Recrutement : la cooptation, ce vivier bis sous-exploité
Entre 15 et 25 % en moyenne des candidats – seulement ! – se feraient coopter lors du process de recrutement dans les cabinets de conseil en strat’. Qu’un consultant en poste pousse une candidature n’est donc pas si fréquent. Contrairement au classique et usuel « envoi de CV », la cooptation ne rentre, en fait, pas dans une démarche structurée dans les cabinets. Cela se passe plutôt à vau-l’eau.
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Étonnant, puisque cette méthode se révèle très efficace, aux dires même de tous les acteurs interrogés, quand bien même le marché du recrutement est pour l'heure globalement déprimé du fait du covid-19. Il n’y aurait que des avantages dans cette démarche, de l’aveu même des recruteurs, tant pour les cabinets que pour les candidats.
S’il est très largement plébiscité par l’ensemble des cabinets, le principe de cooptation est pourtant diversement mis en place dans le conseil en strat’ : moins de 10 % et jusqu’à 40 % de cooptations dans les trois cabinets interviewés.
Chez Vertone par exemple, sur la trentaine de recrutements par an, moins de 10 % se font par cooptation « C’est peu. Comme tout dispositif de communication, il faut le faire connaître en interne et le faire vivre. Nous l’intégrons depuis peu dans notre newsletter hebdomadaire du recrutement. Quand la cooptation est mise en avant auprès de nos collaborateurs, cela fonctionne », reconnaît Raphaël Butruille, partner du cabinet Vertone.
Le taux monte à 25 % pour L.E.K. Consulting, et même entre 35 et 45 % de la quarantaine de recrutements annuels chez Advancy. « Au début, la cooptation était même plus importante, aujourd’hui le flux naturel devient vraiment élevé », pointe Annabelle Dazy, la responsable RH d’Advancy.
Le taux moyen dans l’ensemble des cabinets tournerait entre 15 et 20 %, selon Dounia Boulaakoul, consultante chez Simon-Kucher entre 2017 et 2020, fondatrice de PeerLink qui propose depuis peu une e-solution de cooptation, entre autres, aux cabinets de conseil.
La cooptation, un sésame ?
Pourtant, la cooptation, ça marche ! Car le taux de conversion de la candidature s’avère beaucoup plus élevé d’après Dounia Boulaakoul : un sur dix par cooptation contre un sur cent par simple envoi de CV.
Que ce soit par une connaissance directe interne, via un alumni d’une grande école ou une rencontre lors d’un événement, les candidats ont donc tout intérêt à être cooptés par un consultant en poste.
La RH d’Advancy, Annabelle Dazy, atteste que les cooptés sont deux fois plus recrutés que la moyenne dans son cabinet, et ce, pour une raison simple. « Les candidats sont mieux présélectionnés et l’accompagnement, plus personnalisé, rassure les candidats et désacralise les entretiens. Car la cooptation ne modifie en rien le processus des entretiens qui ont lieu de la même manière. »
Le partner de Vertone, Raphaël Butruille, sans avancer de ratio, accorde que ce process est aussi qualitatif que via un chasseur de têtes. En revanche, chez L.E.K., les chances de succès supplémentaires des cooptés ne sont pas établies. Le seul « cadeau » pour ces candidats est la garantie d’être reçus pour un premier tour d’entretien physique.
À chacun ses cooptés
Autre surprise : les cabinets ne recherchent pas les mêmes profils via cette démarche. Vertone, qui ne rencontre aucune difficulté pour recruter des juniors, privilégie ce canal-là pour les consultants de plus de deux années d’expérience.
À l’inverse, L.E.K. et Advancy privilégient ce système pour les jeunes diplômés ; la cooptation pour les seniors étant plus marginale. « Ceux qui cooptent sont plutôt les jeunes consultants qui ont entre zéro et trois ans d’expérience et encore un bon réseau dans leurs anciennes écoles avec des profils identiques aux leurs. Ils connaissent les candidats recherchés et quels savoir-être sont importants pour notre cabinet. Ils ont un rôle d’ambassadeur », confirme Annabelle Dazy, la RH d’Advancy.
Que des avantages…
Si les cabinets ont du mal à le mettre en avant, l’un des gros avantages est bien sûr financier, bien moins cher que les chasseurs de têtes qui coûtent aux cabinets entre 15 et 20 % du salaire brut annuel du recruté (relire notre article sur la « chasse »).
Pour le partner de Vertone, Raphaël Butruille, l’avantage n° 1 de la cooptation est humain, permettant ainsi d’avoir un regard supplémentaire avisé et extérieur. « Lors des quatre ou cinq entretiens, nous avons l’avis de quelqu’un qui connaît le candidat, qui l’a vu travailler. Les dimensions de l’engagement et de la fiabilité sont ainsi plus faciles à identifier. C’est un moyen d’avoir des candidatures de meilleure qualité. »
Ce que confirme Annabelle Dazy, chez Advancy : « C’est une façon d’avoir des insights sur le candidat et des petits tips de la part de quelqu’un qui connaît déjà le candidat. De son côté, le candidat est un peu coaché sur notre culture. »
Head of RH de L.E.K. Consulting, Imane Thomas y voit un autre atout, d’ordre managérial : « Les collaborateurs coopteurs voient qu’ils ont un réel impact sur le recrutement du cabinet. » Une présélection « de luxe » donc de la part des consultants pour des cabinets en forte demande de soft skills.
Pour l’ancienne consultante Dounia Boulaakoul, la cooptation est la solution idéale pour avoir accès aux viviers des réseaux des consultants, exceptionnels, mais trop peu utilisés.
Du gâchis, donc ! « Dans les cabinets de conseil en stratégie, nous recherchons à peu près toujours les mêmes profils, avec les mêmes critères de compétence, d’exigence. Quoi de mieux que d’aller chercher dans les réseaux des consultants eux-mêmes, sachant que le réseau de chaque consultant est composé à 50 % de consultants ou de personnes issues des mêmes écoles ? » N’y aurait-il donc pas un seul inconvénient à cette pratique ? La réponse est unanime : non ! « Le seul risque serait que cela devienne un système de consanguinité, avec trop de proximité, mais nous ne sommes pas clonés, il y a suffisamment de diversité », se réjouit Raphaël Butruille de Vertone.
Un process équitable ?
Si le coopté est introduit en amont par son « ambassadeur », qu’en est-il du process de recrutement ? Le coopté a-t-il un traitement de faveur ? A priori non, car il rentre ensuite dans le process classique et serait « traité » comme les autres. Aucun intérêt pour un cabinet à faire du traitement de faveur, car, au final, il y a peu de place pour les « erreurs » de recrutement. Les cabinets ont toujours pour objectif de recruter les meilleurs…
Les cooptés candidatent comme les autres, CV et lettre de motivation à l’appui, via les sites des cabinets. Pour certains cabinets, rien ne filtre sur le coopté, pour d’autres au contraire, il est clairement identifié. « En règle générale, les collaborateurs ne sont d’ailleurs pas au courant de qui a poussé la candidature, sauf si le candidat l’a explicitement stipulé dans son formulaire de candidature en ligne », entérine Imane Thomas de L.E.K. Chez Vertone et Advancy, en revanche, la totale transparence est de mise, chacun sait qui est arrivé par quel coopteur. Chez Vertone cependant, le coopté effectue un entretien de moins. Ensuite, le coopteur du cabinet n’intervient plus directement : il ne prend pas part aux différents tours ni aux business cases ni aux entretiens. Il revêt l’habit de mentor, de coach auprès du candidat dans la préparation des tours et pour des débriefs, et de conseiller soft skills sur les qualités humaines du candidat auprès du cabinet.
Une rémunération attractive pour les coopteurs ?
Si elle n’est pas affichée comme une « carotte » per se auprès des consultants potentiellement coopteurs, la rémunération est cependant toujours de mise, comme le justifie l’ancienne consultante Dounia Boulaakoul. « Ne pas avoir de prime est un killer pour la motivation dans cette démarche. En revanche, la prime n’a pas besoin d’être très élevée pour encourager et mobiliser les consultants. À partir d’un certain montant, la prime peut même devenir contre-productive, car certains consultants, y voyant seulement une opportunité financière, peuvent recommander des personnes non adéquates pour le poste. »
Condition sine qua non d’obtention de cette prime : que le coopté soit effectivement allé au bout du process, mais aussi que son recrutement soit confirmé après la période d’essai. Avec des primes qui, d’après Dounia Boulaakoul, s’échelonneraient en moyenne entre 1 000 euros pour le recrutement d’un junior et 2 000 euros pour des profils plus seniors ; certains cabinets pourraient même monter jusqu’à 3 000 euros. Des montants très inférieurs donc aux 25 000 euros en moyenne pour un cabinet de chasse…
Raphaël Butruille, partner de Vertone, et Imane Thomas, RH de L.E.K annoncent, eux, quelques milliers d’euros sans donner de chiffres plus précis. Pas de primes officielles chez Advancy ni de montants prédéfinis, « mais nous savons récompenser ceux qui sont très actifs avec une enveloppe dédiée », nuance la RH Annabelle Dazy.
Pourquoi la cooptation reste-t-elle à la traîne ?
La cooptation, sur l’affiche, apparaît comme le parfait win-win. Alors pourquoi n’est-elle pas plus développée ? Les cabinets assurent qu’aucune pression n’est mise sur les consultants sur leur activité de coopteur : la cooptation résulte du pur volontariat ou d'opportunités aléatoires.
Pour des consultants, pris dans leur (sur)charge de travail, devenir coach/mentor nécessite certainement trop d’investissement : chronophage, engagement personnel. « On leur en demande trop, d’être un sourceur, un évaluateur de compétences et de fits, un coach… C’est un processus un peu décourageant », analyse Dounia Boulaakoul, qui a fait de la cooptation son métier. Et puis, selon elle, on ne peut s’improviser recruteur, c’est un métier de plus en plus complexe et pointu.
Les cabinets aimeraient certainement faire de la cooptation l’outil n° 1 du recrutement, mais ils n’ont tout simplement pas institutionnalisé cette pratique dans leur process, avec des outils dédiés. Une réalité confirmée par le partner de Vertone, Raphaël Butruille : « Nous travaillons en ce moment à un nouvel outil de recrutement jusque-là totalement manuel. Il permettra d’intégrer une brique fonctionnelle spécialement conçue pour la cooptation, intégrant aussi une page de recrutement normalisée du coopteur. À travers la refonte de l’outil, nous allons améliorer sensiblement cette démarche. »
C’est pour répondre à ce manque que l’ancienne consultante, Dounia Boulaakoul, a créé PeerLink. Un concept nouveau en France et en Europe de solution de e-cooptation qui aide les collaborateurs à exploiter la richesse de leur réseau pro. Grâce à un algorithme de matching intelligent, les profils les plus pertinents sont identifiés. Aux collaborateurs de cliquer pour les coopter.
Barbara Merle pour Consultor.fr
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