Dans le conseil, le secteur public ne connaît pas la crise
Alors que l’activité de l’ensemble des cabinets plonge, jusqu’à 50 % pour certains d’entre eux comme nous l’annoncions déjà fin mars, la practice secteur public de plusieurs cabinets, elle, conserve une activité soutenue. Pour les cabinets, positionnés sur ce secteur, les missions vont bon train et les équipes, toutes staffées. Avec une recrudescence de missions pro bono… pas seulement pour « la bonne cause ».
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Est-ce que les dépenses de l’État français vont s’alourdir en termes de conseil comme cela avait été le cas à l’occasion du Brexit pour le gouvernement britannique ? (notre article) Pas forcément. Car si les missions se démultiplient, nombre d’entre elles sont réalisées en pro bono… Du côté des donneurs d’ordre, les institutions publiques, c’est silence radio.
La Direction interministérielle de la transformation publique, qui a la charge de coordonner les achats de conseil par les administrations centrales, comme nous l’expliquions il y a un an, reste plus qu’évasive sur le sujet.
« Nous ne souhaitons pas communiquer sur les travaux en cours sur lesquels il appartient aux autorités politiques de s’exprimer. S’agissant de l’appui des cabinets de conseil, tout ce que je peux vous dire, c’est que la très grande majorité d’entre eux ont pris des initiatives pour apporter leur aide aux administrations et opérateurs concernés par la crise et plusieurs missions d’appui sont en cours », nous a répondu Axel Rahola, chef de service de la DITP.
Autres « grandes muettes » sur ce sujet en ce moment, le Comité interministériel de restructuration industrielle ou encore l’Union des groupements d’achats publics.
Du côté des cabinets, présents sur ce secteur – assez peu nombreux, car ils doivent être référencés dans des accords-cadres au sens du Code de la commande publique –, certains ne souhaitent pas s’exprimer sur leur implication.
À l’instar de McKinsey, de Bain, pourtant en plein dans une mission pour le ministère de la Santé, « une seule mission pro bono », d’après Olivier Marchal, président du cabinet en France, du BCG et de sa senior advisor, Agnès Audier, « qui ne commente pas dans cette période ». Fabrice Catala, partner d’Ylios, précise que le cabinet n’a pas d’intervention en cours dans le secteur public sur le sujet covid-19.
En revanche, pour Roland Berger, EY-Parthenon et Strategy&, ces missions ne sont, et ne doivent pas être, tenues secrètes… Avec des chiffres d’affaires en berne, entre moins 30 % et moins 50 %, les cabinets ont fait le choix de s’impliquer massivement auprès des différentes instances gouvernementales dès le début de la crise sanitaire et du confinement.
Dans ces cabinets, aucune mission pour le service public n’a été abandonnée, quelques-unes ont été reportées, étant impossibles à réaliser durant le confinement. « Il existe une certaine résilience du secteur public qui se doit de continuer ses missions et assurer la continuité de l’État », affirme Alain Chagnaud, partner chez Roland Berger.
Regain d’activité du secteur
Chez Roland Berger, où ce secteur est très stratégique, les missions y sont nombreuses et d’importance, comme celle sur l’audit de l’EPR que nous révélions en décembre dernier, l’évaluation du Grand Emprunt (programme Investissement d’avenir), rapport remis au Premier ministre toujours en décembre, ou, il y a un an, sur le Grand Débat.
Alain Chagnaud, l’un des responsables du secteur public, annonce pour cette période de crise sanitaire une dizaine de missions en même temps, avec une vingtaine de consultants mobilisés. Trois projets en cours sont réalisés sous la forme d’un travail non rémunéré.
EY-Parthenon, dont le secteur public est l’une des trois principales practices, est donc « très chargé », comme le reconnaît Guéric Jacquet.
L’ensemble du groupe EY, grâce à ses « nombreuses synergies entre les équipes de stratégie et les autres équipes de conseil », aurait ainsi vu bondir son chiffre d’affaires sur le secteur public de 30 % depuis le début de la crise.
EY-Parthenon avait, entre autres, récemment conseillé le Trésor, le ministère de la Transition écologique, et plus récemment, tout au début de la crise sanitaire, les ministères de l’Économie et des Affaires étrangères sur une étude d’impact de la crise sur le secteur du tourisme.
Le cabinet Strategy&, l’entité de conseil en stratégie de PwC, travaille pour sa part, actuellement à une dizaine de missions, en partie en pro bono, et a mis à disposition, pour une seule mission avec Bercy, une quinzaine de consultants pour une durée de quelques mois.
AP-HP, ministère de la Santé... la priorité santé
Sur quels sujets interviennent-ils ? Tous les cabinets de strat’ ont été mobilisés sur le covid-19, la connaissance de la maladie et ses conséquences en termes de soins. L’appel du monde hospitalier à des consultants n’est d’ailleurs pas nouveau (relire notre enquête).
Bain travaille actuellement à une mission pour la Direction générale de la santé autour des tests de dépistage, comme nous le partagions il y a quelques jours, et le Boston Consulting Group aiderait l’AP-HP à affiner les prévisions des besoins de renfort, sur la base d’un modèle épidémiologique.
Le cabinet Roland Berger travaille également pour l’AP-HP sur une série de sujets de gestion des réponses à la pandémie : la gestion du surcroît de flux de matériels (une mission classique qui s’est vue prolongée en pro bono), l’essor de la plateforme d’e-learning à destination des soignants, et la montée en puissance de la task-force « renforts » de l’AP-HP.
Roland Berger est aussi intervenu auprès de la direction générale de la santé pour « recenser tous les matériels vétérinaires, 5 000 cliniques, potentiellement utilisables en santé humaine. Cette mission s’est arrêtée pour des raisons réglementaires ; la Direction générale de la santé ayant décidé d’en recentraliser toute la gestion », reconnaît Patrick Biecheler, senior partner de Roland Berger.
Strategy&, l’entité de conseil en stratégie de PwC, a, elle, proposé ses services en début de crise, au ministère de la Solidarité et de la Santé sur différentes thématiques, telles que la gestion des parcours des patients, de disponibilités des lits, les moyens de protection « dans une logique de mix entre une mission classique et pro bono, une façon d’interagir avec le secteur public inédite », confie Alain Galloni, associé expert des filières industrielles en France au sein de Strategy&.
À Bercy, au Conseil national des achats, auprès des Conseils régionaux, les cabinets amortissent la crise et fourbissent la relance
En parallèle, les cabinets ont été mobilisés sur toutes les questions économiques et financières. Pro bono ou classiques, certaines missions étaient en cours et se sont prolongées, d’autres ont été lancées.
Une mission est, par exemple, en cours chez Roland Berger avec la Direction générale des entreprises, la DGE – qui dépend de Bercy – pour identifier les vulnérabilités des filières industrielles et construire des plans de relance pour l’industrie. « Nous avions conduit une mission pour Bercy en 2019 sur l’identification de marchés porteurs pour la France dans le cadre du pacte productif (relire notre article). Nous l’avons prolongée et adaptée à la situation bien sûr en travaillant, non pas à des réponses d’urgence, mais à un horizon de moyen et long terme », précise Alain Chagnaud, partner chez Roland Berger.
Pour Bercy toujours, Roland Berger a aussi offert ses services en pro bono afin d’« identifier les chaînes de vulnérabilité du secteur industriel », à savoir sa dépendance très/trop forte par rapport à ses fournisseurs, mais également à un plan de relance sectoriel de l’industrie. Deux missions en cours de finalisation.
Le cabinet EY-Parthenon intervient, durant cette crise, lui, auprès de Bercy par trois biais. Il a accompagné la DGE sur la préparation et le lancement du fonds de solidarité des PME-TPE. Un projet aujourd’hui devenu opérationnel avec l’ouverture de la plateforme d’indemnisation la semaine dernière.
« Nous avons également une activité liée à l’impact de la crise sur l’administration et les filières professionnelles et à la préparation de la reprise économique dans les régions et par secteurs. Au-delà de l’aide d’urgence, la grande problématique, et la question essentielle, est d’imaginer les investissements qui vont permettre une croissance soutenable », souligne Guéric Jacquet, partner secteur public d’EY-Parthenon.
À la DGE encore, Strategy& intervient pro bono pour déterminer les éléments de souveraineté économique manquants. « L’Europe importe 40 à 45 % de son PIB contre 15 à 20 % pour la Chine, les États-Unis, et la Russie. Nous nous sommes jetés dans la mondialisation en nous rendant vulnérables. Cette crise est l’occasion de repenser la relocalisation et la diversification des approvisionnements. La souveraineté est une question nouvelle qui est au cœur de la réflexion aujourd’hui », analyse Olivier Lluansi, associé expert des filières industrielles chez Strategy&.
Autre engagement du cabinet auprès du Conseil national des achats (CNA) où il travaille sur un screening des catégories de produits propices à la relocalisation économique en prenant un angle bien spécifique, celui des acheteurs, et donc en identifiant les catégories de produits, mais aussi les conditions et les modalités de cette relocalisation. Enfin, le cabinet conseille les conseils régionaux pour accompagner les PME et ETI sur ces problématiques devenues vitales de relocalisation et sécurisation.Maintenir le canal secteur public ouvert pendant la crise, en attendant la reprise
Beaucoup de missions courtes et ciblées dans le secteur public donc qui ont le double avantage de positionner les cabinets en soutien à l’effort national et, plus prosaïquement, d’occuper des troupes de consultants, en télétravail, en congés, dont certains sont en chômage partiel.
Sans oublier que ces travaux de crise permettent d’entretenir des relations institutionnelles, voire en créer de nouvelles. Avec en ligne de mire de futures missions.
Barbara Merle pour Consultor.fr
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