CAC 40 : la covid, l’aubaine des consultants internes
Les cabinets de conseil internes aux groupes du CAC 40 et au-delà se multiplient : une cinquantaine de structures ont vu le jour ces cinq dernières années avec des objectifs similaires.
Parfois concurrents des cabinets externes, la crise leur est plutôt bénéfique : leur part de marché moyenne est passée de 2 à 3 % en 2018 des budgets achat de conseil à 10 % en 2021, selon les chiffres de l’Association française de conseil interne qui tenait sa convention annuelle début juillet.
- « Nous captons 30 à 40% des dépenses de conseil », Cosmin Dragan, head of CIB Consulting & Transformation
- Conseil interne de l’État : mais de quoi Gabriel Attal parle-t-il ?
- « Atteindre 25 % de conseil en interne » : Sogé Consulting montre les muscles
- Directrice de la stratégie d’Engie, mode d’emploi
- Comment conseil interne et cabinets cohabitent-ils ?
- Les consultants internes se font une place de choix auprès de leur maison mère
Mardi 6 juillet, une bonne moitié des entreprises du CAC 40 avait donné rendez-vous à leurs consultants. Cinquante sont présents sur le campus d’EDF à Saclay et 300 en distanciel. Attention, sur scène, nul McKinsey, Boston Consulting Group, Bain & Co, Kearney, Oliver Wyman ou autres !
Non, la journée est conviée par l’Association française du conseil interne (AFCI) qui regroupe le millier de consultants qui travaillent dans les entités de conseil interne des groupes du CAC 40.
Le contexte est inédit : du fait de la covid, en 2020, les bénéfices des quarante plus grandes entreprises françaises ont été divisés de moitié et leurs chiffres d’affaires se sont contractés de 10 %. Une cassure majeure.
Sur scène, à Saclay, Christophe Carval, le directeur exécutif du groupe EDF en charge des RH, insiste sur les transformations auxquelles les entreprises du CAC doivent se préparer et le rôle grandissant qu’auront à jouer les consultants internes dans ces transformations.
Car si les plus anciennes unités de conseil interne des groupes du CAC 40 ne datent pas d’hier – SG Consulting qui s’est renommé cette année en Société Générale Consulting et Transformation fête ses 50 ans –, elles ont eu tendance à se multiplier ces dernières années.
De trois à vingt-trois à l’AFCI
Une tendance à la croissance du conseil interne dont la création et le développement de l’AFCI attestent bien. Créée en 2015 par un groupe d’entreprises précurseurs, dont La Poste, Thales (dont les dépenses de conseil atteignent 60 à 65 millions d’euros par an, relire notre article) et la Société Générale (qui récemment mandatait Bain et McKinsey sur une mission de réduction de coûts), l’AFCI compte à présent vingt-trois membres.
« Il y a les structures qui sont en train de se créer, telles que Mutex ou la Banque Postale. Les cabinets de conseil interne qui ont moins de cinq années, comme Enedis ou Orange, qui sont une quarantaine. Puis, les structures les plus anciennes – une centaine environ en France », recense Véronique de la Bachelerie, directrice exécutive de la Société Générale Consulting & Transformation.
Pourquoi pareil attrait partagé pour le consulting interne ?
La plupart des raisons de cet engouement sont connues : le coût d’abord (relire notre article). « 30 à 40 % pour du conseil en orga, et du simple au double pour une mission de conseil en stratégie type McKinsey ou Bain », glisse Véronique de la Bachelerie.
Autres arguments : les cabinets de conseil interne connaissent mieux les entreprises de l’intérieur (relire notre article), ou les groupes ont à cœur d’internaliser certains savoir-faire.
Et ce même dans le conseil en stratégie que seule une poignée de cabinets internes (ENGIE, Société Générale, Renault, BNP Paribas, Allianz, EDF) ont les compétences, le sourcing et le niveau de facturation pour déployer. « Dans le conseil en stratégie aussi un transfert de savoir-faire s’opère de l’externe vers l’interne et nous prenons des parts de marché, mais seuls les cabinets les plus matures savent le faire », appuie Véronique de la Bachelerie.
Des arguments connus, mais qui ont convaincu plusieurs groupes de se structurer à leur tour. Comme chez ENGIE par exemple. En 2014, une équipe de 80 personnes a été constituée autour de la marque ENGIE Consulting au sein du Global Business Support (GBS), l’entité interne de soutien à la performance des fonctions support.
GBS est placé sous l’autorité de Claire Waysand, polytechnicienne, ancienne dircab du Premier ministre Jean-Marc Ayrault ou du ministre de l’Économie Michel Sapin, qui a rejoint ENGIE en 2019 en tant que secrétaire générale. Sous sa supervision indirecte, GBS intervient auprès des 160 000 collaborateurs du groupe sur l’IT, la RH, les services financiers, les achats et… le conseil interne donc.
ENGIE Consulting à fond la caisse
Les 80 consultants maison, domiciliés entre Paris et Bruxelles, n’ont pas chômé ces derniers mois. Lorsqu’en décembre 2020 Engie annonce le rachat de six centrales hydroélectriques à EDP au Portugal, pour 2,2 milliards d’euros, ENGIE Consulting intervient sur le rachat. Précédemment, lorsqu’il s’était agi de constituer une business unit dédiée à l’hydrogène renouvelable, rebelote ENGIE Consulting pour dessiner les réorganisations afférentes.
Last but not least, sur la scission des activités de services préparées par Engie de longue date sous le nom de code de Bright, charge est revenue à Engie Consulting de détourer les activités concernées et de les organiser autour d’une nouvelle autonomie managériale. En ce sens, ENGIE a annoncé le 1er juillet 2021 la création d’une nouvelle entreprise, Equans, d’un effectif de 74 000 personnes et d’un chiffre d’affaires de 12 milliards d’euros, en vue de sa vente future.
Une pluralité de missions qui a porté la part d’ENGIE Consulting dans le total des dépenses de conseil d’ENGIE (dont le chiffre est confidentiel) à 12 %, dans le top 3 des consultants les plus utilisés par le groupe (les noms des deux cabinets externes chouchous d’ENGIE ne sont pas non plus communiqués). Chez certains autres membres de l’AFCI, la part des achats qui va à l’interne peut monter à 20 %. Chez SG Consulting et Transformation, ils étaient 110 en 2020, 160 cette année et l’objectif est de passer les 250 fin 2022.
« La logique de croissance du consulting interne au sein des groupes du CAC 40 s’explique par la transformation permanente à laquelle ils sont confrontés. Le mode projet – agréger des équipes et des compétences changeantes sur des sujets volatils – devient la norme et avoir une équipe flexible de consultants internes répond bien à cette volatilité », estime Jérôme Steenbrink, le directeur d’ENGIE Consulting et secrétaire général de l’AFCI.
Dont la carrière éclaire bien une autre des raisons pour lesquelles le conseil interne séduit les acheteurs : les profils peuvent être très similaires à ceux présents dans les cabinets de conseil en stratégie. Ainsi Jérôme Steenbrink a-t-il passé quinze années en cumulé chez Booz Allen Hamilton et Kearney à Paris et aux États-Unis jusqu’au grade de partner.
Chez Kearney, il travaille notamment à la fusion Suez-Lyonnaise des eaux, puis passe chez Suez (relire notre article sur ces consultants qui partent chez les clients) où il travaille dans la direction financière qui œuvre au rapprochement Suez-Gaz de France, avant de prendre la tête des équipes consulting d’ENGIE (rebranding de Suez en 2015).
Analogie de profils d’autant plus réelle que ces structures recrutent régulièrement à la sortie des mêmes grandes écoles de commerce et d’ingénieurs choyées par les cabinets de conseil en stratégie. Ou, autre option, le recrutement se fait directement dans les équipes de cabinets de conseil en stratégie extérieurs – le consulting interne étant une bonne période tampon pour des consultants qui souhaitent passer dans l’industrie.
Garder les données sensibles en interne
Autre argument en faveur du consulting maison pour les groupes du CAC 40 : la confidentialité. « On voit aussi dans le recours au conseil interne une garantie supplémentaire de confidentialité. Il est faux de dire que les choses fuitent quand on passe par un prestataire externe, mais les clients savent que les cabinets anonymisent certains éléments qu’ils incluent dans des benchmarks fournis à d’autres clients (relire notre article sur la confidentialité dans le conseil) », appuie Caroline Dornstetter, une senior manager d’ENGIE Consulting et ancienne du BCG.
De là à parler d’un retournement entre le conseil externe et l’interne, il faut raison garder, évidemment. « Le conseil interne ne fera jamais 50 % des achats de conseil. Les groupes auront toujours besoin de conseil externe parce qu’ils ont des footprints mondiaux, parce qu’ils ont des compétences que nous n’avons pas », tempère Jérôme Steenbrink.
La preuve, McKinsey est récemment est intervenu sur le dossier Endel (relire notre article). Et Mars & Co demeurait encore fin 2017 le « family office » de référence trente ans après que Dominique Mars, le fondateur éponyme du cabinet, avait commencé à collaborer avec Gérard Worms (président de Suez à compter de 1990), expliquait alors à Consultor Gérard Mestrallet, l’ancien PDG de Suez et alors président du conseil d’administration d’ENGIE (relire notre article). Comme dit Jérôme Steenbrink : « Les dépenses de conseil d’un groupe tel qu’ENGIE sont très éclatées. »
Benjamin Polle pour Consultor.fr
Crédit photo : Engie, enseigne et logo de l'entreprise française de fourniture d’énergie au sommet de la tour de son siège social dans le quartier de La Défense, près de Paris – janvier 2021
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (4)
citer
signaler
citer
signaler
citer
signaler
citer
signaler
France
- 18/11/24
L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.
- 15/11/24
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
- 15/11/24
Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.
- 13/11/24
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
- 11/11/24
Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.
- 08/11/24
Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.