Davos : « Il ne faut pas y aller pour rester dans sa chambre d’hôtel »
Tous les ans, les cabinets de conseil en stratégie les plus prestigieux du monde jouent des coudes pour se faire une place à LA réunion mondiale des élites économiques. Un rendez-vous préparé des mois à l’avance. Plongée dans une des semaines les plus intenses de l’année sur la planète conseil.
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Lundi 16 janvier 2023, premier jour du 53e forum économique mondial de Davos – le premier à sa période hivernale traditionnelle depuis 3 ans (l’édition 2021 avait été reportée à mai 2022).
Dans un avion au départ de Paris pour Zurich, un groupe de partners de cabinets de conseil en stratégie parisiens. Destination finale : Davos, station de ski de Suisse alémanique, non loin de Zurich, où le gotha des décideurs du monde entier se réunit une fois par an depuis 1971.
Ce voyage groupé est très symptomatique du niveau d’investissement de ces cabinets dans l’organisation et l’animation du rendez-vous annuel des chefs de gouvernements, des dirigeants d’entreprise et la société civile, des médias, des universités.
Car si chacun sait que Davos voit défiler un paquet de chefs d’État, ainsi que la plus forte concentration de CEO au monde, 600 cette année, l’aréopage de consultants dans leur sillage est, lui, moins identifié.
Il est pourtant omniprésent. Cette année encore, McKinsey, le Boston Consulting Group, Bain and Company, Oliver Wyman n’avaient pas mégoté quant à la taille de leur délégation. Les patrons mondiaux au premier chef : Bob Sternfels (McKinsey), Rich Lesser (BCG), Manny Maceda (Bain), Nick Studer (Oliver Wyman), ils étaient tous là.
Nombre de partners français avaient également fait le déplacement aux côtés de leurs homologues d’autres bureaux internationaux : Clarisse Magnin-Mallez, la patronne de McKinsey en France, un quatuor de partners de Bain Europe ou France (Domenico Azzarello, Marc-Andre Kamel, Camille Goossens ou Loic Plantevin) ou Sylvain Duranton monsieur intelligence artificielle du BCG dans le monde et qui est basé dans la capitale française.
« Du speed dating business sous stéroïdes »
Pourquoi pareille démonstration de force ? Un mélange de prestige – si vous voulez jouer en L1 de l’économie mondiale, Davos, il faut y être, point – et de réseautage super intense avec le gotha des dirigeants privés et publics. « Du speed dating business sous stéroïdes », comme dit Enno de Boer, senior partner, patron monde des sujets techno chez McKinsey. Il est aussi chaperon de deux clubs ou réseaux thématiques internes au Forum économique mondial : l’un sur les technologies de la 4e révolution industrielle et l’autre sur le futur de la production.
Ce verbiage business, dont seuls les pince-fesses de ce niveau ont le secret, est très emblématique de ce que les cabinets de conseil en stratégie et leurs partners viennent faire à Davos : montrer leurs muscles, à savoir l’étendue de leur capital intellectuel, et en retour prendre le pouls de ce qui préoccupe leurs actuels ou futurs clients.
Ils déploient pour ce faire une avalanche d’analyses et de mots-clés, résilience, mondialisation, durabilité, inclusion, transition énergétique, décarbonation, distillés dans force rapports, vidéos, keynotes, hashtags (#BCGatDavos par exemple) ou passages médias.
Chacun des cabinets présents pousse ses idées et ses collaborateurs selon un séquençage minuté.
Chez Oliver Wyman, des agendas hebdomadaires calés à la demi-heure
Pour Oliver Wyman, il y a d’abord le panorama mondial des risques réalisé pour le Forum économique mondial par la maison-mère du cabinet, Marsh McLennan. Il est publié traditionnellement quelques jours avant l’ouverture de Davos.
Puis, pendant la semaine, plusieurs événements. Un petit déjeuner le mardi matin pour présenter les résultats d’un sondage de 150 000 jeunes de la génération Z sur leur manière de consommer. De quoi intéresser les 70 dirigeants de multinationales de la grande conso qui avaient notamment été conviés à la présentation des résultats.
Le lendemain, un déjeuner. Le cabinet avait, cette fois, fait venir plusieurs dizaines d’acteurs financiers, d’analystes et d’énergéticiens sur le sujet du financement de la transition énergétique.
Le jeudi, au tour des géants de la pharma de discuter autour d’Oliver Wyman des leviers qu’ils pourraient actionner pour réinstaurer de la confiance dans les systèmes de santé – les Big Pharma en Europe et aux États-Unis ayant une bien piètre image dans les opinions.
S’y ajoute une session sur le travail pro bono du cabinet auprès du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies sur la réduction de la déforestation dans les camps de réfugiés.
Des mois de préparation
Tout ce programme mobilise beaucoup de ressources. Chez Oliver Wyman, une centaine de personnes s’y consacrent de près ou de loin plusieurs mois en amont. Une période pendant laquelle un comité interne dédié à Davos décide des sujets qui seront portés par le cabinet lors de la prochaine édition, des événements qu’il organisera et de l’équipe qui s’y rendra.
Environ une vingtaine de personnes viennent sur place : des partners, des consultants, des personnes du marketing et des gens dédiés à la logistique habitués à travailler avec les hôteliers de la station de ski.
Sans parler de l’argent sonnant et trébuchant investi dans la présence de l’entreprise au forum : motus à ce sujet, mais le ticket d’entrée est très significatif. Il explique que seuls les plus gros cabinets de conseil peuvent s’afficher à Davos.
Opération réseautage
Un des moments cruciaux de cette préparation tombe souvent mal, en plein milieu des fêtes de Noël : c’est traditionnellement la période à laquelle le Forum économique mondial communique la liste complète des participants. Autant dire le cœur du réacteur de pourquoi il est nécessaire de venir à Davos : les gens que l’on peut y voir.
Acha Leke, senior partner et président de McKinsey en Afrique, se souvient avoir eu « parmi les meilleures conversations informelles de [sa] carrière avec des dirigeants incroyables lors des événements d’après-dîner ».
« Participer à un tel événement permet de rencontrer de nombreux dirigeants en un temps record, ce qui aurait normalement dû prendre plusieurs semaines », indique également Gilles Roucolle, managing partner Europe chez Oliver Wyman, qui était présent à Davos toute la semaine.
Ce networking est à flux tendus. Il se fait dans l’enceinte du centre de conférence de Davos, où ont lieu à proprement parler les séances plénières, les dates ou les keynotes, et où seuls les badges les plus sélectifs donnent accès. Mais il a également lieu dans les rues du village qui mutent en allées de stands d’entreprises.
En bref, comme tout festivalier qui se respecte, il faut savoir jouer sur le in et le off : « Il ne faut pas aller à Davos pour rester dans sa chambre d’hôtel. Je ne saurais pas vous dire combien de rendez-vous j’ai eus. C’est non-stop du lundi au vendredi », se souvient Gilles Roucolle.
En effet, le programme fut dense : une heure avec des dirigeants d’un grand acteur des transports basé à Hong Kong, une directrice de la stratégie d’une grosse start-up de la Silicon Valley… et ainsi de suite tout au long du forum.
Avec, à la clé bien sûr, la promesse de contacts futurs avec les partners présents ou d’autres dans d’autres bureaux du cabinet qui prendront le relais à l’issue du forum. Le retour sur investissement recherché est bien celui-là : de nouveaux projets et des honoraires futurs.
Pas de chiffres non plus à ce sujet : les retombées tangibles et intangibles doivent en tout cas être suffisamment importantes pour que les cabinets de conseil reviennent année après année, quand bien même Davos pâtit d’une réputation sulfureuse comme repaire d’un capitalisme nauséabond et destructeur.
Cette réputation ne refroidit pas, peut-être aussi du fait des engagements du forum en faveur d’un capitalisme plus vertueux. Du moins, dans les équipes d’Oliver Wyman, c’est une habitude : en partant chaque année, les consultants réservent leurs chambres d’hôtel pour l’année suivante. Elles seraient sinon prises d’assaut.
Il ne s’agirait pas de loger loin du village, ce qui ferait perdre tout l’intérêt du voyage, ou, pire, de perdre sa place.
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