grands patrons français et internationaux, d’institutionnels et d’académiques », pointe Sophie Combes de Kéa. Mais tout cela, en toute décontraction… Les débats s’organisent sous des chapiteaux montés pour l’occasion, où la température a largement grimpé, et où comme le souligne un associé d’un autre cabinet en off, « l’ambiance est de fait toute particulière, nous quittons nos personnages et nos habits habituels, comme tous nos confrères et l’ensemble des participants, et cela change totalement les rapports. Mais nous n’y allons pas pour autant en touristes, mais pour apporter une véritable contribution au débat public ».
Des task forces missionnées par les cabinets
Cinq cabinets de conseil en stratégie ont donc décidé d’être partie prenante pour faire partie de ce prestigieux panel d’intervenants : McKinsey (et en premier lieu sa managing partner France, Clarisse Magnin-Mallez), Bain & Company (dont la DG France, Ada di Marzo, participante de la table ronde « Récession : évitée ou différée ? »), le BCG (dont deux d’entre eux pour participer aux débats, Olivier Scalabre, patron France, et Sylvain Duranton, global leader BCG X), mais aussi Accuracy (plusieurs années déjà de présence comme spectateur pour ce cabinet strat/finances, une première comme intervenant) et Kéa (depuis 2 ans). Et l’on n’a pas rechigné sur la task force à envoyer sur place durant les 3 jours, a minima une demi-douzaine, les patron(ne)s du cabinet comme tête de pont. Des partners-volontaires choisis avec des expertises complémentaires pour « couvrir » un maximum de sujets abordés sur la thématique 2023, « Recréer l’espoir ». « Cette année, notre associé Sébastien Gonnet, qui a beaucoup travaillé sur la fiscalité des Gafams, a participé à un panel sur la justice fiscale et contribué en amont aux travaux du Cercle des économistes. Toute l’année, nous apportons des éclairages pour nos clients qui se trouvent dans des situations à fort enjeu ; à ce titre, nous avons inévitablement un rôle de vigie sur la situation économique et industrielle », partage David Chollet d’Accuracy. Et, comme le pointe un autre associé anonymement, « ce qui est intéressant, c’est que les sujets abordés ne sont pas des sujets “vanille” classiques où l’on n’apprend pas grand-chose, mais les infos et les messages permettent vraiment de préparer les sujets de demain. » Côté Kéa, pas moins de 10 associés, dont Arnaud Gangloff, le PDG, sont venus à Aix durant ces 3 jours, les plus experts en fonction des thématiques. Une façon pour ces ambassadeurs de Kéa de prendre le pouls d’une réalité à laquelle la partner Sophie Combes reconnaît parfois ne plus avoir accès. « Nous avons tendance à avoir des clients qui nous ressemblent. Cela nous permet de prendre conscience que le chemin est encore long vers une économie souhaitable, car une partie des entreprises pense encore le business as usual. Cela nous permet aussi d’alimenter nos réflexions sur les différentes thématiques. »
Le partenariat, une vitrine
Comme à Davos, il y a un ticket d’entrée à payer (non public, les organisateurs n’ont pas répondu à nos sollicitations) pour faire partie des catégories « partenaire » (McKinsey, le BCG, aux côtés d’une vingtaine de grosses sociétés, Axa, la Caisse des Dépôts, Safran, Saint-Gobain, Airbus…) et « soutien » (quelque 80 entreprises, dont Bain, Kéa et Accuracy). Des sésames pour donner le droit d’intervenir lors d’un ou deux débats (selon le type de partenariat). Une belle visibilité, pas plus, pas moins, selon l’associé qui souhaite rester discret. « Nous ne sommes pas là pour faire du marketing ni du commercial, c’est plus facile d’en faire à Roland-Garros qu’à Aix, le networking n’est pas le sujet non plus. Il y a tellement de monde que la question se pose effectivement de savoir ce qu’il se passe si nous ne sommes pas présents. Une chose est sûre. Cela fait aujourd’hui partie des moments clefs du calendrier de notre cabinet. » Pour Kéa, le débat (« La RSE : du mirage à la réalité ») auquel participait Arnaud Gangloff (aux côtés d’Axelle Lemaire, ex-secrétaire d’État, qui a quitté en juin le comex de la Croix-Rouge française, et du DG de Groupama, Thierry Martel) était avant tout l’occasion d’échanger sur un sujet-cœur du cabinet. « Nous sommes des optimistes de combat. Notre engagement est de ne pas désespérer, d’être le ferment de nouveaux business models, d’apporter des preuves que c’est possible. En tant que société à mission, nous devons jouer un rôle positif dans la conjugaison entre performances économiques et la contribution au bien commun. Cette thématique est clef pour nous, et les Rencontres d’Aix nous permettent de porter nos convictions », souligne Sophie Combes de Kéa. La justice fiscale était au menu d’Accuracy, qui a missionné le partner dédié Sébastien Gonnet sur le sujet. « Accuracy a toujours eu une culture de la discrétion. Bien sûr, nous profitons de cette occasion pour rencontrer beaucoup de monde, mais c’est surtout cette contribution sur le fond qui était importante pour nous », assure un autre partner présent, David Chollet.
Le visiteur PMP Strategy
L’investissement a été quelque peu différent pour PMP Strategy. Quatre partners – Marie-Sophie Houis-Valletoux, service Financiers – spécialisée Assurances, Philippe Curt, Culture-Média et Digital, Maurice Cautela, Digital et Capital Client –, s’y sont rendus en visiteurs, portés par le premier d’entre eux, le managing partner Gilles Vaqué, qui a déjà assisté aux rencontres « 3 ou 4 fois à titre personnel, parce que c’est un moment où je lève enfin la tête, je prends le temps, c’est un bol d’air qui traite de vrais et bons sujets avec des intervenants de bon niveau ». Un cabinet qui se dit très proche du Cercle des Économistes, organisateur de l’événement, et dont l’un d’entre eux, Christian de Boissieu (un CV pour le moins fourni d’expert en questions monétaires et bancaires, ancien conseiller économique auprès de banques et fonds d’investissements, membre du Collège de l’Autorité des marchés financiers en 2011 et professeur émérite d’économie à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne), arrive comme senior advisor chez PMP Strategy. Pour l’équipe du cabinet, sans intervention directe en débat, il s’agissait donc à la fois d’assister aux conférences les plus impactantes et organiser sur place des rencontres informelles. « À Aix, nous avons le temps de prendre un café pour échanger des idées, prendre le temps. Nous ne sommes pas là pour voir nos clients habituels avec lesquels nous avons une relation proche. L’idée est de voir des connaissances de nos clients, reconnecter avec d’anciens du réseau, les découvertes sont nombreuses », rapporte Gilles Vaqué.
Une comm’ Aix à la pelle
Un focus économique international de 3 jours sur lequel les cabinets présents ont aussi profité pour communiquer largement sur les réseaux sociaux, notamment le PDG de Kéa, Arnaud Gangloff. « Aux rencontres économiques d’Aix, séquence passionnante sur la réconciliation de l’économie et de la politique. Table ronde la plus suivie du week-end !!! Valérie Pécresse, Antoine Frérot, Édouard Philippe. » Idem pour Bain qui a notamment teasé sur le débat auquel participait sa DG. « Nous sommes ravis d’annoncer notre participation aux Rencontres économiques d’Aix ! Nous sommes fiers d’être partenaires de cette 23e édition, centrée sur le thème de “Recréer l’espoir”. Ne manquez pas Ada Di Marzo, directrice générale de Bain & Company France à la table ronde “Récession : évitée ou différée ?” » Chez McKinsey, c’est la cheffe en personne, Clarisse Magnin-Mallez, qui s’est pliée à l’exercice comm’ sur son compte LinkedIn. « Il existe un chemin de crête pour concilier les objectifs de décarbonation de l’Union européenne à horizon 2050, et sa prospérité économique. Mais la guerre en Ukraine soumet cette trajectoire à des vents contraires, et a exposé les vulnérabilités de l’Europe sur des ressources critiques. Si, à l’évidence, une partie des cartes se trouvent rebattues, plusieurs approches peuvent dès aujourd’hui être envisagées. J’aurai le plaisir d’aborder ces enjeux cruciaux, en participant à la session “Répondre à l’urgence écologique” », a annoncé de son côté la managing partner France de McKinsey. Le cabinet Accuracy a, lui, en plus réalisé un podcast dédié de cinq épisodes…
Être présent, ne pas être présent, telle est la question
380 participants, 7000 visiteurs, les cabinets arrivent-ils à se distinguer dans cette masse de l’élite internationale ? « Les retombées directes sont difficiles à estimer. Mais c’est sympa de retrouver des clients dans un cadre informel dans un autre contexte et d’échanger sur des sujets beaucoup plus larges », convient Sophie Combes de Kéa. L’intérêt majeur de ces rencontres aux yeux de l’ensemble des partners présents interrogés : écouter les messages des préoccupations des acteurs privés et publics, du monde politique et économique, « une vingtaine de sujets sur lesquels nous allons faire nos devoirs de vacances », comme en sourit le partner anonyme, « le networking n’est pas le sujet. Il y a tellement de monde que la question se pose effectivement de savoir ce qu’il se passe si nous ne sommes pas présents. Une chose est sûre. Cela fait aujourd’hui partie des moments clefs du calendrier de notre cabinet ». Côté PMP Strategy, également très actif sur des rendez-vous sectoriels internationaux, assurances, télécom bien sûr, PE, fonds, énergie, CFO, « plus transactionnels, on sort de là moins bousculés qu’à Aix, c’est plus convenu ». Les Rencontres d’Aix se distinguent donc et être présent s’avère nécessaire. « À titre personnel, c’est comme une retraite », reconnaît même le patron du cabinet, Gilles Vaqué.
Quid de Davos, le grand frère select ? On y pense aussi du côté des cabinets devenus aficionados d’Aix. « La question peut se poser d’y participer. Pour nous, le sujet n’est vraiment pas de mettre de gros moyens. C’est plutôt d’inviter sur les panels les personnes les plus pertinentes et de contribuer réellement sur le fond », avance l’associé anonyme. Kéa a fait pour l’instant le choix de ne pas se positionner sur Davos, « on ira un jour », mais qui a privilégié un autre réseau, l’Institut Montaigne, où le cabinet s’est impliqué depuis le printemps dernier, devenu lui aussi un haut lieu de networking pour les cabinets de conseil en stratégie. La gouvernance d’Accuracy, de son côté, a pour l’instant décidé de se positionner sur d’autres grands événements. « Nous participons à de nombreux événements en France et à l’étranger. Le cabinet était présent à l’Asian Financial Forum qui s’est déroulé à Hong Kong en début d’année, nous contribuons à l’IPEM (sur le private equity) qui a lieu à Paris en septembre, nous participons à la COP 28 à Dubaï fin novembre, avec toujours cette ambition d’avoir une contribution réelle sur le fond », précise le partner David Chollet.
Une chose est sûre. Les cabinets intervenants ont bien l’intention de pérenniser leur présence à ce « Davos à la française ». Faire sa place au soleil d’Aix avant que toujours plus de cabinets concurrents « découvrent » l’intérêt de ces rencontres. Le rendez-vous est déjà pris pour l’année prochaine, dans l’idée aussi de réaliser une rotation des associés volontaires.
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commentaires (1)
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Un nouveau barème de couleurs commence à fleurir sur les CV des consultants McKinsey. À quoi correspond ce système d’unification des « niveaux d’impact » individuels, précisément ?
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La crise sanitaire l’a montré : c’est possible. Mais est-ce souhaitable ? Dans le conseil en stratégie, le télétravail suscite depuis 4 ans des annonces régulières d’un « retour au bureau », comme dans beaucoup de professions intellectuelles supérieures. La réalité est plus nuancée.
- 02/09/24
Première femme indienne à avoir été élue partner chez McKinsey en 1985, Chandrika Tandon fait résonner sa voix dans de multiples domaines.
- 29/08/24
A 37 ans, Paul Ricard, partner d’Oliver Wyman aux US, vient de se voir confier un challenge d’envergure : prendre la tête de la practice assurance et gestion d'actifs pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique à Singapour. Particularité de ce Français né dans l’Aveyron, consultant de la firme depuis 2011 : il a, durant ces 14 années, évolué uniquement hors de France : aux US, dans les bureaux de New-York puis de San Francisco.
- 19/07/24
Plusieurs cabinets de conseil en stratégie accompagnent leurs consultants désireux de suivre des formations certifiantes. Dans quel contexte, et pour quels bénéfices ?
- 16/07/24
Selon les senior partners de Kéa, Arnaud Gangloff et Angelos Souriadakis, le métier de consultant en stratégie a profondément muté ces dernières années.
- 16/02/24
Les coûts et les gains de productivité induits par l’intelligence artificielle vont-ils conduire à une refonte des modèles de tarification des missions de conseil en stratégie et une évolution de la relation aux acheteurs ? Pour certains, que nenni. Pour d’autres, évidemment. Entre deux, plusieurs cabinets s’interrogent.
- 26/01/24
Chacun sa route, chacun son chemin, chacun la mission de conseil qui lui convient ? Si cette envie de satisfaire les consultants dans les attributions de clients et de sujets entre les consultants des cabinets de conseil en stratégie peut paraître tentante, sa mise en œuvre est beaucoup plus nuancée.
- 11/01/24
Pas un jour ne passe sans qu’un nouvel usage, un nouveau partenariat ou une nouvelle promesse n’émerge en ce qui concerne l’intelligence artificielle dans le conseil en stratégie. Comment prévenir les erreurs, garantir la confidentialité des données clients et former adéquatement sans mettre en péril les modèles des cabinets ? Consultor a interrogé différents consultants de la place à ce sujet.