Rétrograder des partners : cette pratique RH qui a la peau dure
Lorsqu’ils rejoignent McKinsey, le Boston Consulting Group ou Bain notamment, certains partners débauchés dans la concurrence sont rétrogradés hiérarchiquement pour à nouveau faire leurs preuves. Un prix à payer accepté pour les uns, une tannée repoussante pour les autres.
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Des partners qui passent d’un cabinet à l’autre ? Une dynamique hyper classique sur un marché du conseil en stratégie en quête permanente de talents, et dont les profils les plus seniors sont la clé de voûte.
Des changements de grades hyper classiques, mais pas sans conséquences – notamment en termes de rémunération. Moins connu, ces « moves » peuvent aussi se traduire par des changements de grades.
Dans une immense majorité de cas, un partner débauché dans un cabinet A reste partner dans un cabinet B – c’est même pour cela qu’on est venu le chercher, toute entrée de nouveau partner revenant à un ajout en un seul bloc d’une clientèle nouvelle et d’un supplément de chiffre d’affaires.
Un truc de MBB avant tout
La règle a cependant ses exceptions. Dont une est bien connue sur la place : les quelques années de retour en arrière que les meilleurs cabinets de conseil en stratégie réservent aux partners qu’ils font venir chez eux.
« C’est un truc qu’on ne voit que chez McKinsey, BCG et Bain », pose un partner qui s’y est lui-même piqué et qui ne souhaite pas être nommé – tout comme l’ensemble des partners qui nous ont répondu pour cet article. « Ils estiment que cela est plus dur d’être partner chez eux qu’ailleurs, que c’est un moule à épouser, il faut faire la preuve qu’on est capable de s’y adapter », explique-t-il.
Quelques profils en témoignent. Chez McKinsey, Yannig Gourmelon, arrivé de Roland Berger en 2019, où il était partner depuis 2010 (d’abord à Shanghai, puis à Paris, entrecoupé par 2 ans où il était secrétaire général du groupe de communication Fred & Farid), est resté près de 4 années associate partner – le grade d’avant partner chez McKinsey. Ce n’est que tout récemment qu’il est redevenu partner.
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11 ans en moyenne au travers de quatre à six grades principaux déclinés en cinquante nuances d’échelons intermédiaires et autant de noms différents : voilà l’ascension que devront réaliser celles et ceux qui se lancent dans une carrière dans le conseil en stratégie pour atteindre le partnership.
De même Julien Revellat : il a rejoint McKinsey en décembre 2017, après une décennie chez CVA, dont il était un partner, une arrivée, là aussi, effectuée en tant qu’associate partner. Comme pour Yannig Gourmelon, ce n’est que 4 ans après son arrivée qu’il a été promu partner.
Un sas, une transition, un tremplin, un purgatoire, un bizutage, les appellations divergent, mais la pratique est connue. D’autres exemples en attestent.
Sébastien Cailliau, un partner de Roland Berger avec 14 ans de maison derrière lui, arrivé au Boston Consulting Group en 2014, a fait 4 années au grade de principal avant… de partir à nouveau pour la concurrence. Il est partner chez Cylad depuis 2018.
Trajectoire similaire pour Pierre-Antoine Bodin : partner depuis 2 ans chez Roland Berger, il rejoint Bain en tant qu’associate partner – là aussi le grade d’avant partner. Il y restera moins de 2 ans : il a été promu partner en janvier 2023.
Une logique que l’on peut aussi retrouver dans des cabinets un cran moins coté : comme cet autre cas d’un partner arrivé d’Ineum (la filiale conseil de Deloitte fusionné avec Kurt Salmon en 2011) chez Oliver Wyman en tant que principal – sans parvenir, dans son cas, à repasser le cap du partnership.
Un sas plutôt réservé aux partners peu expérimentés
Ces retours en arrière sont nettement moins nombreux que ceux qui sautent de partner à partner. « Cela dépend de quand vous rentrez et de votre niveau d’expérience. Si vous l’avez été longtemps précédemment, il n’y aura aucun problème, et évidemment vous redeviendrez partner », explique anonymement un autre partner passé par cette période de retour en arrière.
Avec moins de 3 années de partnership, lui estime que la reculade est quasi inévitable. En pratique, il ne semble pas y avoir de règle unique établie, l’arbitrage intervenant davantage au cas par cas au moment de la négociation à l’entrée dans les MBB.
Chez McKinsey, par exemple, cette pratique est minoritaire. Elle est dictée par l’ancienneté des partners entrants, mais dépend aussi des différences qui peuvent exister dans la définition du rôle de partner d’un cabinet à l’autre.
Quelles qu’en soient les raisons, ce passage suscite plusieurs réactions.
Ceux qui acceptent, ceux qui subissent, ceux qui renoncent
Ceux qui acceptent le prix à payer : « Si vous êtes dans une optique long terme, ce n’est pas un problème. C’est un investissement dans l’avenir. Puis, vous vous refaites vite, normalement vous repassez partner rapidement », commente une de nos sources.
Autre argument pour accepter : passer de partner d’un cabinet moins coté à principal dans un MBB ne se traduit pas par une perte de salaire. « Il y a toujours un moyen de compenser, sachant que les packages salariaux de MBB sont souvent un cran au-dessus. À la fin, c’est au moins iso », témoigne une source qui a eu à mener cette négociation. Même son de cloche d’un autre : « Je l’ai mal vécu du point de vue du titre, mais très bien du point de vue financier. Le “signing bonus” (bonus payé à la signature pour attirer un nouveau salarié, ndlr) a longtemps été la plus grosse ligne sur ma fiche de paie. »
À l’opposé, ceux qui sont rebutés ou un peu vexés qu’on les fasse passer par là : « Si vous êtes dans une logique de court terme, avec l’envie de changer de cabinet souvent, c’est sûr que c’est pénible », témoigne une source.
Cette période d’observation et d’acculturation peut aussi faire effet de repoussoir, au point de faire capoter certains recrutements. Ainsi, de l’une de nos sources, déjà partner depuis quelques années et qui était en discussion pour rejoindre un MBB : « Quand ils m’ont dit qu’ils ne me prendraient pas comme partner, ça me faisait chier », lâche-t-il sans ambages. Cette source préférera finalement rejoindre un cabinet un peu moins coté, qui lui garantissait de rester partner et d’élargir son périmètre.
Gap culturel, hiérarchie : le parcours d’obstacles
Pour ceux qui y passent à reculons, l’exercice peut avoir des airs de calvaire. Ce dont témoigne une de nos sources au sujet de son passage par le sas dans un MBB : « Y a une logique up or out à laquelle les partners n’échappent pas, et les moins performants s’en vont. Si vous voulez savoir comment ces promotions sont décidées, tout est impersonnalisé au possible. On vous renvoie au comité Théodule machin chose dont les arbitrages sont quasi secrets. »
Ou encore, cet autre souvenir d’un rescapé du purgatoire : « Vous devez faire exactement la même chose que tous les autres du grade maison, et en même temps, un peu de ce que doit faire un partner, un petit supplément qui vous est réservé parce que vous êtes un externe. »
Autre difficulté à dépasser : passer de partner, où vous pouviez imposer votre manière de faire, à principal ou équivalent, un rôle dans lequel vous devez vous adapter à la manière de faire d’un partner.
Dixit l’une de nos sources : « Forcément, il faut accepter de faire des choses plus “junior” que ce qu’on faisait avant. L’objectif est de gagner en légitimité vis-à-vis du nouveau partnership. Il y a une forme de bizutage, il s’agit de se mettre dans le moule d’une culture de cabinet et d’apprendre à faire les choses “à la manière de”. »
S’y ajoute le gap culturel qu’il peut y avoir en rejoignant un grand cabinet de culture américaine. « Y a “la bite et le couteau” (sic), et de l’autre l’industrie, se souvient une de nos sources pour qui le Rubicon a été dur à franchir. Dans une grande maison telle que celle-là, du consultant tout junior jusqu’au partner, tout le monde fonctionne de la même manière, il existe une homogénéité des comportements impressionnante. Si un partner X appelle tout le monde pour dire qu’il a un empêchement, vous aurez tout de suite une ribambelle de remplaçants – même si remplacer implique de faire un vol de 5 h. Y a bien d’autres cabinets où vous auriez du mal à avoir quelqu’un, puis si quelqu’un répondait, on vous dirait “bof, je peux pas”. »
Enfin, le purgatoire peut éventuellement aussi faire un louper un train aux partners rétrogradés principals. Ils se retrouvent alors sensiblement plus âgés que les autres consultants de ce grade – et passeront partner à un âge probablement plus avancé que la moyenne du cabinet.
Au terme de tout ce parcours, le job de partner auquel les heureux élus accèdent à nouveau fait-il une vraie différence ? En réalité, quasi pas. C’est là un des paradoxes de la démarche RH adoptée par les MBB, qui lui donne parfois des airs de coquetterie un brin élitiste. « Non, partner ici n’est pas différent de ce qu’on fait ailleurs » appuie encore l’un.
Ceci dit, les MBB ne sont pas les seuls à jouer sur les grades pour marquer leur différence et leur attractivité.
Dans le sens inverse, les marques de conseil en stratégie, des Big Four notamment, vont cibler des principals ou des associate partners, un peu en peine de passer partners dans leur cabinet du moment, à qui ils vont proposer de devenir equity partners de plein droit chez eux. Une manière d’élargir un peu le terrain de jeu de la chasse aux profils seniors.
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