La féminisation des partnerships au point mort ?
Depuis plusieurs années maintenant, c’est le statu quo. Le taux de féminisation des partnerships des cabinets de conseil en stratégie ne décolle pas, 17 % en 2023 d’après l’étude annuelle de Consultor, et ce, depuis plusieurs années. Une fatalité ? Peut-être pas. Simon-Kucher ouvre la voie en tutoyant le Graal du 50/50.
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Strategy
Les chiffres sont bel et bien là. En 2023, sur l’ensemble des 415 associés recensés dans les 12 cabinets de plus de 10 partners (du périmètre de Consultor), on ne compte que 72 associées… soit 17 % ! Un ratio qui stagne peu ou prou à ce niveau depuis 2017.
Premier constat global. Cette année, seuls trois cabinets dépassent le seuil symbolique de 25 % : très loin devant, Simon-Kucher, 44 % de femmes partners, ensuite viennent Bain & Company, 29 %, et Kéa, 25 %. Ils étaient quatre l’année dernière. PMP Strategy, qui avait atteint ce cap l’année précédente, est en léger retrait.
Deuxième constat : la disparité entre les cabinets avec des écarts qui continuent à se creuser. Simon-Kucher affiche ainsi un taux record, en croissance de 11 points par rapport à 2022, et qui s’approche ainsi à grands pas de la parfaite parité, alors que le dernier de cette édition, Oliver Wyman, ne dépasse pas les 5 %… L’année précédente, les écarts étaient moindres, s’étirant de 33 % (Simon-Kucher) à 7 % (Roland Berger). En un an, le différentiel entre le premier et le dernier cabinet passe ainsi de 26 à 39 points… Un gap considérable qui questionne.
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17 %. Tel est le ratio en 2022 des femmes partners dans les cabinets de conseil en stratégie comptant plus de 10 associés. Figé, ou quasi, depuis 5 ans. Et seulement 6 points de plus en 12 ans. Qu’il est long le chemin de l’accès au partnership pour les consultantes.
Un discours volontariste unanime
Il est vrai que ces changements sociétaux fondamentaux ne s’effectuent pas sur un coup de baguette magique. Cela reste une réalité dans tous les secteurs et les entreprises de toutes tailles. Selon une étude de la BPI en 2022, seuls 12 % des dirigeants de PME de plus de 10 salariés et d’ETI sont des femmes, et selon le rapport 2021 du Haut Comité du gouvernement d’entreprise, on comptait un quart de femmes au sein des Comex ou des Codir des sociétés du SBF 120. Dans le conseil en stratégie, et ses nombreuses PME, le sujet reste entier. Et ce, même si l’ensemble des cabinets connait la parité – ou quasi – à l’entrée de la pyramide des grades, si cette la mixité femmes-hommes se maintient peu ou prou jusqu’au grade de manager, mais connait une fracture au niveau directeur. Et ce, même si ce « sujet est dans la top list de toutes les équipes de notre cabinet, avec des efforts dans une approche très structurée depuis fin 2022 », comme le martèle Stephan Bindner, le patron d’EY-Parthenon France. Une problématique devenue en effet prioritaire pour les gouvernances, comme c’est le cas aussi chez d’Oliver Wyman, qui peine pourtant à trouver le chemin de la féminisation de son partnership, comme le reconnait sans langue de bois Bruno Despujol, nommé il y a tout juste un an patron du bureau français (et bruxellois). « Il est un sujet people business fondamental, mais complexe, un sujet d’attention de tous les jours. Nous avons beaucoup patiné ces dernières années, mais nous avons identifié et mis en place des initiatives qui fonctionnent. Nous mettons tous les moyens pour atteindre au plus vite notre objectif de 50 % de femmes aux niveaux consultants et chefs de projets, et au moins 20 % au niveau partner. » Et, fait notable, finie la politique de l’autruche. Tous les cabinets de conseil en stratégie contactés par Consultor, les plus matures comme ceux à la traine, ont décidé de jouer le jeu de la transparence en partageant leurs retours d’expérience.
Le cercle vertueux du top 1
Alors quelle est donc la recette Simon-Kucher qui voit bondir la part des femmes dans la gouvernance de 33 à 44 % en un an seulement ? Un cabinet intégrait pour la première fois une femme associée à Paris en 2015. Quelque 8 années plus tard, 7 femmes font partie du partnership (de 16 membres). Pour le cru 2023, sur les 4 nouveaux partners promus, Simon-Kucher a fait monter 3 associées, Camille Drumel, Clémence Cahuzac et Laura du Repaire. Des promotions délibérément féminisées ? Ferme dénégation du côté du managing partner France, David Vidal. « Nous ne faisons pas d’affirmative action, car forcer les choses ne marche pas. Nous avons une équipe de top directrices qui s’est étoffée depuis quelques années et avons toujours eu une mixité de profils à tous les niveaux hiérarchiques, du manager au senior directeur. Mais ce sont toujours les meilleur(e)s qui montent au partnership, se réjouit David Vidal. Comment y arrivons-nous ? Il n’y a pas d’explication simple ; cela dépend de nombreux facteurs. Une chose est sûre, cela commence dès les recrutements, puis aux moments clés du parcours des consultants. Notre choix est d’avoir une approche de la parentalité sur mesure avant tout, plutôt qu’une politique trop générale, en essayant de nous adapter en fonction des besoins de chacun. Ces résultats sont tangibles, ils sont la meilleure preuve que c’est possible. Et cela a sans conteste un effet boule de neige. »
Oliver Wyman cherche ses associées
À l’autre extrémité du classement, on trouve le bureau parisien d’Oliver Wyman, 40 associés, dont 2 femmes (Laëtitia Plisson et Maïté Dailleau). Que se passe-t-il dans ce cabinet de conseil international dans lequel la part des femmes partners décroche en 2023, avec 5 % (9 % en 2022 et 11 % en 2021) ? En cause, le départ l’année dernière de deux associés, deux femmes, Marianne Debains, partie pour Bouygues (comme responsable stratégie M&A and FP&A), et Muriel Schtickzelle, partie pour le bureau de Bruxelles, responsable de la practice Pricing, Sales, and Marketing. Le patron du bureau parisien, Bruno Despujol, n’opte pas pour la politique de l’autruche, bien au contraire. « Nous avons perdu 4 femmes partners sur les 2 dernières années. Il est difficile de les retenir au vu des opportunités qui leur sont offertes, tel que des postes de CEO. La seule consolation, c’est que nous nous considérons comme une école pour former des managers, on est un accélérateur de carrière. C’est dur de les voir partir, mais c’est bien d’un point de vue sociétal » éclaire le patron du bureau français, Bruno Despujol. Un cabinet qui a pourtant mis en œuvre une politique sur la diversité et l’inclusion active et visible.
Des associées qui ne sont pas légion
EY-Parthenon Paris continue sa marche de féminisation avec 4 femmes partners (sur les 27 associés), soit 15 % : Julia Amsellem (arrivée comme partner en 2017), Aurélie Saulnier (promue en 2021), Sophie Barbé (en 2022), Tatiana Barsuk (en 2023). « Clairement, on a tous du pain sur la planche ! » concède d’emblée Frédéric Fessart, l’un des membres du partnership. Un cabinet qui a déjà fait un grand pas en avant en 3 ans puisqu’il ne comptait que 4 % de femmes partners en 2020. Ce ratio jugé trop modeste, Frédéric Fessart l’explique. « Nous nous sommes refusé d’aller piquer des partners ou directors femmes chez nos concurrents ou de promouvoir très vite et très jeune des femmes pour faire grimper nos ratios. Notre plus jeune associée promue il y a quelques mois, Tatiana (Barsuk, ndlr), a 37 ans. » Une nécessaire évolution qui a aussi une visée purement business aux yeux justement de la récente partner sus-citée. « Nous avons fait le choix d’aborder la diversité hommes/femmes dans une approche holistique, hors de l’effet de mode ou du niveau de pression. Nous le traitons comme un enjeu business critique et nous nous inspirons de nos clients souvent en avance sur nous dans la diversité hommes/femmes. »
Difficile également pour L.E.K. de changer la donne : 7 % en 2023, 8 % en 2022, 10 % en 2021. Un bureau parisien de 15 associés, dont une seule femme, Clare Chatfield, pourtant l’une des pionnières en tant que partner et directrice de bureau dans le secteur du conseil en stratégie. Et que le bureau madrilène a lui atteint la parfaite parité parmi les partners. Maxime Julian, le partner chef de file du bureau de Paris donne son analyse. « Clare était en avance sur son temps, en étant une figure aspirationnelle forte à une époque où la féminisation n’était pas assez abordée. Nous faisons un certain nombre de choses, nous avons des objectifs ambitieux au niveau mondial, mais nous ne pouvons pas être satisfaits de cet état de fait. Historiquement, nous avons tendance à promouvoir en interne, ce qui prend du temps. Il y a aussi peu de candidates sur le marché au niveau associé, ce qui complexifie d’autant plus la recherche en externe. »
La volonté ne fait pas des miracles
Dans ce domaine, il ne suffit pas de le vouloir pour atteindre ses objectifs. Les freins (sociétaux, psychologiques, culturels…) sont nombreux et l’avancée est semée d’embûches. Pour preuve, il aura fallu des lois pour accélérer l’accès à la parité au sein des conseils d’administration (2011) et des comex (2021). Anne-Lise Glauser, la partner dédiée aux sujets diversité/inclusion de Strategy& a réalisé un état des lieux : 70 % des CV reçus par le cabinet sont masculins et aucun CV d’associée. À date, l’entité stratégie de PwC compte 3 femmes parmi 24 associés (13 %) : Anne-Lise Glauser (promue en 2015), Vladislava Iovkova (partner depuis 2021), et la dernière associée nommée en 2023, Anna Cohen. « Le fait est que notre cabinet est plus masculin. Et ce, malgré toutes nos actions au sein des campus et auprès des étudiantes sélectionnées. Nous sommes conscients que tout commence au recrutement. Nous n’avons pas de quotas, mais nous faisons en sorte d’équilibrer les panels au niveau junior », souligne Anne-Lise Glauser. Des freins exogènes qui complexifient la donne. D’autant que la firme (PwC) a exprimé des ambitions. Et quelles ambitions ! Atteindre 30 % de femmes associées… d’ici 2026.
Côté PMP Strategy, qui dénombre 4 femmes parmi ses 17 associés, le taux reste lui également stable (24 %) depuis plusieurs années. Un ratio pourtant supérieur à la moyenne dont le président maraging partner ne se satisfait pas pour autant. C’est peu de le dire. « Je ne peux pas dire que j’en suis fier. 23 ou 25 %, de femme dans le partnership c’est encore très insuffisant !, tonne Gilles Vaqué qui ajoute, la parité, la diversité, l’internationalisation des profils et des partners est un sujet clé ».
Quant au troisième du podium, Kéa, qui pointe dans le trio de tête depuis 2015, il s’établit à 25 % (8 femmes/32 associés), un taux quasi identique à 2022, 20 % en 2020. Un cabinet où la parité « fait intrinsèquement partie de notre culture, d’ailleurs notre CoDir est, lui, à parité égale. Nous avons toujours plutôt été en avance sur ces sujets index d’égalité, de parité, de mixité », comme en témoigne une « historique », la senior partner Stéphanie Nadjarian, promue partner en 2009, deuxième femme partner du cabinet après Anne Risacher (en 2008). Ces deux associées ont, en effet, fait partie des toutes premières femmes du secteur à être nommées. Pourquoi ce ralentissement alors du côté de Kéa ? Ce n’est pas dû l’intégration de nouveaux partners externes suite aux dernières acquisitions de cabinets, Arkos, MySezame et Nuova Vista sont dirigés par des femmes. La gouvernance grossit, une senior, Christine Durroux, a quitté le cabinet… une évolution naturelle pour Stéphanie Nadjarian qui n’est pas pressée. « Chez Kéa, il n’y a jamais eu de ressenti d’avoir besoin d’obligations ni de politique spécifique pour avancer. Nous ne nous sommes pas mis d’objectifs de parfaite parité, les femmes sont nombreuses dans un rôle de management, et nous faisons des checks de pipe réguliers au sein de nos équipes pour être sûrs qu’elles ont toute leur place. Et nous comptons beaucoup de femmes à haut potentiel qui vont arriver sous 2 ou 3 ans. »
De la méthode douce…
Comment changer fondamentalement les choses et briser ce – bas – plafond de verre ?
À chaque cabinet, une stratégie qui se veut différenciante pour attirer, puis retenir cette précieuse gent féminine. À l’instar de PMP Strategy qui diversifie ses actions, comme l’évoque Gilles Vaqué. « La mise en place de la semaine de 4 jours et notre modèle qui est basé sur l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, un terreau favorable à l’éclosion des talents sur le long terme. Par ailleurs, des femmes du cabinet sont très actives et s’impliquent pour aider les managers et leaders femmes à développer leur leadership ; nous avons aussi lancé des formations et du coaching spécifiques dans certains bureaux. » Chez Strategy&, avec l’ambitieux objectif de la firme PwC d’atteindre les 30 % d’ici 2 ans, l’inversion des tendances passe par trois axes forts : le recrutement toujours et encore, la rétention et la promotion. Des leviers détaillés par la partner Anne-Lise Glauser. « Dans le cadre du programme Seed, notre équipe organise des ateliers Women In plusieurs fois par an, et cet espace d’échange sur l’équité hommes/femmes fonctionne très bien. Notre dispositif de place en crèche a permis à ce que 100 % des demandes soient satisfaites. Et notre programme de sponsoring interne pour les femmes, un tandem entre un talent et un membre de la leadership team, est très efficace. Il a même être étendu aux jeunes talents. »
EY-Parthenon a aussi pris le taureau par les cornes en mettant en œuvre depuis fin 2022 un roadmap spécial féminisation autour de cinq axes, décrite par Tatiana Barsuk : activer des rôles modèles dans un « objectif de représentation équilibrée des talents », accompagner des futures recrues, entre autres grâce à des actions sur les campus comme « des événements de préparation à l’entretien de fit pour les candidates », proposer du coaching spécial consultantes tout au long de leur carrière, mais aussi « redonner de l’attractivité à notre métier en agissant pour un meilleur équilibre de vie, une politique plus ambitieuse en matière de parentalité, et davantage de flexibilité/flextime. Car le succès de la féminisation réside aussi dans notre capacité à entrainer les hommes ». Et last but not least, EY-Parthenon mène des actions de networking auprès de ses clients, « dans un esprit de sororité afin de partager les best practices, à l’instar de l’événement Diversity4Tech au MWC (Mobile World Congress, ndlr) ».
Chez L.E.K., le travail de fond en interne commence à produire ses fruits. La priorité pour la gouvernance du cabinet est d’identifier clairement des rôles modèles, un outil très efficace d’identification pour les jeunes générations de consultantes. La pyramide se féminise à tous les échelons, et la bonne nouvelle pour la tête de pont du bureau de Paris, c’est que « sur les 8 managers, 50 % sont des femmes, et que la prochaine étape est de les accompagner vers le partnership », se réjouit Maxime Julian.
… aux moyens drastiques
Pour d’autres, puisque la politique non contraignante ne fonctionne pas – pas assez vite en tout cas –, le changement de braquet va se faire au forceps. Pour accélérer un lent processus de féminisation de la pyramide, le responsable du bureau parisien d’Oliver Wyman, Bruno Despujol, a pris une décision pour le moins radicale. À son arrivée, début 2023, Bruno Despujol a imposé – contre vents et marées – des quotas pour le recrutement des consultants. « Il faut savoir faire des choix dans la vraie vie, même si cela peut créer des tensions. Mais il faut tenir bon et savoir ce que l’on veut, car nous n’avancions pas assez rapidement. Et ce n’est pas simple, car nous avons des objectifs de recrutement de 50 % dans les écoles d’ingénieurs qui ne sont toujours pas féminisées. » Autre levier de cette politique de féminisation, les communautés Women@OW, FlOW (pour les parents), un système actif de mentorat personnalisé de femmes pour les femmes. Et le recrutement de femmes partners. D’ici quelques semaines aussi, une femme devrait rejoindre le partnership du cabinet…
Ce qui reste au fond de cette étude très contrastée, c’est que l’on peut enfin entrevoir la lumière au bout du tunnel. Car, chez Simon-Kucher, l’objectif de la parfaite parité n’est plus un mirage. Au vu de la team de directeurs et directrices candidats potentiels à l’entrée au partnership, David Vidal se dit très confiant. « Nous n’avons pas l’idée de produire des chiffres. Mais 50 % de femmes dans le partnership dès l’année prochaine, c’est tout à fait possible. Et ce qui est très rassurant, c’est que la mixité n’est même plus un sujet dans notre cabinet. »
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Classement
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