Du monastère à McKinsey, portrait du Patron de Kea – Euclyd
En deux ans, la digitalisation est devenue l’une des problématiques majeures de l’entreprise, la quasi-totalité des missions de conseil comportant cette dimension.
Dès 2001, un cabinet, Euclyd, a fait de la transformation numérique le cœur de son activité. Didier Long, son président fondateur, a un profil étonnant, à la fois senior digital native et aventurier spirituel.
- 50 « ex » de la stratégie aux manettes des licornes françaises
- Kea lève 23 millions d’euros pour financer sa croissance externe
- Le PDG de Danone fait les frais de sa stratégie inspirée par McKinsey
- Info Consultor – Un ancien DG de Covéa senior partner chez Kea
- Serge Lupas, passé par Bain, Kearney, McKinsey, CEO par intérim de Kantar Media
- Claire Gourlier et Didier Long rejoignent les rangs des senior partners de Kea
- Kea part en mission
- Course au partnership : vous en prendrez bien pour dix ans ?
Fnac.com. et 01net.com
Ces deux premières grandes réussites de l’e-commerce en France sont pilotées par Didier Long et son équipe (au sein de l’agence web Nurun), peu avant l’éclatement de la bulle Internet.
À contre-courant, l’e-business builder crée alors le cabinet Euclyd, avec son associée Claire Gourlier. Ils interviennent sur la mue numérique de Maisons du Monde, Promod, Etam, Eram… et de nombreux acteurs des CPG, du luxe, de l’industrie automobile et du pneu (entre autres).
Un nouveau chapitre s’ouvre en 2017, avec l’union d’Euclyd et de Kea & Partners au sein d’une joint-venture : Kea - Euclyd. Qui est Didier Long, électron libre du conseil, aussi chaleureux qu’atypique, dont la trajectoire passe par Michelin, l’abbaye de la Pierre-qui-Vire ou l’offre digitale de McKinsey ?
Quels sont ses atouts pour « appréhender » les implications des nouveaux enjeux technologiques ?
Itinéraire d’un personnage surprenant qui a foi dans la transformation de l’homme et de l’entreprise.
À 15 ans, pour Didier Long, le centre du monde est à Clermont-Ferrand. « Petit voyou », il est orienté par son père vers l’école technique privée Michelin (ETPM) (1), qui est destinée à former les cadres dans « l’esprit » de l’entreprise.
Ayant réussi des tests psychotechniques, il passe plusieurs années chez Michelin.
Un business-moine à l’abbaye
Il lui manque pourtant l’essentiel : comprendre le sens de son existence. Tentative de suicide. Un ancien moine agrégé de philosophie le prend sous son aile et lui fait découvrir la Bible, « le mode d’emploi de la vie ».
En 1985, il intègre l’abbaye de la Pierre-qui-Vire. Devenu frère Marc, il étudie l’hébreu, le latin, le grec, la philosophie, la psychologie, les sciences, est nommé responsable de la formation théologique permanente de la communauté et dirige les éditions Zodiaque.
Mais les premiers CD-ROM s’invitent dans le paysage des biens culturels : frère Marc en crée un, ainsi que des bases de données de photos – 70 000 images – sur l’art roman.
Le silence, au cœur du monastère. « Et la parole, qui permet de transformer le monde ».
C’est le credo « des psys, des rabbins, des moines… et des consultants. Un business plan est une parole donnée, dont la confiance ou la défiance des marchés sanctionne la vérité ».
« Ainsi soient »… le capitalisme et le conseil en stratégie ?
Pour Didier Long, la spiritualité irrigue la pensée du capitalisme comme du conseil en stratégie : les consultants ne touchent-ils pas « l’âme des entreprises et de leurs dirigeants » ?
(L’âme, voire davantage noteront certains)…
Deux exemples concrets : le principe de « l’organisation rationnelle par la parole » issu des monastères, repris par James McKinsey et son successeur Marvin Bower, ou le modèle économique des abbayes qui donne naissance à la « Civilisation du capitalisme » (J. Schumpeter).
À partir du Moyen Âge, les mondialisations (2) se succèdent jusqu’à l’accélération digitale de la globalisation qui induit « l’augmentation exponentielle des échanges de flux, de données, d’idées, de personnes, de biens, sur l’ensemble du globe terrestre via des câbles sous-marins, des satellites… », mais l’accélération actuelle profite à un « petit nombre ».
Or, « depuis des penseurs franciscains au XIIIe siècle jusqu’à Ford, on retrouve l’idée du capitalisme et de la démocratie concourant ensemble à un avenir meilleur pour l’humanité… ».
Si les valeurs disparaissent, le modèle va-t-il s’effondrer ?
E-commerce : « Sauver une entreprise pour le prix d’un magasin »
Pour sa part, frère Marc voit son mode de vie bouleversé sans que ses valeurs ne vacillent : en 1995, il tombe amoureux d’une journaliste TV et quitte le monastère.
Un CD-ROM sur la Bible plus tard (groupe Télérama-La Vie), il rejoint l’agence web Nurun où il rencontre sa future associée, Claire Gourlier : il y dirige deux projets pionniers.
Pour le prix d’un magasin – le coût du site –, les dirigeants de la Fnac espèrent contrer l’irruption d’Amazon en Europe. « Nous avons monté un gros entrepôt à Aubervilliers, avec 120 personnes dans un open space, et une logistique importante : en onze mois, en 1999, fnac.com est né ».
La même logique préside à la création de 01net.com, CNET débarquant en Europe.
La Firme et ses « visionnaires » de la stratégie
Début des années 2000. Didier Long est sollicité par McKinsey dont l’activité devient en grande partie digitale : « Les dot-coms flambaient sur les marchés financiers… ».
E-business specialists, Claire Gourlier et Didier Long interviennent alors « en transverse, au niveau partners et engagement managers ».
Leur mission ? Concevoir « des marketplaces pour des diamantaires à Anvers, un site de voyage pour un consortium de compagnies aériennes à Londres, des sites de pièces détachées automobiles ou de matériaux de construction… ».
Mais la bulle Internet éclate : la Firme tourne provisoirement la page @McKinsey.
« Deux poissons très musclés » créent Euclyd, en plein naufrage de la nouvelle économie
Pour vivre l’aventure capitalistique, Didier Long et Claire Gourlier doivent remonter le courant – comme les saumons…
Les deux associés se lancent donc dans l’aventure entrepreneuriale pour accomplir le challenge initial de McKinsey : « Transformer véritablement les business ».
Que ce soit pour des donneurs d’ordres Mid Caps (CEO – directions générales, fonds de Private Equity : Apax Partners, EDRIP, NiXEN, Bridgepoint…) ou du Cac 40, Euclyd fonctionne comme un écosystème en réseau, avec des « commandos » alliant des hyper-spécialistes (Ux, data, AI, infra…) qui travaillent autour d’un pôle de généralistes – quinze consultants en interne et une trentaine d’experts externes. Les sujets d’actualité traités sont – notamment – « la vision de l’après-vente du futur pour des constructeurs automobiles, la transformation digitale et globale d’une société du textile (environ 1 Md€ de CA), la stratégie de distribution de marques de CPG avec l’arrivée de pure click players ».
Kea-Euclyd, la joint-venture avec un « petit quart d’heure d’avance »
Mais, pour répondre au marché, Euclyd doit croître.
En 2016, les associés (3) reçoivent plusieurs propositions de rachat de la part de cabinets de conseil en stratégie, d’un cabinet d’audit et de SSII ; ils préfèrent ne pas se laisser « diluer ».
Leur route croise alors celle de Kea & Partners via un client commun (le président du pôle Eram, Texto et Staggy) : les associés des deux cabinets décèlent leur complémentarité et tentent le pari.
« D’un côté, 120 consultants qui ont fait de la transformation un art, avec un ADN de conseil en stratégie aux CEO et des valeurs humaines ; de l’autre, nos quinze consultants et notre ADN “digital natives CEO oriented”. »
Euclyd est aux commandes au sein de la joint-venture Kea-Euclyd, opérationnelle dès février 2017.
Et si le digital transformait la « nature » de l’être humain ?
L’impact de la transformation numérique sur tous les secteurs fait consensus, qu’elle soit endogène – avec les voitures, « des ordinateurs sur roues qui “émettent des données”, ce qui transforme fondamentalement les processus après-vente, la logistique… et un business, qui devient celui de la mobilité, en partant de la data et des usages clients » – ou exogène, pour les jouets, via des global pure click players (Amazon, Cdiscount). « Si ce jouet n’est pas sur Google, c’est qu’il n’existe pas ! » affirme un enfant dans une étude américaine.
« C’est donc l’homme lui-même, son esprit, sa façon de réagir, que le digital et l’AI transforment en profondeur. » D’où l’importance, pour Didier Long, de penser en commun « une révolution équivalente à celle de l’imprimerie » : sa participation active à l’Observatoire de l’ubérisation (4), répond à cet enjeu.
Via un parcours qui fait écho à l’émergence et aux bouleversements économiques de la digitalisation, Didier Long poursuit une quête à plusieurs dimensions (5).
L’une d’elles est de donner à la numérisation du monde un sens humain.
1 – Créée en 1948, l’école d’enseignement technique Michelin – EETM (ex-école technique privée Michelin) forme 300 jeunes par an issus majoritairement de milieux défavorisés, avec un taux de réussite au bac de 100 %. Gratuite, elle accompagne les jeunes jusqu’à l’emploi, 60 % des élèves en moyenne étant directement recrutés par Michelin. 90 % des élèves trouvent un travail au bout de six mois et 100 %, après un an (source : michelin.com).
2 – https://www.kea-euclyd.blog/ : Didier Long y revient sur les globalisations successives (Moyen Âge, expansion vers l’Amérique à partir du XVIe siècle, révolution industrielle, transformations du XXe siècle, digitalisation), ainsi que sur l’apparente « trahison » de la démocratie et des classes moyennes par le Supercapitalisme (Robert Reich).
3 – Un troisième associé, Vincent Fraitot, a rejoint Didier Long et Claire Gourlier en septembre 2016. Ex-managing director de vente-privee consulting (la filiale de conseil de ventre-privee.com), il est professeur affilié entrepreneuriat et innovation à HEC.
4 – Créé en 2015 par Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs-FEDAE et cadre dirigeant, et Denis Jacquet, entrepreneur (Edufactory), président de Parrainer la croissance, une association d’aide aux PME pour rechercher la croissance, l’Observatoire de l’ubérisation vient de publier un livre bleu, Ubérisation : # Nouveaux équilibres.
5 – Didier Long est notamment l’auteur de Défense à Dieu d’entrer (Denoël, 2005), Petit guide des égarés en période de crise (Salvator, collection Carte blanche, 2012), Des noces éternelles, un moine à la synagogue (Lemieux éditeur, 2015) et Mémoires juives de Corse (Lemieux éditeur, 2016).
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